Éveline Marie Fulbert Windinmi Compaoré Sawadogo n’aspirait pas à faire des études scientifiques. Cependant, au fil de sa carrière, la chercheure d’origine burkinabè a réussi à s’imposer grâce à sa détermination et son courage. Ses importantes trouvailles lui ont valu plusieurs distinctions parmi lesquelles, double lauréate de Award African Women for Agricultural Recherche and Development, lauréate du prix de l’excellence de la recherche scientifique 2024 et bien d’autres. Elle marque ainsi le monde de la recherche scientifique et de l’innovation par les résultats de ses travaux. Éveline Compaoré, cette femme scientifique exceptionnelle sort de l’ombre. Dans cet entretien, découvrons son parcours inspirant !
Veuillez-vous présenter !
Je suis Maître de Recherche en Sociologie du Développement des systèmes d’innovation agricoles, en poste au Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST) à l’Institut l’Environnement et de Recherches Agricoles (INERA).
Parlez-nous de votre parcours !
Ma carrière dans la recherche scientifique a débuté avec mon inscription en thèse en 2010 à l’Université de Nottingham en Angleterre, grâce à mon époux qui a cru en moi et à qui, je voudrais par votre micro, dire un grand merci pour son soutien renouvelé. J’avais bénéficié en son temps, d’une mise en position de stage en tant que fonctionnaire, professeur des lycées et collèges) de l’Etat. A la fin de mes études en 2014, de retour au pays, j’ai rejoint le CNRST en 2015.
J’ai un Doctorat Unique en Sociologie et Politiques Sociales qui est ma spécialisation, c’est ce que les anglais appellent Science, Technology, and Society (STS). En français Science, Technologie et Société avec un focus sur l’Agriculture. C’est donc, pour cela que j’ai demandé à rejoindre l’INERA en septembre 2015.
Depuis cette date, grâce à des projets de recherches et recherches-développement, je travaille sur les questions liées aux innovations agricoles dans sa dimension sociale, en équipe avec les sélectionneurs, les entomologistes, les agronomes etc… En réalité, les technologies et les innovations agricoles doivent répondre aux besoins de ceux pour qui, elles sont créées.
Comme thèmes de recherche, j’ai entre autres, les systèmes d’innovation (nationales, sectorielles, organisationnelles), les approches de diffusion des innovations, les constructions sociales de la technologie et de l’innovation agricole, les approches de diffusion de l’innovation dans l’agriculture et l’environnement. J’ai contribué, de ce fait, à la formation des facilitateurs d’innovation dans le cadre du Projet CDAIS (Capacity Development for Agricultural Innovation System) en 2019.
J’aborde aussi les inégalités d’accès et d’usage des innovations dans l’agriculture, le genre et la diversité dans l’agriculture et le développement dans une perspective de recherche action, les politiques du système alimentaire et du travail agricole.
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Avez-vous, d’autres expériences dans le domaine ?
Je suis responsable de la section genre et diversité et ce, depuis début 2023 au compte du Centre d’excellence basé à l’Université Joseph Ki Zerbo. Je suis aussi membre du comité de pilotage du Centre International d’Amélioration des céréales (CYMMIT) depuis 2023. Je suis Co-PI des projets GreenGade sur l’agriculture climato-intelligent financé par The Federal Ministry of Education and Research (BMBF), le projet Feed the Future Innovation Lab for Crop Improvement sur les préférences variétales financé par l’USAID en collaboration avec plus d’une dizaine de pays, le projet Edith 2 sur la dynamique des pratiques agricoles sur la gestion des sols, financé par JIRCA (Centre international recherche en science agricole au Japon).
Je participe en tant que chercheur et responsable de section de recherche à plusieurs projets comme West Africa Virus Epidemiology (WAVE), et sur l’initiative Development Smart Innovation through Research in Agriculture (DeSIRA) qui regroupe plusieurs pays de l’Afrique et d’Europe financée respectivement par la fondation Gate et par l’Union Européenne. Ces initiatives me permettent de collaborer avec des institutions internationaux (CGIARs), des universités et des centres de recherches au niveau national et à travers le monde.
Déjà au début de ma carrière, j’ai été doublement lauréate de Award African Women for Agricultural Recherche and Development du français femme africaine pour la Recherche agricole et le développement en 2018 et en 2019. Ce programme m’a vraiment aguerrie et outillée en tant que jeune chercheur femme. J’ai bénéficié de prises en charges pour des participations à plusieurs conférences, tables rondes et mes interventions aux instances scientifiques de haut niveau comme c’est le cas d’une communication aux Nations Unies aux USA en 2023 et au Forum Scientifique Mondial sur la Science pour une Justice Sociale en Afrique du Sud en 2022.
Au début de ma carrière, c’était difficile.
Qu’est-ce qui vous a motivée à vous lancer dans la recherche scientifique ?
