L’histoire sur la création des royaumes moose du Burkina Faso a retenu que Yadéga est le fondateur du Royaume du Yatenga. Un fait qui est également souligné est que Pabré, sa sœur, a volé les emblèmes du pouvoir à son profit. Cet article, sur la base d’une exploitation documentaire et l’analyse d’un corpus, s’attache à étudier la figure de Pabré dans le récit épique de la fondation du Yatenga, pour mettre en relief la contribution historique de la femme moaaga dans la gestion de la société traditionnelle.Les résultats montrent en effet que pabré y apparait sous plusieurs figures : régente, conquérante, médiatrice, iconoclaste.
Introduction
Les Moose du Burkina Faso sont un peuple conquérant qui ont mis en place, au fil de querelles et de conquêtes dynastiques, des royaumes indépendants, dont celui du Yatenga. Le pouvoir politique y est exercé toujours par un membre de sexe masculin à l’exception de rares cas, comme lors de l’interrègne. En effet, après le décès d’un chef/ roi et en attendant l’intronisation d’un nouveau chef/roi, la gestion du pouvoir est confiée à une femme, en général, la fille ainée du défunt. Ainsi, cette femme cheffe appelée na-poko, auréolée des symboles du pouvoir, siège sur le trône du père et reçoit les salutations des visiteurs et les hommages de la cour. Pabré a été na-poko du royaume de Ouagadougou et a joué un grand rôle dans la création du royaume du Yatenga.
Cet article est centré sur cette figure féminine dans le récit épique de la fondation du Yatenga, pour mettre en relief la contribution historique de la femme moaaga dans la gestion de société traditionnelle.
- Méthodologie
La démarche méthodologique a consisté en une recherche documentaire et à l’analyse d’un corpus collecté à Gourcy dans la province du Zandoma. La collecte du récit principal a été réalisée au moyen d’un dictaphone et enrichi par des entretiens et l’exploitation documentaire. A travers l’analyse de textes oraux, nous avons travaillé à cerner la figure de Pabré à partir de la dynamique des personnages et des institutions sociales qui transparaissent dans le récit épique.
- Résultats
La recherche sur la figure de Pabré dans le récit épique de la fondation du Yatenga a abouti aux principaux résultats ci-après :
Pabré au cœur de la Fondation du Royaume du Yatenga : la gestion du pouvoir par les femmes en pays moaaga traditionnel
La légende rapporte que vers 1337, Pabré a permis à son frère Yadéga de retrouver le pouvoir. Après le décès de leur père, Koumdemyé, le frère cadet avec la complicité du collège électoral (ceux consacrés par la tradition pour élire un nouveau chef) ravit le trône à son aîné. Pabré, fille ainée du défunt qui a joué le rôle de na-poaka (femme cheffe) lors de l’interrègne, corrigea cette injustice en dérobant les attributs du royaume de Ouagadougou et permit ainsi à Yadéga de fonder le royaume du Yatenga (Izard 1989 : 447 ; Skinner 1972 : 42). Elle fut également la première Wεεmba (Weem- Naaba ) (femme en charge de la médiation) de ce royaume.
Dans la société moaaga, la na-poaka et la Wεεm- Naaba sont des femmes d’ascendance royale, qui exercent un pouvoir politique officiel. Ce sont des figures féminines qui assurent donc un certain leadership dans cette société.
Notons que la fonction de Wεεm- Naaba s’est masculinisée au fil du temps en raison de plusieurs contraintes (devoir de chasteté, interdiction de vie en couple, dans le mariage…).
