Ce document de vulgarisation est tiré de l’article intitulé « Recherche participative pour développer la filière de l’igname au Burkina Faso : Enrôlement des acteurs et place des chercheurs du projet YAMSYS» publié dans la revue dans la revue Africaniste Inter-Disciplinaire, Septembre 2024 N0 67 fais un décryptage anthropologique de la fête de l’igname, institué depuis 32 ans dans la commune rurale Léo au Burkina-Faso. Ses allures de foire, et de journées promotionnelles sont illustratifs de son caractère multi-dimensionnel diversement instrumentalisé par les parties-prenantes. Ces lieux sont traités d’espaces neutres, vides et remplis, traduisant une image complexe où la socialisation, la fête, et les échanges sont autant importants que le commercial. L’objectif de cet article, est d’approfondir la dimension « situation d’échanges », correspondant à ces lieux et leur scénographie mais également les relations sociales qu’ils instaurent, les enjeux culturels, communicationnels et identitaires, individuels et collectifs qu’ils suscitent. Je pars des enquêtes de terrain menées sur l’espace de la foire et auprès du comité d’organisation ; puis des observations participantes, flottantes de diverses situations d’échanges effectuées. Les dimensions historiques et culturelles de la fête sont mises en valeur et exposées pour symboliser un lien entre des lignages et un produit. L’apparition de nouveaux acteurs dans l’espace de la fête entraine une reconstruction sociale de la fête. De nouveaux enjeux socio-économiques et politiques émeArgent autour de l’igname.
Introduction
Notre recherche porte sur les journées promotionnelles des tubercules (JPT) à Léo. La commune rurale de Léo se situe dans la région du Centre-Ouest du Burkina Faso. Elle constitue le chef-lieu de la province de la Sissili est situé à 130 km de Ouagadougou et de 13 km du Ghana. Ces villages sont majoritairement occupés par les Nuni et les Sissala, dont la civilisation séculaire s’est faite autour de la culture des ignames (Belem, 1998). C’est une zone agro-climatique de type soudano-sahélienne où tombe plus de 900 mm d’eau par an (Lejeune et Saeed, 2019).
Les JPT ont d’abord existées sous le vocable de « fête de l’igname » de 1991 à 2008. Depuis 2008 suite à la crise alimentaire, la politique gouvernementale de promotion des produits locaux a été élaborée et la fête de l’igname devient progressivement « journées promotionnelles des tubercules » dès 2009. Nonobstant ces changements la fête de l’igname a toujours existé depuis 1991 à nos jours et défraye la chronique à chaque édition. Alors, pourquoi lui consacrer une attention ? Parce que c’est une foire qui depuis 32[1] ans déjà, cumule 26 éditions, se réalise toujours dans le premier trimestre de l’année et qui se contente de se tenir, de se maintenir sans un impact réel sur la filière igname. Cette répétition sans analyse socio-anthropologique m’a justement semblé mériter attention. De plus, aujourd’hui, la célébrité de cette foire croît certes mais sa vitalité vacille.
Je voudrais rappeler rapidement comment et pourquoi j’en suis venue à parcourir les JPT de Léo. J’étais doctorante dans le projet de recherche YAMSYS (yam system ou système d’igname). Lors de sa deuxième réunion annuelle tenue en février 2017 en Côte d’Ivoire, le gestionnaire du site de Léo expose la demande de soutien aux JPT de l’union provinciale des groupements de producteurs de tubercules de la Sissili (UGPTS) aux porteurs du projet. Ils ont été intéressés à plus d’un titre puisqu’ils travaillaient sur les pratiques d’amélioration de la production de l’igname. Alors, le projet YAMSYS décida d’apporter une contribution financière et scientifique à cette fête et c’est ainsi que j’ai été désignée pour faire une « observation de l’intérieur. D’où notre objectif d’appréhender en profondeur cet événementiel. Après ma participation à la 24ème édition, j’ai jugé nécessaire d’observer plusieurs autres éditions afin d’approfondir et croiser les informations collectées sur des JPT. Les expressions « journées promotionnelles », « ville festive », « fête de la pomme de terre », « fête des masques » « fête de l’igname », rendent compte d’un phénomène tant urbain que rural qui a une dimension évènementielle. Ces expressions indiquent l’attractivité culturelle et économique ainsi que l’éruption de nouveaux acteurs (Lallement, 2013).
