Face aux récurrentes attaques dont elles ont été témoins et victimes, fuir leurs localités a été leur dernier recours pour avoir la vie sauve. Désormais éparpillées dans les treize(13) régions du Burkina Faso sur des sites ou dans des familles d’accueils, près de 271 milles personnes sont déplacées dans leur propre pays. Cette situation d’un genre nouveau a conduit à la mobilisation des dirigeants, des ONG et des citoyens pour apporter une aide humanitaire aux personnes déplacées internes. Reportage.
Deux femmes tirant chacune une charrette qui contient quelques effets qu’elles ont pu sauver. Sur leurs visages, la fatigue se lit ainsi qu’un mélange de tristesse et de désespoir. Même si elles sont épuisées, elles doivent continuer leur marche afin de fuir les zones de conflits. Des femmes, bébés au dos marchent en file indienne à côté de leurs bagages transportés sur des charrettes tirées par des ânes. Des images comme celles-ci, on en trouve à la pelle sur la toile. Elles sont encore plus choquantes quand on sait que cela se passe dans notre pays. Des familles entières ne savent plus où aller, des enfants sont déscolarisés, de nombreuses écoles ont fermées, des femmes et des hommes ont abandonnés leurs foyers précipitamment sans être sûr d’y revenir. Et pour cause, le vivre-ensemble, la paix et la tranquillité n’y règnent plus.
Les populations qui, jadis vivaient paisiblement ensemble sont aujourd’hui en proie à des violences, des conflits, des tueries, des vols, etc. La solution ? PARTIR, sauver ce qui peut encore l’être et fuir. Oui, mais pour aller où ? La destination choisie l’est en fonction de la paix qui y règne et de la distance d’avec leurs zones de départ. Djibo, Kaya, Ouahigouya, Kongoussi, Ouagadougou et pratiquement tous les chefs-lieux des 45 provinces du Burkina Faso sont maintenant des refuges pour ces burkinabè déplacés internes dans leur propre pays.
Lorsqu’ils arrivent dans une localité, ceux qui ont des connaissances sur place s’installent dans les familles d’accueils. Les autres se retrouvent sur les sites prévus à cet effet. C’est le cas pour les ressortissants du village de Silgadji (60 km de Djibo) accueillis sur le site de déplacés de Panzani. Situé en périphérie de Ouagadougou, le site de Panzani est une école qui abrite depuis le 08 juin 2019 des déplacés internes.
Il est 16h quand nous arrivons sur le site. Ce qui tape à l’œil directement, c’est le grand nombre d’enfants et de femmes. Il y a 174 enfants et 47 femmes sur un total de 253 personnes. Parmi elles, on compte des personnes âgées, des femmes enceintes, des nouvelles mamans, des malades en plus des jeunes et des petits enfants. Assises par groupes sur des nattes, des bidons, des briques ou à même le sol, les femmes discutent entre elles. Les enfants courent et s’amusent. Les hommes moins nombreux, sont assis sous un arbre à l’écart.
Nous saluons le premier groupe de femmes et demandons à nous entretenir avec elles. Avec gêne, une femme nous indique une direction en disant : « Allez-y là-bas, nos hommes y sont ». Nous rétorquons que c’est surtout avec les femmes que nous voulons parler. Agacée, elle nous dit d’aller voir dans le groupe de devant. Là, une jeune femme se lève et nous conduit à une autre qui, selon elle, est la responsable des femmes. Cette dernière, une jeune dame d’environ 30 ans, accepte de nous parler après nous ayons insisté.
Partir, l’ultime option pour survivre
Elle se nomme Mariétou Ouédraogo, ressortissante de Silgadji. Elle a fui les conflits avec sa famille car son village était devenu invivable. Là-bas, à l’instar de plusieurs villages de la province du Soum, il ne reste que quelques habitants. En quête de survie, ils n’ont pu emporter que peu d’affaires, abandonnant matériel et bétail. Résultat : ils leur manquent beaucoup de choses.
Pendant la discussion avec Mariétou, les hommes arrivent sans doute alertés par l’attroupement que les enfants ont formé autour de nous. Ils se renseignent sur notre présence puis, rassurés que nous ne leur voulons aucun mal, ils se joignent à la discussion. Ils sont rejoints par quelques femmes.