Pabré comme adjuvante : la femme comme figure de paix
L’étude révèle que Pabré, et par-delà elle, la femme moaaga, a toujours été une adjuvante qui permet à l’homme de conquérir le pouvoir. La notion de compagnonnage dans le récit épique du Yatenga présente, effectivement, Pabré comme une actrice de premier plan dans l’accomplissement du dessein du héros épique Yadega. Son rôle déterminant se manifeste par le vol, suivi de la remise des insignes royaux (naam-tɩɩbo, naam-wubri, naam-gãngo) au prince héritier Yadega. Cela vient prouver une des caractéristiques des récits épiques dans lesquels la notion de compagnonnage est attestée. Une analyse immanente du récit permet de mettre en relief des dynamiques interactionnelles entre les personnages épiques. Ainsi, en se référant au schéma actanciel de Algirdas Julien Greimas, on s’aperçoit que le héros épique, Yadega, pour atteindre son objectif, va s’attacher les services d’autres personnages pouvant s’inscrire dans la sphère actantielle des adjuvants. Ces adjuvants se résument à Pabré qui a subtilisé les objets sacrés du pouvoir.
Par sa perspicacité, Pabré a permis d’esquiver un conflit de succession et, par la même occasion d’agrandir le Moogo à travers la naissance du Yatenga. En sa qualité d’adjuvante, Pabré a participé à l’œuvre de conquête du pouvoir entreprise par le héros Yadega en lui permettant de conquérir le Yatenga par l’entremise du vol des objets sacrés.
Pabré, femme courageuse, éprise de justice et de paix, mais néanmoins iconoclaste
La crainte des représailles des ancêtres n’a pas pu intimider Pabré dans son entreprise de vol des emblèmes du pouvoir (objets sacrés ). Bien que cet acte courageux ait permis d’éviter un conflit de succession entre deux frères, il est rangé, dans la tradition moaaga, dans la catégorie des fautes graves pour lesquelles il n’existe pratiquement pas de grâce. C’est ce qu’entérine Michel Izard (2003 : 350) : « […] le vol ne peut manquer de revêtir tous les caractères d’un sacrilège difficilement expiable. »
Ce crime de lèse-majesté, qui ne pouvait pas rester impuni a prévalu au compagnonnage du héros Yadega. En effet, Pabré a suggéré à Yadega de l’amener dans sa fugue afin d’échapper aux éventuelles représailles consécutives au vol des objets sacrés.
L’image de conquérante et celle de médiatrice sont donc associées à Pabré dans le récit épique, mais également celle d’iconoclaste (qui cherche à détruire tout ce qui est attaché à la tradition).
Conclusion
L’étude sur la figure de Pabré dans le récit épique de la fondation du Yatenga a recouru à l’approche anthropologique de textes oraux. Cet outil d’analyse, qui est un tremplin pour cerner les institutions et les pratiques sociales ainsi que la relation entre l’homme et son cadre de vie, a permis de mettre en relief le rôle majeur de Pabré dans l’avènement de ce nouvel ordre politique dans le moogo (royame des moose). La réflexion a montré que des figures de femmesassument de fonctions politiques dans la société moaaga.
Mais malgré la figure de femme héroïque, de femme artisane de paix, Pabré apparait dans le récit épique de la fondation du Yatenga comme une femme qui a transgressé la coutume par le vol des objets sacrés du pouvoir et qui a dû s’excommunier en fuguant avec son frère pour le Yatenga. Elle y apparait donc également comme une femme iconoclaste. Toutes ces figures réunies dans le personnage de Pabré mettent en lumière le grand rôle joué par les femmes dans la société moaaga.
Barthélemy KABORE, Université Joseph KI-ZERBO
Lydia ROUAMBA ,Institut des Sciences des Sociétés/CNRST
Document de vulgarisation tiré de : Kaboré Barthélémy et Lydia Rouamba .2023. « La figure de Pabré dans le récit épique de la fondation du Yatenga» dans chefferie traditionnelle et coutumière et cohésion sociale dans un contexte d’insécurité sous la direction de Dr Moumouni Zoungrana et Dr Barthélémy Kaboré, Djiboul, special no 10, avril 2023, pp.27-40
Bibliographie
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KABORE Barthélémy et Lydia ROUAMBA .2023. « La figure de Pabré dans le récit épique de la fondation du Yatenga» dans chefferie traditionnelle et coutumière et cohésion sociale dans un contexte d’insécurité sous la direction de Dr Moumouni ZOUNGRANA et Dr Barthélémy KABORE, Djiboul, special no 10, avril 2023, pp.27-40
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