Selon les politiques en charge du développement rural et de la lutte contre l’insécurité alimentaire, le développement d’une localité viendrait de sa spécification productive. Ainsi chaque région s’identifie sur le plan économique, artistique, et social par ses potentialités productives. Ainsi, dans la commune de Léo, l’igname est l’une des potentialités à caractère multifonctionnel. L’igname remplit des fonctions alimentaires, sociales et marchandes. Depuis une décennie, le système igname se restructure pour mieux promouvoir ses chaînes de valeur, d’où l’usage des JPT. Ces JPT constituent des cadres de rencontre communément appelé foire. Ainsi pour le consommateur, la foire est à la fois un lieu de rassemblement social qu’un lieu d’accès à des marchandises. Pour le producteur, c’est un cadre d’écoulement de ses productions qui trouvent une multitude de preneurs dans un espace-temps. De plus la foire lui permet de s’informer sur la demande des villes pour saisir les opportunités existantes, de même que sur les conditions du marché. Quant aux différentes catégories de commerçants (grossistes, demi-grossistes, détaillants) c’est une circonstance à saisir pour acquérir une quantité importante de produits y compris ceux venant de loin et fidéliser un grand nombre de producteurs.
Ceci étant posé, la question que soulèvent les JPT de Léo est celle de sa survie et de son caractère innovant et dynamique en termes d’échange. Comment expliquer la pérennité de cette foire rurale ? À quels échanges les JPT donnent-t-ils lieu ? Pour répondre à ce questionnement, il me faut avant tout rendre compte de la sociabilité issue des échanges réalisés sur l’espace construit pour les journées promotionnelles. Plusieurs auteurs ont étudiés dans diverses disciplines les foires, les marchés. J’aimerais aborder ce sujet à partir de la perspective interdisciplinaire de l’anthropologie de la communication (Winkin, 2001), qui se situe à la croisée du champ de l’anthropologie et de celui de l’information et de la communication. Les principes de cette anthropologie, ont été élaborés grâce aux travaux de Gregory Bateson, de Ray Birdwhistell, de Dell Hymes et d’Erving Goffman (Winkin, 2000). Ils peuvent m’aider à comprendre l’institution des JPT comme un phénomène social, à partir des faits interactionnels engendrés par la situation d’échange.
Méthodologie
La présente recherche étudie la fête de l’igname à Léo comme un vecteur de discours et d’échanges tant symbolique que marchand qui sont révélateurs des attentes des différents acteurs impliqués dans la fête individuellement ou collectivement. Je cherche à comprendre en quoi cet évènement présente un réel intérêt et comment elle illustre sa place en tenant compte des attentes actuelles. Je m’intéresse aux processus communicatifs « non pour les étudier par ou pour eux-mêmes, mais pour les construire comme des micro-événements qui contribuent, par leur performance même, à l’accomplissement de l’ordre social ordinaire » (Sélic, 2006 : 170). J’ai opté pour une approche socio-anthropologique pragmatique qui me permet de faire une analyse à la fois qualitative et inductive du terrain de nos données empiriques et de mes observations. Avant la collecte de données, mon projet de recherche a été validé, j’ai également fait une recherche de littérature sur les évènementiels en général et sur des études anthropologiques qui ont centré leurs intérêts sur ces derniers. J’ai également recensé les articles de presses sur les JPT de la Sissili. J’ai interviewé une dizaine de personnes dont des producteurs, des transformateurs, des commerçants, des chercheurs, des acteurs politiques, des invités institutionnels, et des consommateurs. J’ai utilisé la photographie comme un trait efficace complément à l’observation.