« Quand on vient tuer ton voisin, à moins d’un kilomètre de chez toi, tu sais que le suivant c’est toi »
« On ne décide pas de tout quitter, de fuir avec sa famille et surtout avec des petits enfants comme ça sauf si on a plus le choix » nous dit Sidiki Sawadogo, l’un des rares hommes sur le site. Et de renchérir: « Quand on vient tuer ton voisin, à moins d’un kilomètre de chez toi, tu sais que le suivant c’est toi. On a préféré partir avec nos familles pour ne pas mourir.
Si certains ont encore du mal à réaliser, d’autres tentent de trouver un moyen de se familiariser à cette nouvelle situation. C’est le cas de Oumarou Sawadogo qui est en quête d’emploi. « On vient d’arriver mais on cherche du travail. Même si tout de suite, quelqu’un nous donne du boulot, nous sommes prêts parce qu’il faut qu’on trouve un moyen de réinscrire les enfants à l’école. Nos enfants n’y vont plus depuis 2016. Aujourd’hui, certains d’entre eux auraient dû passer le CEP mais la situation ne le permet pas. Les enseignants ont fui parce que des gens venaient les menacer avec des armes. » raconte-il.
« Quand on a rien, on ne trie pas »
Depuis leur arrivée, ils reçoivent les repas dans des kits deux fois par jour et une citerne d’eau chaque deux jours. Il y’ a une infirmerie proche du site dans laquelle ils reçoivent des soins gratuitement. Cependant, des difficultés subsistent. Nous leur demandons ce dont ils ont le plus besoin. Les langues commencent alors à se délier. Ils nous disent qu’il n’y a pas assez de nattes pour tous, pas de marmites pour cuisiner, pas d’argent pour louer plus de maisons, acheter du bois de chauffe, etc.
« Quand on n’a rien, on ne trie pas. On prend tout ce qu’on donne. On est venu avec peu de choses donc s’il y a des bonnes volontés qui peuvent nous aider, nous on prend tout » affirme Mariétou Ouédraogo
« Les salles de classes ne sont pas suffisantes. Il y en a 07 en tout pour nous tous et nous les louons à 12.500 francs le mois chacune. C’est cher » estime Sidiki Sawadogo
« Dans notre hâte de partir, peu de femmes ont pu emporter leurs ustensiles de cuisine. C’est donc les marmites de la cantine de l’école que nous utilisons. En outre, il y’a des femmes qui viennent d’accoucher et elles ont besoin d’utiliser l’eau chaude mais il n’y a pas de bois de chauffe. On manque de nattes et lorsqu’il pleut, nous sommes dehors parce qu’il n’y a pas assez de place dans les salles pour nous tous. Cela nous expose à des maladies surtout les bébés », déplore Mariétou Ouédraogo. « La nourriture qu’on nous apporte est déjà préparée donc si on dépose pour manger après, ça se gâte. On veut pouvoir cuisiner nous-même », souhaite Kady Yaméogo, une jeune dame portant un nourrisson dans les bras.
Les déplacés du site de Panzani espèrent que la paix reviendra au Soum afin qu’ils puissent repartir. « Nos parents sont nés là-bas, nous et nos enfants aussi. On ne sait pas quand la paix va revenir mais on prie Dieu pour que ça revienne vite afin qu’on reparte. » confie Oumarou Sawadogo. Cette prière, Oumarou Sawadogo n’est pas le seul à la faire. La grande question reste : Quand cela arrivera-il ?
En attendant de pouvoir repartir chez eux, ils vivent d’aides de tous genres fournies par le gouvernement, les ONG, les associations, les citoyens lambda, etc.
« Faisons un geste »
« Faisons un geste » est une action humanitaire née de la volonté des citoyens de mobiliser des ressources pour venir en aide aux déplacés internes. Nous avons rencontré l’un des membres de cette action, Abdoulaye Diallo, le coordonnateur du Centre National de Presse Norbert Zongo (CNPZ). « On a pris conscience de l’ampleur des déplacés internes conséquence de l’insécurité. Les gens sont dans leur confort à Ouaga mais ils ne savent pas qu’autour ça chauffe. On s’est dit qu’en tant que citoyen, il fallait qu’on fasse quelque chose pour aider nos frères et sœurs en difficulté. » explique-t-il.
