Le Burkina Faso traverse une crise sécuritaire depuis 2015 et des violences sont manifestées à l’égard des femmes, enlèvements, séquestrations et viols. Elles sont nombreuses à en être victimes. Mariam Ouédraogo, des Editions Sidwaya, Journaliste sensible aux conflits a fait de multiples reportages sur les conditions de vie des femmes en zone de crise. On en parle.
Première journaliste africaine lauréate du 29e prix Bayeux des correspondants de guerre, tu es également lauréate de plusieurs autres prix notamment le prix Marie Soleil Frère et le Galian. Comment te sens-tu après toutes ces récompenses ?
Mariam Ouédraogo : Merci à Queen mafa pour l’opportunité de revenir un peu sur quelques sujets que j’ai eu à traiter. On ne peut que se sentir bien après avoir été récompensée surtout plusieurs fois. En tant que femme journaliste aussi, je voudrais qu’à travers ce prix, toutes les femmes journalistes du Burkina, de l’Afrique et du monde entier se sentent honorées.
Pourquoi as-tu décidé de produire des articles sur les femmes victimes de violences. Quelles ont été tes motivations ?
J’ai remarqué que depuis que le Burkina est attaqué en 2015 par les terroristes appelés au départ individus armés non identifiés, ils ne s’intéressaient pas systématiquement aux femmes. Par moment, on entendait qu’il y a des morts de femmes mais, elles n’étaient pas automatiquement leurs cibles. Donc, je me suis dite, si ces individus qui tuent tout ce qu’ils croisent à chaque fois épargnent les femmes, c’est qu’il y’a une raison. J’ai alors décidé d’investiguer. Je me suis rendue compte qu’en fait, c’est parce que ces femmes servaient à autre chose.
Parle-nous des cas de violences qui t’ont marquée !
Il s’agit des violences physiques et des violences sexuelles. C’est notamment ces deux types de violences qui vont engendrer des traumatismes. Des femmes ont été enlevées, séquestrées et battues. Malheureusement, d’autres sont tombées enceintes. Ce sont des traumatismes à vie.
Je pense à cette femme qui a été répudiée parce qu’on a su qu’elle a été violée par des terroristes. Elle a accouché d’une fille. Non seulement, on l’a répudiée mais, aussi on lui a retiré ses quatre enfants. Les viols qui sont connus souvent, c’est pour celles qui sont violées et laissées pour mortes. Par exemple, si moi je suis seule et je suis victime, je regarde à gauche à droite, si quelqu’un ne m’a pas vue, qu’est-ce qui va m’amener à aller raconter dans le village que j’ai été violée au risque de subir la stigmatisation de la société ?
Et même si elles sont en groupe, c’est ce qu’elles m’ont confiée, elles décident de garder le silence. Ça reste secret ou un pacte entre femmes. Elles gardent le secret jusque dans leurs tombes. Il y aura des enfants issus de ces viols qu’on va attribuer aux époux puisqu’ils vivent maritalement. Peut-être, à la longue, on saura que l’enfant n’est pas du mari. Sinon, le silence coupable de cette société amène les femmes à se victimiser davantage.
Pour avoir été en contact avec les victimes. Quelles ont été les conséquences de ces violences sur les femmes ?
Mariam Ouédraogo : Il y a eu des avortements, des tentatives d’avortement et des tentatives de suicide parce qu’aucune femme n’aimerait garder un tel enfant. C’est vrai l’enfant n’a pas demandé à venir au monde de cette façon. Mais, c’est douloureux pour une mère de vivre avec un enfant qui va à chaque fois lui rappeler des moments douloureux. Pour certaines, les conséquences sont visibles avec les grossesses et les bébés. Les traumatismes sont silencieux pour d’autres.
Les victimes de violences ont généralement du mal à se confier sur ce qu’elles ont subi. Quelle a été ta stratégie pour les amener à briser le silence ?
En termes d’approche, il faut être patiente. Je mets toujours l’humain au centre. Ça veut dire que je me mets au même niveau que les femmes que je rencontre. Ce n’est pas parce que moi je suis journaliste et que je viens de la capitale, que je suis plus femme ou plus humaine que l’autre qui est dans des conditions difficiles. Et il faut éviter de trop mettre la pression. Quand j’échange avec elles, mon objectif, ce n’est pas mon questionnaire. On a l’habitude de dire que c’est le terrain qui commande la manœuvre. En ce moment, on oublie le questionnaire, on pose des questions qui n’ont rien avoir avec le sujet, le temps de la mettre en confiance.