Résultats
- De la fête de l’igname à la journée promotionnelle des tubercules
Comme présenté brièvement en introduction la fête de l’igname a été créée dans les années 1990. Les initiateurs seraient deux amis producteurs d’igname venant du village de Léo et de celui de Kayéro situé au nord à 15 km de la commune de Léo. La commune était très enclavée et produisait de forte quantité d’igname non accessible aux consommateurs de Koudougou et Ouagadougou du fait de la mauvaise qualité de l’infrastructure routière. Les deux amis sont descendants du lignage des Nignan. En rappel la famille des Nignan détient la fonction de chef de terre et de chef de village. Ils organisent la fête de l’igname non seulement pour valoriser la capacité lignagère de leur famille mais aussi pour faciliter l’écoulement des ignames à Léo qui semblait être le plus accessible ; autrement promouvoir l’igname et sa vente locale tout en rapprochant Léo des autres régions. Les producteurs s’approprient ces objectifs puisqu’à la question, comment et pourquoi est née la fête de l’igname ? Ils ont les mêmes réponses : « si nos pères Nignan n’avaient pas initiés cette fête, les familles ne sauraient pas laquelle est la plus productrice d’igname, « brave » et donc à craindre car bénie par nos ancêtres et « aimé » par l’igname de plus, qu’allons-nous faire des réserves ? » ; « dans la province de la Sissili il y a beaucoup d’igname, s’ils organisent la fête cela va « soulever » le nom de l’igname et le nom de la province, l’igname est une production de nos pères et il faut que les gens sachent que l’igname au Burkina Faso c’est Léo ! ». Dans les discours des producteurs, L’igname qui était perçue comme un objet de la brousse, incarné de valeurs mystiques et humaines ; symbolise aujourd’hui des valeurs adaptées. Il ressort ainsi toute une perception culturelle, identitaire et commerciale de l’igname.
En me référant à l’histoire, je peux affirmer que pour les initiateurs, la fête était certes destinée à la vente en groupe du surplus de production de l’igname dans un contexte d’enclavement de la région, mais surtout un évènement culturel crucial où s’exprime l’estime de soi, la valorisation de l’identité culturelle mais également du patrimoine. Elle suscite en chaque producteur le besoin de :
- mettre en exergue son courage (montrer que l’on est un bon travailleur, on est courageux) puisqu’on a pu non seulement vaincre la forêt par le défrichage « tu vas seul abattre les arbres au milieu des serpents et des mauvais esprits » me confie un producteur puis « tu domptes la terre qui te donne de quoi manger ».
- montrer son appartenance social (on est « béni des ancêtres », on est un brave producteur), « avant, tu venais avec toute ta production annuelle sur la place de la fête, tu ne devrais vendre aucun tubercule avant la fête, si tu n’es pas béni des ancêtres tu ne peux tenir».
Cette démonstration légitime la position / le pouvoir d’une famille par rapport à une autre. L’igname est un bien culturel qui a une forte fonction dans cette société traditionnelle. Elle est utilisée dans les cultes rituels comme Le Koara, célébré chaque année, il constitue pour l’ensemble de la communauté une occasion de communion, de cohésion et d’affirmation sociales par rapport aux agressions extérieures. L’igname sert d’objet de don lors des évènements sociaux. Dans les communautés nuni et sissala l’étranger est accueilli avec un plat d’igname et raccompagné avec des tubercules d’igname «Normalement un étranger qui vient chez un vrai gourounsi tu ne dois pas voir l’igname et lui tourner dos sans qu’on ne te donne l’igname, c’est ce que l’igname aime» me confie un exposant. Le mot « normalement » sous-entend que de nos jours ces pratiques tendent à disparaître face aux contraintes socio-économiques des ménages pour assurer leur propre sécurité alimentaire. Comme le montre dans les travaux de Magnani, le don est une « forme sociale qui assume des expressions et des rôles différents selon les sociétés » (Magnani, 2007 : 11). Lors de la fête les producteurs remettent à leurs hôtes des tubercules d’igname ; cette forme d’échange est un don d’alliance qui renferme des fonctions utilitaires et de reconnaissance sociale qu’elle actualise à chaque édition. Je peux dire avec Pannier que le fait que les différents acteurs se rassemblent et agissent de concert, démontre que « la force qui assure leur cohésion, c’est la force de la promesse mutuelle» (2013 : 384) du contrat social et culturel (Ouattara, 2024).
