Fonctionnaire à la retraite et membre de l’ONG Voix des femmes, Eulalie Yerbanga Ouédraogo fait partie des femmes qui se distinguent, de par leur leadership au Burkina Faso. Très dynamique, elle inspire tant au niveau social que professionnel. Nous l’avons rencontré, ce jeudi 26 octobre 2023.
Sourire aux lèvres, télécommande en mains, pieds nus, ainsi nous accueille devant sa porte, Eulalie Yerbanga Ouédraogo. C’est une dame à la silhouette assez généreuse avec un teint caramel et une taille moyenne. Une fois à l’intérieur, c’est bienvenue l’ambiance familiale autour d’enfants et petits-fils, dans un salon disposé à accueillir une vingtaine de personnes. A 70 ans révolus, madame Yerbanga donne pourtant d’en avoir dix ans de moins. Son air jovial et affable y est certainement pour quelque chose. « Installez-vous et faites comme chez vous ! », dit-elle pour nous mettre à l’aise.
Eulalie Yerbanga Ouédraogo est veuve et mère de cinq filles. Battante et dynamique, elle a gravi tous les échelons de l’administration jusqu’à terminer sa carrière en tant que conseillère technique au ministère en charge de la femme.
Pourtant, il a fallu de la chance et la détermination d’une mère pour que madame Yerbanga puisse en arriver là. En effet, à 14 ans et alors, élève en classe de CM2, Eulalie Yerbanga Ouédraogo frôle la vie de couple alors qu’elle vient d’échouer au certificat d’entrée en classe de 6e. Elle s’en rappelle comme si c’était hier. « J’étais dans une école privée catholique qui était gratuite au départ. Mais en 1965, l’église catholique a commencé à se retirer de l’éducation en demandant aux parents de contribuer à l’éducation des enfants. Les parents sont sollicités pour payer la scolarité et c’est 300 francs par enfant. Comme j’ai repris la classe, mon petit frère m’a rejoint au CM2 et mon père a trouvé important de solder la scolarité de mon petit frère parce que je vais me marier. J’ai alors commencé à pleurer parce que c’est moi qui allais faire tous les travaux à la maison », se remémore-t-elle.
N’eut été la détermination de sa mère, elle serait déscolarisée et peut être mariée très tôt. « Ma mère s’est débrouillée pour avoir les 300 francs qu’elle a remis à mon papa pour qu’il m’amène à l’école. Je peux dire que je suis celle que je suis aujourd’hui, grâce à ma maman », explique Eulalie Yerbanga.
Le temps a passé. Madame Yerbanga a pu poursuivre ses études d’où son engagement pour l’épanouissement de la jeune fille.
Eulalie Yerbanga Ouédraogo, une amazone inspirante
Eulalie Yerbanga Ouédraogo s’est engagée dans la société civile avec l’ONG Voix des femmes. Depuis 2013, elle est membre de la Coalition nationale contre le Mariage d’Enfants au Burkina (CONAMEB) où elle mène avec tous les membres de l’association, des activités pour lutter contre le mariage d’enfants.
« L’objectif de la lutte, c’est de permettre aux filles d’aller à l’école et de ne pas être mariée très jeunes. Pourtant, nous savons que c’est l’éducation qui est à la base du développement et pour que la fille y participe, il faut qu’elle soit éduquée », souligne-t-elle.
Quand il s’agit de l’épanouissement de la jeune fille, madame Ouédraogo n’est jamais fatiguée. « Nous avons travaillé ensemble dans le cadre d’un projet mis en œuvre dans la Boucle du Mouhoun de 2018 à 2021. Cela fait que je la connais comme une femme très dynamique, battante et engagée dans la lutte contre le mariage d’enfants ainsi que contre tout ce qui est violences basées sur le genre », témoigne Noélie Sinaré, une collaboratrice qui ne tarit pas d’éloges à son égard. Et de poursuivre : « c’est un modèle pour moi parce que malgré son âge, elle est partout. Quand elle a des missions et des activités à mener, elle se bat ».
Koffi Badolo est un autre collaborateur de dame Yerbanga, au sein de la CONAMEB. Il loue ses qualités humaines et son abnégation au travail. « Ça fait une dizaine d’années que je connais madame Yerbanga dans le cadre des activités de la CONAMEB. Pour ce qui est de sa personne, c’est une qui collabore avec tout le monde. Je n’ai personnellement rien à lui reprocher sur le plan comportemental. A chaque fois, qu’il y a une rencontre, si on me fait parvenir un mail, elle se rassure que j’ai réussi le mail en m’appelant au téléphone. C’est une qui aime aussi l’humour. Elle arrive à mettre tout le monde à l’aise. Je ne savais pas comment son époux est décédé mais, c’est elle même qui nous a racontés comment ça s’est passé. Cela m’a permis de comprendre que c’est une femme très courageuse, qui a pu supporter ce moment difficile. », déclare-t-il.
Une mère de famille aimante et stricte
Mère de cinq filles, madame Yerbanga et son défunt époux ont donné une éducation stricte à leurs enfants. « Je n’ai pas fait la différence entre éduquer une fille et éduquer un garçon. Toutes mes filles, du vivant de leur papa, paix à son âme, on les a élevés comme si c’était des garçons. Donc, elles faisaient aussi ce que les garçons pouvaient faire. Elles jouaient au ballon et quand elles partent à l’école avec leurs vélos, personne ne colle le vélo s’il y a crevaison. Leur papa leur a tout appris pour qu’elles se débrouillent, pour ne pas nécessairement avoir besoin de l’aide d’un homme », nous explique-t-elle.
Ces filles la trouvent attentionnée et très aimable au point qu’elles n’arrivent pas à se détacher d’elle, « Même étant mariée, je suis ici, tous les jours, matin, midi et soir. Quand je vais au boulot le matin, je passe ici et je repasse le soir en rentrant. Nous sommes cinq filles et elle s’est bien occupée de nous. Elle est vraiment exceptionnelle », témoigne madame Ouarma, sa deuxième fille.
Des propos corroborés par Fayçal Elvis Ouarma, petit-fils d’Eulalie Yerbanga Ouédraogo. « Nous venons tous les jours jouer avec mami ici et nous regardons la télé, ensemble. Parfois, quand on joue elle nous exhorte à arrêter de jouer afin d’aller bosser », indique-t-il.
Abdoulaye Ouédraogo