La possibilité d’utiliser les moustiques génétiquement modifiés dans la lutte contre le paludisme a suscité des débats passionnés parmi les experts et les parties prenantes, lors d’un atelier tenu à Ouagadougou du 11 au 12 septembre 2024. Cet atelier, organisé par l’Institut National de Santé Publique (INSP) et l’Agence nationale de Biosécurité (ANB), avec le soutien de l’Agence de Développement de l’Union Africaine – Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (AUDA-NEPAD), a permis de discuter des perspectives de lutte contre le paludisme, notamment le développement de la technologie du Gene Drive.
Évoquant les données du Rapport mondial de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) sur l’état du paludisme dans le monde et touché par les chiffres relatifs au Burkina Faso, Dr Moussa Savadogo a exprimé son indignation. « Chaque fois que je parle du paludisme, j’ai maintenant pris l’habitude d’appeler avant tout, à un requiem pour toutes ces vies innocentes arrachées de façon lâche par le moustique et son paludisme. », a regretté l’ancien chargé principal de Programme Gestion intégrée des Vecteurs et Biosécurité environnementale à l’Agence de Développement de l’Union africaine (AUDA-NEPAD).
Le paludisme, un gouffre financier
En plus de ses conséquences sanitaires dramatiques, le paludisme constitue un véritable désastre sur le plan économique. « Aujourd’hui, il faut environ 5,1 milliards de dollars américains par an pour lutter contre le paludisme alors qu’il est très difficile de mobiliser effectivement plus de 1,5 milliard par an. On estime que les besoins de financement passeront de 5,1 à 9 milliards de dollars par an, si on ne change pas de trajectoire pour améliorer et innover nos stratégies de lutte contre le paludisme. », prévient Dr Moussa Savadogo.
Quant au secrétaire général du ministère de la santé et de l’hygiène publique, Dr Issa Ouédraogo, il a soulevé, qu’en plus des moyens limités face à la lutte contre le paludisme, le moustique anophèle, principal vecteur de cette maladie, développe sans cesse de la résistance aux matières actives et aux différentes stratégies couramment utilisées. Conséquence, les objectifs fixés pour l’élimination du paludisme reculent à chaque fois, que les échéances approchent.
Lors de l’atelier, il a été unanimement reconnu que les approches actuelles ne suffisent plus. C’est donc face à cette situation que l’Organisation mondiale de la Santé et l’Union africaine reconnaissent l’urgence d’élaborer et de tester de nouvelles études pour combattre les maladies à transmission vectorielle.
Selon le chercheur à l’Institut national de la santé publique et coordonnateur de la plateforme nationale IVM (Integrated Vector Management), Dr Adama Gansané, les Chefs d’État de l’Union africaine ont recommandé d’analyser de manière approfondie la possibilité d’utiliser la technologie Gene Drive, à savoir les moustiques génétiquement modifiés, de façon optimale et réaliste pour lutter efficacement contre le paludisme et pour accélérer son élimination dans le cadre de la gestion intégrée des vecteurs.
La technologie Gene Drive, une révolution ?
Si cette approche innovante pourrait révolutionner la lutte contre cette maladie endémique, sa mise en œuvre soulève de nombreuses questions éthiques et environnementales. D’où la nécessité, selon les chercheurs, d’une réglementation stricte et d’une concertation avec les populations locales pour assurer une utilisation responsable de cette technologie.
Sachant que l’expérimentation est un sujet sensible qui peut susciter la méfiance et la peur tout en engageant « le respect de la personne », l’éthique intervient. « Tous les essais cliniques doivent se faire avec le consentement des sujets après avoir été bien expliqués et éclairés en ce qui concerne les tenants et les aboutissants de ces essais. Cependant, nous n’acceptons pas les consentements oraux parce qu’il n’y a pas de preuve de l’engagement. Aussi, avant toute démarche de recherche en santé, un certificat préalable est exigé », a précisé le médecin en santé publique Dr Gauthier Tougri, représentant le comité d’éthique sur la recherche en santé.
Le secrétaire général du ministère en charge de la santé, Dr Issa Ouédraogo, tout en saluant le dynamisme de la recherche dans ce domaine, reconnaît tout de même que les initiatives nécessitent une bonne coordination pour une pleine participation des parties prenantes, à savoir les décideurs, les régulateurs, les communautés locales, la société civile, la communauté scientifique.
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La technologie du Gene Drive pourrait s’entendre à d’autres maladies
Faisant suite aux recommandations du Panel de haut niveau sur les technologies émergentes de l’Union africaine (APET), le Conseil des ministres en charge de la science et de l’innovation a invité les États membres de l’Union africaine à prendre en compte la technologie du Gene Drive dans leurs plans de développement.
Au cours de l’atelier, il est ressorti que l’Agence de développement de l’Union africaine, dont la délégation, conduite par Dr Barbara Glover, est en train d’étendre le champ d’action de ses interventions pour prendre en compte les autres maladies à transmission vectorielle comme la dengue, le zika et le chikungunya.
L’une des recommandations des participants est de mettre davantage l’accent sur la communication à plusieurs niveaux en commençant par la traduction des termes techniques en langues locales car le message ne passe mieux que si les populations et le public comprennent bien. De plus, ils ont mentionné la nécessité de s’accorder sur une terminologie commune traduisant le terme « Gene Drive » en français et d’élaborer une stratégie nationale de biotechnologie/biosécurité. Aussi, face à la désinformation sur les réseaux sociaux qui influence négativement l’avancée des actions de sensibilisation et la valorisation des résultats de la recherche, la contribution des médias en vue de disséminer la bonne et juste information est attendue.
L’engagement des décideurs, des régulateurs, des communautés locales, de la société civile et de la communauté scientifique est essentiel pour surmonter les défis et maximiser les avantages potentiels de cette innovation. Comme le rappelle Dr Moussa Savadogo : « Derrière chaque chiffre, il y a le cri de douleur d’une femme, d’une mère désespérée qui vient de perdre son petit enfant au beau milieu de la nuit ou encore, le cri d’un homme, d’un mari, qui vient de perdre sa femme en état de grossesse, emportée par le paludisme ».
Françoise Tougry
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