Les éditions continuent et se ressemblent jusqu’en fin 2008 lorsque le gouvernement procède à la relecture des organigrammes des ministères en charge du développement rural, et créer des structures pour la promotion des filières. L’un des critères de choix des filières à promouvoir est celui portant sur l’existence de potentiel de développement de la filière ; en d’autres termes, les indicateurs pour que la région choisisse la filière à promouvoir repose sur : le niveau de productivité ; le potentiel de production ; les possibilités de transformation ; l’accès aux facteurs de production pour tous les maillons (terre, eau, semences, équipement, services…) ; les technologies et les référentiels technico-économiques éprouvés ; le niveau d’organisation des acteurs ; et la disponibilité et/ou facilité aux formations, et au crédit. Cette promotion à long terme devrait produire des impacts sur : la sécurité alimentaire et la santé ; l’accessibilité des groupes vulnérables (femmes, jeunes, groupes marginalisés) à la filière (niveau des coûts de production) et leur revenu ; l’environnement ; la fiscalité des collectivités territoriales ; la complémentarité avec d’autres programmes ; l’existence de marchés de niches, de label, d’innovation ; et avoir une cohérence avec la réglementation nationale.
Ainsi en 2009 alors que la fête de l’igname était à sa 17ème édition elle change de vision et devient une plateforme de promotion de la filière des tubercules. Cependant dans la pratique la réalité est tout autre. Dans les médias et pour l’UGPTS on fête toujours l’igname. Il apparaît dans des journaux les titres suivants « La 18ème fête de l’igname à Léo » (en 2010), « Burkina Faso : Foire de l’igname à Léo […] (en 2012) ; « Fête de l’igname à Léo ; Au-delà du festif, […] (en 2013). Seulement à partir de 2014 que le terme journée promotionnelle apparaît dans la quasi-totalité des médias. Cela s’expliquerait par le fait que dans la région, les tubercules comme la patate douce et le manioc, la pomme de terre, sont très minoritairement produits et les groupements existants sur les tubercules sont principalement des producteurs d’igname.
Le passage de « fête de l’igname de Léo » à celle de « JPT à Léo », l’identité culturelle et le patrimoine sont peu valorisés ce sont plutôt la valorisation des potentialités économiques, des typicités de la zone, la visibilité des responsables des associations et administratifs, et la promotion de la chaîne de valeur des tubercules avec une forte attention sur la commercialisation des tubercules (sous forme brut, et /ou transformé). Ce dernier aspect a pris de l’ampleur ces dix dernières années malgré la politique de promotion des filières depuis 2008 dans les différentes régions du Burkina Faso. Avec l’appui technique de la direction provinciale de l’agriculture, les organisateurs ont inclus d’autres tubercules pour répondre aux attentes du gouvernement. Une telle évolution de l’évènementiel semble perturber certains producteurs d’ignames qui n’y retrouvent plus leurs intérêts. Ces nouveaux objectifs pourraient-ils expliquer la faible affluence des producteurs à la fête ?
Pour l’organisation pratique de l’évènement le bureau de l’UGPT de la province de la Sissili met en place un comité provincial d’organisation (CPO). Les acteurs du CPO sont pour 70 % de producteurs et transformatrices de tubercules et pour 30% de partenaires techniques et financiers que sont : le Haut-commissariat, la mairie de Léo, les directions provinciales en charge de l’agriculture, de l’élevage, de l’environnement, de la culture, de l’action sociale, de la police, et de la santé et des structures privées tels que des ONG, des Coopératives (NELVY). D’autres acteurs sont indirectement impliqués se sont les mairies des communes environnantes qui ont contribué financièrement, les chercheurs qui ont pour objet de recherche les tubercules et d’autres partenaires technique et financier tels que la Croix Rouge (fait la promotion du manioc particulièrement le maillon de la transformation par la mise en place des collaborations producteurs-transformatrices par un système de contractualisation), la Coopération allemande à travers le projet « le manioc du Burkina : L’autre pays de l’attiéké ». Le politique à travers le Ministre qui est en charge du développement de l’agriculture soutenu par divers ministres en fonction des thèmes des éditions tels que les Ministres en charge de l’énergie, de la fonction publique, de la justice, de la communication et du transport.