Je disais tantôt que c’est grâce à mon époux que j’ai fait le doctorat, c’est en fait le début de la motivation. Je dirai que l’appétit vient en mangeant. Je crois que c’est vraiment mon cas.
Au début de ma carrière, c’était difficile parce que quand on m’a recrutée, je ne savais pas trop quoi faire ni avec qui, travailler. Mais, une année après, j’ai commencé avec les opportunités que je pouvais saisir. Que ce soit la participation aux conférences ou aux écritures de projets, je me suis lancée à fond ! Ce sont ces instances qui m’ont permis de montrer mes capacités et compétences et qui me font connaître et être en contact avec mes pairs scientifiques. C’est à partir de là que j’ai commencé à mesurer que je peux aussi être là où certains chercheurs, d’ici et d’ailleurs, se trouvent.
Alors, dès que j’ai décroché ma première reconnaissance de Award en 2018, j’ai compris que tout est possible, il faut mettre du sien. C’est ainsi qu’en 2019, j’ai été reconnue comme 1ère, de ma cohorte de lauréates, en matière d’approche et de méthodes de recherches utilisées dans mes recherches. Ces deux reconnaissances m’ont, non seulement lancée dans ma carrière; Mais, elles m’ont aussi permis d’avoir une grande confiance en moi, bien sûr, avec beaucoup de sacrifices.
Qu’est-ce qui est passionnant dans ce métier ?
Hummm !!! Il y a beaucoup de passions. Vous voyez, quand par votre publication ou bien, par votre présentation lors d’une conférence, quelqu’un s’approche de vous et vous dit qu’il a beaucoup appris de vous à travers votre publication ou présentation, et ce quelqu’un, vous avez eu l’occasion de lire ses travaux et de le citer dans vos travaux, vous imaginez ce que cela fait ? Ça vous propulse !
Aussi, en tant que sociologue à l’INERA, je travaille en équipe avec les sélectionneurs, les entomologistes etc… et cela permet de voir la complémentarité dans ce que chacun fait. Quand mes résultats de recherches éclairent un temps soit peu, le travail du sélectionneur, quand à travers l’approche participative, j’arrive à engager les parties prenantes dans une synergie de recherche action, c’est vraiment passionnant. Si par mes publications, une équipe internationale de chercheurs m’invite à me joindre à eux pour rédiger un projet de recherche, je me rends compte que moi aussi, j’apporte quelque part, de l’éclairage scientifique dans mon domaine d’expertise et c’est très encourageant et passionnant !
« Je suis reconnaissante pour ce prix ».
Pour ce prix d’excellence, votre thème porte sur «Système d’innovation agricole, genre et développement inclusif», quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Je suis depuis ces cinq dernières années, en plein dans une approche holistique de système d’innovation agricole avec un focus sur les end users ou parties prenantes. L’objectif, c’est de vraiment prendre en compte ces parties prenantes en tenant compte de leur différence d’âge, de sexe, de niveau d’éducation, d’expériences vécues etc. afin de mieux comprendre et d’être le plus inclusif possible dans le processus de développement et de diffusion des innovations agricoles. Ces spécificités, si elles ne sont pas intégrées et prises en compte, la mise en œuvre réussie des projets de développement n’est pas possible. Ça demande du temps et des moyens financiers pour les mener à bien.
Lors de la 4e édition de la Nuit de l’Excellence Scientifique, vous avez remporté un prix dans le domaine science de l’homme et de la société. Comment vous sentez-vous ?
C’est un honneur. Et j’en suis reconnaissante à cet effet, envers ceux qui m’ont décernée ce prix : 10 millions, un trophée et une attestation. Je dois dire que c’était une surprise pour moi. Je dis merci à ceux qui ont porté ce choix sur ma personne.
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Que représente pour vous, ce prix de la Nuit de l’Excellence ?
C’est un appel à poursuivre et surtout, à mieux faire. En matière de recherche, une solution va toujours ouvrir une autre question… C’est une quête permanente et je promets de vraiment redoubler d’efforts dans cette quête de meilleurs résultats pour booster le secteur agricole et environnemental.
Après cette distinction, quels sont vos projets pour la suite !
Les projets pour la suite, c’est de continuer dans la même lancée. C’est un travail d’équipe que ce soit au niveau de mon institut ; Mais aussi et surtout, hors de mon institut avec d’autres collègues dans les autres centres de recherches et universitaires au Burkina et partout ailleurs.
Je donne cours aussi dans les universités comme Université Joseph Ki-Zerbo, Tenkodogo et ENESA et j’encadre plusieurs étudiants en master comme en thèse, ce sont des plateformes de partage de nos modestes connaissances avec les plus jeunes.
Enfin, c’est de poursuivre le travail d’équipe actuel sur le développement et la diffusion des technologies agricoles.
Entretien réalisé par Françoise Tougry
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