Le terme féminisme comme le note Monique Ilboudo (2007) est apparu au XIXe siècle et est contemporain de l’avènement de la démocratie. Il a pour objet de revendiquer plus d’égalité et de justice sociale au profit des femmes. Le petit Larousse précise que c’est la « doctrine qui préconise l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société ; [et] le mouvement qui milite dans ce sens ». Ainsi, le mouvement féministe lutte avant tout contre l’oppression des femmes.
À partir de cette définition, on peut noter que partout dans le monde, dans tous les pays, dans toutes les sociétés du Nord comme du Sud, il y a toujours eu des femmes qui se battent contre les inégalités et les violences dont elles sont victimes. Mais de par leurs différences de « races », de classes, de religions, etc., les femmes n’arrivent pas à s’accorder sur l’origine de leur oppression ni sur les moyens de lutte.
Ainsi, la question centrale qui structure la présente réflexion est comment les femmes de par le monde peuvent-elles au-delà de leurs différences lutter pour un fonds de valeurs non négociable?
1. Méthodologie
La méthodologie a consisté à exploiter des documents écrits par la féministe Francine Descarries ainsi que des documents sur et autour du féminisme. Outre l’exploitation documentaire, quelques entrevues semi-directives avec des personnes de ressource ont été réalisées.
2. Les principaux courants de pensée féministe : la position des femmes burkinabé
Dans l’inconscient collectif, surtout africain, le féminisme est vu comme un phénomène occidental copié, voire mal copié par le reste du monde, notamment par l’Afrique (Dental, 2004). Aussi, Thomas Dakin Pouya dans un article titré « La question du genre en politique : les failles de notre combat » (2007 : 10) dit : « La promotion de la femme passe par la défense de ses intérêts, mais également par le rappel de ses devoirs pour que cette femme promue que nous appelons de tous nos vœux ne vienne pas finalement en hydre cornue de suffisance et d’impudicité, en déphasage avec sa société. » Dans la même veine, les féministes africaines prennent leurs distances avec le féminisme occidental qu’elles accusent d’être une lutte contre les hommes.
Même à l’intérieur des sociétés occidentales, le féminisme est traversé par plusieurs courants de pensée. Le nombre de courants de pensée diffère selon les auteur.e.s, mais trois courants font l’objet de consensus : le féminisme libéral égalitaire, le féminisme radical et le féminisme de la différence (Jaggar et al., 1978, Lamoureux 1981; Descarries et Roy, 1988 ; Toupin 1997, Descarries 1998).
Le féminisme libéral égalitaire est appelé aussi « réformiste », ou féminisme des droits égaux car il revendique une réforme du système social en vue de l’atteinte de l’égalité formelle entre hommes et femmes. Il s’agit de trouver les moyens pour faire des femmes les émules des hommes. Les stratégies proposées sont une socialisation différente des filles, l’accès des femmes aux méthodes contraceptives, aux nouvelles technologies et au marché du travail. Leur action est donc centrée sur la femme. Le courant égalitaire s’attaque aux rôles et non aux structures.
Pour le féminisme radical cependant, une telle position ne saurait améliorer la position des femmes dans la société (Descarries, 2002). Le féminisme radical explique la domination des femmes par les hommes par le patriarcat dont l’expression première se manifeste par le contrôle du corps des femmes, notamment par le contrôle de la maternité et de la sexualité des femmes. (Descarries, 1998). Ainsi, les féministes radicales analysent les rapports entre les sexes en termes de rapports sociaux, autrement dit en termes de rapports de pouvoir, de rapports conflictuels (Kergoat, 2001). Elles proposent donc une perspective radicale, axée davantage sur la transformation, voire l’abolition des structures de pouvoir actuel.
Le féminisme de la différence, lui, insiste sur la différence de nature des femmes et des hommes.
Sans vraiment poser l’analyse en termes de complémentarité, les tenantes de cette approche ont, néanmoins, une position qui se construit sur la reconnaissance fonctionnelle des qualités et des aptitudes associées à l’un ou l’autre sexe. Elles revendiquent, par exemple, le droit de prendre part à l’exercice du pouvoir, au nom de la spécificité des femmes dont la prise en compte ne fera qu’enrichir la praxis politique.
A l’examen des discours et des pratiques des différents courants de pensée féministe, nous pouvons conclure qu’au Burkina Faso, les femmes dans leurs luttes rejoignent largement le féminisme égalitariste et différencialiste. Elles insistent, pour la plupart, sur la complémentarité des sexes, visant ainsi une « égalité dans la différence », et plus précisément une « égalité de droits dans la différence ». Chaque sexe a des qualités et des aptitudes qui se complètent et il faut les deux pour le bien-être de nos sociétés.