La fête se déroule en trois phases sur trois jours. À chacune de mes explorations, j’arrivais à Léo la veille de l’ouverture des JPT. Ma surprise fut grande de constater qu’en aucun endroit dans la ville il n’y avait d’affiche publicitaire pour indiquer l’évènement futur. Je fis le même constat sur le lieu d’exposition le même soir. L’affiche est mise le dernier jour, correspondant au jour d’arrivée des autorités et des hôtes. La fête débute par une exposition des tubercules qui se tient sur les trois jours de promotion. Chaque producteur désireux participé, paie une contrepartie de 5000 FCFA au comité d’organisation. Il a la charge de confectionner lui-même son stand me souligne un exposant « tu dois mettre ton hangar tout seul, or tu dois avant payer un mandat de 5000f, tu viens dormir ici pendant trois à quatre jours et peut être à la fin tu vas te retrouver avec une brouette ou 2 sacs d’engrais alors que tu as laissé tomber tes travaux à la maison au village et quand tu évalues ce que tu perds et ce que tu gagnes tu n’as pas intérêt à venir ». Pour assurer la sécurité de leurs tubercules, les exposants dorment sur place auprès de leurs ignames sur des bâches. L’ensemble des producteurs se prenne entièrement en charge du point de vue alimentation et déplacement du village à Léo. À la question de savoir pourquoi participez-vous à la fête ? Un exposant me dit ceci : « parce que je produis l’igname et j’aime ça, tu sais l’igname est chez nous ce qu’est le bœuf chez le peulh, tu te sens vrai nuni quand tu produis de l’igname, […]».
Le premier jour dans l’après-midi il est organisé le concours du meilleur producteur de tubercule. J’ai eu l’opportunité de me fondre dans le jury. Ainsi, j’ai pu observer l’ensemble du déroulement du concours depuis sa phase préparatoire à la délibération des résultats et le classement des producteurs. Les producteurs sont évalués sur l’aire d’exposition en fonctions du calibrage, de la quantité et de la qualité des tubercules. L’examen se termine par une question orale tirée à l’aveugle parmi quatre sujets en lien avec la thématique de l’édition. Le jury classe tous les producteurs puisqu’ils sont tous primés. Je relève qu’au cours de ces trois dernières éditions et à l’instar des éditions des cinq dernières années la direction provinciale en charge de l’agriculture n’évalue plus le producteur dans le champ en fonction de l’itinéraire technique vulgarisée ni son rendement de la production à la récolte bien qu’inscrit dans les termes de référence des JPT.
Classement des tubercules d’igname | Identifiant d’un producteur de manioc |
Le deuxième jour est destiné au forum d’échanges entre les différents acteurs sur le thème de l’édition. Le thème de la 24e édition (2017) a porté sur « la professionnalisation de la filière tubercule et intégration des femmes et des jeunes pour un développement durable dans la Sissili » est animé par deux chercheurs de deux projets de recherche (YAMSYS et WAVES) ; la 25e (2019) édition a porté sur « Quelles stratégies pour la promotion durable des chaînes de valeur tubercules dans la Sissili ?» est co-animé par un chercheur du projet de recherche (YAMSYS) et le ministère de l’agriculture et des aménagements hydroagricoles (DGPER) et la 26e (2024) édition a porté sur « Relance des journées promotionnelles des tubercules de Léo : Quelle stratégie pour une meilleure contribution des acteurs de la filière à la souveraineté alimentaire et nutritionnelle ». Afin de susciter la participation des producteurs les organisateurs louent le service d’un crieur traditionnel. Nonobstant les stratégies de mobilisation les producteurs y participent faiblement.
Participants au forum, la salle quasi pleine | Salle quasi vide après 1h de débat au forum |
Au cours du forum, les chercheurs partagent leurs résultats de recherche afin de lever les défis de production, de commercialisation et de transformation d’une part et de l’autre susciter des changements de comportement à travers une large utilisation des innovations. Les acteurs politiques utilisent les JPT comme moteur de recherche de partenariat, de débouchés et de structuration des acteurs directs de la filière des tubercules. Quant aux producteurs, les JPT les amènent à ne pas brader leur production dès la récolte.