Lancée le 1er Aout 2019, l’opération de collecte « faisons un geste » est prévue pour durer trois mois. « Notre objectif, est que chaque burkinabè qui se sent concerné par la situation des déplacés puisse apporter sa contribution. », explique Abdoulaye Diallo. Que ce soit un habit, des vivres, une moustiquaire, de l’argent, un abri, un seau ou une natte, tout ce qui peut aider les personnes déplacées qui manquent de tout est reçu par les initiateurs de « faisons un geste ». Ils s’organisent à leur tour pour acheminer les dons aux concernés.
A la fin de la première opération de collecte, les dons reçus ont été répartis dans les zones de Kaya et de Barsalogho. « Nous avons apporté près de 60% des dons récoltés à un vieux pour venir en aide aux 400 personnes logées chez lui. », affirme Abdoulaye Diallo. Une partie des dons a été reversé au Conseil National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation (CONASUR) pour aider les autres. En termes de bilan, les initiateurs estiment que la récolte est bonne mais elle reste inférieure aux besoins des personnes déplacées internes. « On souhaite que les populations réagissent un peu plus, que les personnes fortunées, les entreprises et autres puissent aussi participer à la campagne parce qu’on traverse une situation difficile ».
Les dons en nature sont directement reçus dans les différents centres de collecte. Des urnes, des comptes Leetchi.com, Mobicash et Orange Money sont disponibles pour les contributions financières. L’action humanitaire « Faisons un geste » prévoit également l’organisation d’une soirée de collecte ainsi que celle d’un concert dont le prix d’entrée sera un apport pour les déplacés : une natte, un seau, un sac de riz, etc.
85% des déplacées sont des femmes et des enfants
Le Burkina Faso enregistre depuis 2016 des Personnes Déplacées Internes (PDI) du fait de l’insécurité. En fin décembre 2018, on en dénombrait 47.826 reparties principalement dans les régions du Sahel, du Nord et du Centre-Nord. Le nombre de déplacés est passé de 87.000 en janvier 2019 à 270.776 à la date du 16 Août 2019. Désormais, les personnes déplacées internes sont présentes dans les treize (13) régions du Burkina à travers 37 provinces et 97 communes. 85% des déplacés sont des femmes et des enfants soit environ 230.159 personnes sur les 270.776.
Face à cet accroissement, le plan de réponse humanitaire mis en place en février 2019 montre ses limites. Un plan révisé est alors lancé le 19 Août 2019 à l’occasion de la journée mondiale de l’aide humanitaire. Selon Metsi Makhetha, coordinatrice résidente du système des Nations Unies, « le plan d’urgence prévoit une assistance humanitaire qui tiendra compte aussi bien des personnes déplacées que des communautés hôtes vulnérables. ». Le budget du plan d’urgence révisé est estimé à 187 millions de dollars et réparti comme suit : 70,9 millions affectés à la sécurité alimentaire, 66,9 millions à la gestion des conséquences de l’insécurité, 31,4 millions pour la nutrition, 14,1 millions pour l’assistance aux réfugiés, 2,3 millions à la coordination des urgences et 1,4 millions pour la préparation aux urgences.
Le site de déplacés de Panzani est une école. Avec la rentrée scolaire qui s’annonce, qu’adviendra-t-il de ces femmes, enfants et hommes qui ont cette école pour habitation ? La ministre de la femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire, Hélène Marie Laurence Ilboudo/Marchal rassure : « Nous sommes en train de construire deux(02) autres sites au Centre-Nord pour désengorger les écoles qui sont actuellement occupées ». Selon elle, ces sites sont presque fonctionnels, les personnes déplacées qui sont encore dans les écoles s’y installeront. Ainsi leur prise en charge sera plus facile et plus adaptée puisqu’elles seront toutes au même endroit.
Cela suffira-t-il à soulager les milliers de personnes présents sur les sites et ceux qui sont dans les familles d’accueils ? A quand la fin du calvaire des personnes déplacées ?
Faridah DICKO