Qu’est-ce qui est fait pour permettre aux victimes de s’en remettre ?
Il y a des actions qui se mènent. Mais, est-ce que c’est conséquent ? Le problème est situé à ce niveau. Il faut peut-être réorienter ça. Il faut peut-être une synergie d’actions pour plus de résultats. Sinon, la plupart des femmes que j’ai rencontrées n’ont pas été prises en charge.
Il y en a qui ont des idées suicidaires jusqu’à présent. Certaines m’appellent et me disent : « Mariam je ne sais plus ce que je vais devenir. Je vais repartir dans ma zone quitte à ce qu’on me tue ». Peut-être en étant là-bas, elle peut avoir facilement accès au bois de chauffe, à l’eau… Etant à Kaya, c’est souvent difficile parce qu’elles sont désorientées dans une ville assez grande qu’elles ne maîtrisent pas. Il y en a qui repartent et quand ça chauffe encore, elles reviennent.
Sur certains sites de déplacés internes, il y a des spécialistes de la santé mentale. Même dans les structures sanitaires, il y a des ONG qui ont posté des psychologues, des attachés en santé mentale. Cependant, est-ce que la prise en charge est conséquente ? Je ne veux pas m’étaler sur un aspect sur lequel que je n’ai pas suffisamment investigué. Le peu de femmes que j’ai rencontrées n’ont pas bénéficié de prise en charge conséquente parce que ce sont des traitements à vie. Il ne suffit pas de venir échanger avec elle aujourd’hui et demain croyant que ça va passer. Le traumatisme est silencieux. Il met même des années avant de se manifester, n’en parlons même pas de la guérison. C’est un traitement de longue durée.
Quelle est la solution pour mettre fin aux violences à l’égard des femmes ?
Pour éviter que des femmes soient violées ou séquestrées par les terroristes, il faut mettre fin au terrorisme. C’est la principale mesure. A défaut, on peut réduire les impacts en disponibilisant les services de santé. C’est vrai que la plupart des viols ont eu lieu dans les zones où il n’y a plus l’armée, l’administration encore moins les services de santé. Peut -être que s’il y avait les services de santé, certaines femmes auraient pu éviter à temps, les grossesses et les infections.
Il est important de mettre l’accent sur la sensibilisation, permettre aux femmes d’avoir accès à l’information, de savoir que quand on subit un viol, dans les 72 heures qui suivent, on doit se rendre rapidement dans un centre de santé pour bénéficier des soins. Il y a des kits qui sont des contraceptions d’urgence disponibles dans les centres de santé. Il y a aussi les traitements antirétroviraux pour ce genre de situation. Pour ce faire, il faut amener les femmes très tôt dans un centre de santé. Et s’il n’y a pas de centre, comment vont-elles faire même si elles ont l’information ?
Quelle peut-être la contribution des femmes journalistes dans cette lutte ?
Pas uniquement les femmes journalistes. Tous les journalistes doivent s’impliquer. Avant qu’on ne pose le débat, il faut parler du problème. On a l’habitude de dire qu’il appartient aux journalistes de lever le lièvre. Donc, il faut lever le lièvre sur tous ces sujets qu’on appelle sensibles. C’est parce qu’on n’en parle pas que ça reste sensible. Si on se mettait ensemble à parler de ces sujets, à mettre en lumière, à poser les débats sur les places publiques, vous allez voir qu’au fur et à mesure, ça ne sera plus un sujet tabou. Nous devons mettre l’accent sur des productions sensibles pas uniquement sur les femmes, mais sur tous les sujets qu’on met de côté.
C’est à nous, hommes journalistes, femmes journalistes de faire notre travail d’information. Mais, c’est vrai que lorsque l’on est femme, on se sent plus concerné par ce qui arrive aux femmes. On a un combat. On nous attend sur le terrain. C’est à nous de foncer avec l’accompagnement de nos médias bien sûr, parce que ce n’est pas facile d’aller sur le terrain et traiter ce genre de sujet. Cela demande beaucoup de moyens et de sacrifices. Ensuite, il appartient à toute la société et aux décideurs d’agir.
Marie Sorgho