Enfin, le troisième jour est marqué par l’arrivée des autorités politiques, et de certains partenaires technique et financier. Cette journée est ponctuée par deux activités : la cérémonie de clôture et la vente des ignames. La cérémonie de clôture comprend des discours des autorités et des partenaires, la remise des prix, la visite du comptoir commerciale de l’igname et la visite des exposants. À chacune des trois éditions, le politique reconnait les performances productives en tubercules de la Sissili plus particulièrement en igname et patate douce et instaure à travers son discours un régime de responsabilité des ménages agricoles tout en stipulant la nécessité d’amélioration de la qualité des acteurs des tubercules et les progrès du savoir afin de susciter un développement agricole durable. La présence des représentants de plusieurs institutions étatiques, de recherche et de développement révèlent la nécessité de leur cohérence intra-sectorielle et la mise en œuvre de stratégies efficientes pour l’émergence réelle de la filière igname. Cependant, cette complémentarité reste mitigée sur le terrain donnant lieu à un sentiment d’instrumentalisation des JPT. Quant à la vente des ignames, elle est véritablement ouverte qu’après le passage des autorités, en retour, le comité d’organisation collecte une dizaine de tubercules par exposant qui leur sera remise. Afin d’accroître leurs marges bénéficiaires les producteurs obligent les transporteurs ghanéens à déverser leurs ignames sur le site d’exposition et interdisent leur vente.
Camion ghanéen escorté sur l’aire d’exposition | Des producteurs avec leurs prix |
JPT: exposition des fonctions non-marchandes
Pour la région de Léo ce sont dans un premier temps les fonctions non-marchandes qui sont recherchées. Les éléments appartenant aux dimensions historique ou culturelle qui sont valorisées pour permettre de caractériser les productions d’ignames, et d’identifier les lieux. Sur l’air d’exposition c’est une vie rurale passée qui est exposées et à travers la fête de l’igname des producteurs et certains habitants espèrent la retrouver. Chaque stand de la foire représente la particularité d’une communauté rurale celle de Léo à travers les différentes lignées de familles présentes. À travers la mémoire individuelle les gens ont tendance a sélectionné et conservé certain souvenir, ainsi la mémoire collective fait pareil et ensemble les producteurs finissent par retenir que les éléments les plus valorisants et qui font sens pour la communauté. J’ai pu rencontrer des groupes d’acteurs qui participent à la fête non pas pour vendre ou acheter mais pour mettre en exergue l’identité du nuni ou du sissala soit en y appartenant soit en la montrant de l’extérieur. Ils sont de trois types : les producteurs d’ignames visiteurs, les touristes composés de natifs de la commune, d’invités de l’UGPT, et des groupes de jeunes constitués surtout d’élèves. En leur posant la question à savoir les raisons de leur venue. Le groupe de producteurs d’igname me répond « nous sommes venue voir parce que nous sommes gourounsi, c’est notre travail qui est exposé là» quant au groupe d’élèves revenant de l’école « le maître nous a informé en classe, il nous a dit de passer voir, nous verrons combien nos parents paysans travaillent dur » enfin, pour les touristes venues des villes voisines particulièrement Ouagadougou et Bobo-Dioulasso certains nous confient ceci : « on a entendu parlé des journées promotionnelles des tubercules alors on est là pour voir de quoi ces gourounsi sont capables » ou encore « notre service a reçu une invitation de l’UGPTS, alors nous sommes une délégation et nous allons voir de quoi ces gourounsi sont capables de faire ». La foire serait pour ces deux dernières catégories d’acteurs comme un objet à observer et à découvrir en lien avec un terroir une identité. Ainsi l’identité est désignée tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Autre fonction non-marchande est celle exprimée par les institutions administrative et politique. Ces derniers instrumentaliseraient l’évènement en un objet qui puisse rendre légitime leur action en faveur des producteurs de tubercules dans cette région du Centre-Ouest du pays. À travers les discours du politique, la promotion et l’amélioration de la productivité des tubercules relèvent plus d’une construction sociale et politique plus qu’elles ne renverraient à des difficultés d’ordre climatique, ou économique. Selon le discours de l’ex-maire de Léo, cette fête est un tremplin de visibilité de sa commune et de recherche de solutions aux contraintes des producteurs, il l’exprime ainsi : « les tubercules constituent un label de la Sissili à ce titre, ils occupent une place de choix parmi les céréales, les légumineuses, les oléagineuses. Malgré l’ardeur au travail des vaillants producteurs et les énormes potentialités de la filière tubercules de nombreuses contraintes empêchent tout de même le développement rentable et durable de la filière » (Abdoul Manane Nébié) et le président de la délégation spéciale de la commune de Léo, Kassoum Koalaga corrobore cette idée en exprimant la disponibilité de l’appui de la commune. L’évènement a été également une opportunité pour le politique de mettre en exergue son capital socio-politique. Après chacun de leur discours il eut un échange de main et de don entre le représentant des chefs coutumiers et ce dernier. Cet échange est un geste coutumier qui signifierait que la « coutume » a été faite. En effet le geste coutumier entre deux ou plusieurs individus permet de maintenir de façon permanente des relations stables et étroites. De plus le geste coutumier doit être toujours accompagné d’un « support matériel » dont la valeur dépend du statut de la personne à qui on fait la coutume et l’objet de la coutume.