La solidarité malgré nos différences : une nécessité
Comme nous l’avons vu, tous les féminismes dénoncent l’ordre inégalitaire dont sont victimes les femmes, mais ne s’accordent pas sur les causes de cette inégalité ainsi que sur les stratégies pour la combattre. Mais comme nous l’avions mis en lumière dans un travail antérieur sur les femmes et la conquête du pouvoir politique, «au-delà de la diversité des conjonctures et des cultures, il demeure un “nous femmes” construit à travers le discours et les pratiques patriarcales (supériorité de l’homme sur la femme) et l’identification à ce “nous femmes”, où que nous soyons, est une condition nécessaire, sinon suffisante, à la libération des femmes» (Rouamba, 2008). Il est donc nécessaire pour les femmes de mutualiser leurs forces pour la défense de leurs droits quel que soit leur lieu de résidence. A cet effet, Francine Descarries (1998) a réfléchi, pour la période contemporaine, à un quatrième courant de pensée : le féminisme pluriel, pluraliste et solidaire, qui, selon elle, permettrait aux femmes de rester en rapport les unes avec les autres » dans le combat pour l’égalité des sexes.
Pour Descarries (1998), le féminisme solidaire « entreprend : des actions ponctuelles de coalition, mais promeut aussi l’adhésion solidaire plutôt que consensuelle du plus grand nombre possible de femmes à un projet féministe dont le rythme, les approches et les expressions seraient diversifiés, tout en maintenant le cap sur l’élimination des processus sociaux sexués de division et de hiérarchisation à l’œuvre dans toutes les sociétés du monde ».
Conclusion
Les femmes qu’elles soient noires, blanches, africaines, asiatiques, indiennes, américaines, pauvres, riches, etc. sont toutes soumises à la loi sociale de la préséance des hommes sur les femmes. L’ordre inégalitaire qui préside à l’organisation de leurs vies et qui gomme leurs faits et gestes de l’histoire les réunit. Ainsi, malgré leurs différences culturelles, il est plus que jamais important qu’elles restent mobilisées autour d’un fonds de valeurs non négociable (égalité de droits entre femmes et hommes), cela, dans un contexte où les luttes locales rejaillissent à l’international. La solidarité est la clé pour changer le monde et améliorer la condition des femmes.
Lydia ROUAMBA
Institut des Sciences des Sociétés/ CNRST
palingwinde@hotmail.com
Document de vulgarisation tiré de : ROUAMBA Lydia, « Le féminisme face aux défis du multiculturalisme : la solidarité plutôt que le consensus », dans Chantal Maillé (dir.), Une bâtisseuse remarquable : Francine Descarries et le féminisme québécois, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2023, p. 161-171.
Références
Dental, Monique. 2004. « Notre féminisme vous appartient ». In Féministes, féminismes. Nouvelle donne, nouveaux défis Coord. Par Lilian Halls-French et josette Rome-Chastanet, p. 61-68. Coll. « Espaces Marx », Paris : Syllepse.
Descarries-Bélanger, Francine, Roy Shirley. Le mouvement contemporain des femmes et ses courants de pensée : Essai de typologie, les documents de l’ICREF, Montréal, no 19, 1988.
Descarries, Francine. « La maternité au cœur des débats féministes », in Descarries Francine et Christine Corbeil (dir.), Espaces et temps de la maternité, Montréal : les éditions du remue-ménage, 2002, p.23-50.
Descarries, Francine. « Le projet féministe à l’aube du XXème siècle : un projet de libération et de solidarité qui fait toujours sens », Cahiers de recherche sociologique, no30, 1998, Montréal, département de sociologie, p. 179-210.
Ilboudo, Monique. « Le féminisme au Burkina Faso. Mythes et réalités ». Recherches féministes, Vol 20, no 2, 2007, p. 166-177.
Jaggar, Alison et Paula R. Struhl (dir. publ.). Feminist Frameworks: Alternative Accounts of the Relations Between Men and Women. New-York: Mc Graw-Hill, 1978, 333 p.
Lamoureux, Diane. « Mouvement social et lutte des femmes », Revue Sociologie et sociétés, vol. 13, no 2, Montréal : PUM, octobre 1981, p.131-138.
Pouya Thomas Dakin « La question du genre en politique : les failles de notre combat », L’Observateur Paalga, no 6869, 19 avril 2007, pp. 10-11.
Rouamba Lydia, « Le féminisme face aux défis du multiculturalisme : la solidarité plutôt que le consensus », dans Chantal Maillé (dir.), Une bâtisseuse remarquable : Francine Descarries et le féminisme québécois, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2023, p. 161-171.
Rouamba Lydia. « Femmes, féministes et conquête du pouvoir politique. Un « Nous femmes » plus que jamais actuel ». Actes du 5èm e Congrès de Recherches Féministes dans la francophonie plurielle. Le féminisme face aux défis du multiculturalisme, Rabat, les 21 25 octobre 2008, p. 383-396
https://www.ccme.org.ma/fr/publications/36879
Toupin Louise “ Les courants de pensée féministe ” dans Qu’est que le féminisme? Trousse d’information sur le féminisme québécois des vingt-cinq dernières années, Montréal, Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine/Relais-femmes, 1997.