Je suis tentée de dire que l’ensemble des discours quel que soit sa source et la construction des JPT relève d’une spécificité sociale et culturelle, est convoqué pour valoriser à la fois un faire-savoir et un faire-image.
Conclusion
Aux termes de notre recherche je suis confrontée à une identité qui ne se revendique pas mais qui se présente comme un marqueur qui permet d’identifier un objet qui est l’igname et de caractériser tout en identifiant un lieu qui est Léo plus précisément la province de la Sissili. La commune de Léo est mise en scène à cette occasion, ce qui permet d’identifier, de symboliser le territoire nuni. Cet évènement est susceptible de participer au développement social et économique de la localité. Il est perçu par des visiteurs, les producteurs et exposé par les élites locales comme représentant une identité nuni. La fête de l’igname et la foire qu’elle créée, deviennent en quelque sorte l’image de marque de la commune et elles sont définies comme des lieux « à voir » et à « découvrir ». L’observation du mode d’appropriation de la fête et de la filière tubercule témoigne de la manière dont chacun négocie sa place au niveau local.
Aussi les dimensions historiques et culturelles de la fête sont mises en valeur et exposées comme pour symboliser un lien entre des lignées de familles et un produit. Avec l’apparition de nouveaux acteurs dans la chaîne de valeur dans l’espace de la fête conduit à une reconstruction sociale de la fête. Ainsi, de nouveaux enjeux économiques, sociaux et politiques sont exprimés et devraient être prise en charge pour un développement local de la filière tubercule et une meilleure contribution à l’atteinte de la sécurité alimentaire au Burkina Faso.
Mots clés : Foire, Léo, identité, igname, changement technologique, politique agricole
Quelques références
Belem, J., et Diawara, B. 2000. Projet de valorisation de l’igname pour les marchés urbains, Ouagadougou, 23 p.
Lejeune, Q., et Saeed F., 2019. Étude de l’impact des changements climatiques futurs sur les ressources en eau au Burkina Faso, Site de Climate Analytics gGmbH, Berlin.
Lallement E., septembre 2013. « La ville marchande : une approche ethnologique », EspacesTemps.net, 21p. http://www.espacestemps.net/articles/la-ville-marchande/
Magnani E. (dir.), 2007. Don et sciences sociales théories et pratiques croisées
Sélic J-P., 2006 « Pour une anthropologie communicationnelle des transactions commerciales », Communication [En ligne], 25 (1), mis en ligne le 05 mai 2010, consulté le 22 juin 2017. URL : http://communication.revues.org/1525 ; DOI : 10.4000/communication 1525
Ouattara Y. F., 2024. Recherche participative pour développer la filière de l’igname au
Burkina Faso : Enrôlement des acteurs et place des chercheurs du projet YAMSYS ; Revue Africaniste Inter-Disciplinaire – RAID, No 67, Issue 67, pp. 163-201.
WINKIN, Y. (dir.) 2000. La nouvelle communication, Paris, Seuil.
WINKIN, Yves ; 2001, Anthropologie de la communication. De la théorie au terrain, Paris, Seuil.
[1] Sauf en 2016, 2018, et de 2020 à 2023 où il n’y pas eu de journées promotionnelles faute de mauvaise récolte, de la situation socio-politique et sécuritaire du pays.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.