Trouble mental courant, la dépression touche 3,8% de la population mondiale dont 4% des hommes contre 6% des femmes. Dans cet entretien, Dr Aïcha Traoré Sanou,Médecin psychiatre militaire au camp militaire général Aboubakar Sangoulé Lamizana ,donne plus de précision sur cette maladie et les signes qui doivent alerter.
Qu’est-ce que la dépression ?
La dépression se caractérise principalement par la tristesse. En plus de la tristesse, il y a ce qu’on appelle la perte d’envie et la perte de plaisir. Le premier épisode dépressif caractérisé peut se révéler à tout âge mais, apparaît généralement entre 20 et 30 ans. La dépression est l’une des maladies mentales les plus fréquentes.
Quelles sont les causes de la dépression ?
Nous parlons généralement de facteurs étiologiques parce qu’il est difficile de trouver un facteur qui puisse expliquer à lui tout seul la survenue de la dépression.
Il y a des facteurs environnementaux, biologiques et génétiques. C’est prouvé que, quand la maman, la grand-mère a déjà fait une dépression, la probabilité pour qu’un autre membre dans la famille ou dans la descendance en fasse est élevée.
Aujourd’hui, avec le contexte sécuritaire, beaucoup de personnes ont perdu leurs domiciles, se sont déplacées et sont dans la précarité. Ce facteur peut expliquer l’entrée dans la dépression.
Il y a également la notion de maladie grave. Quand on vous annonce que vous avez une maladie grave, comment vous vivez avec cette maladie ? Les difficultés conjugales, la séparation ou l’explosion d’un couple peuvent conduire à la dépression.
Quels en sont les signes ?
Généralement, on les classe dans les trois registres. Le premier concerne la tristesse de l’humeur. C’est une tristesse qui est généralement présente le matin au réveil mais qui peut s’améliorer au cours de la journée. Puis, on commence à se caractériser avec des qualificatifs négatifs. « Je ne suis pas capable de faire ceci, je suis anéanti, je suis inutile ».
Le deuxième registre concerne la perte de plaisir. Tout ce qu’on faisait avant qui nous procurait du plaisir ne nous intéresse plus.
A l’extrême, il y a l’anhédonie : Ce sont des gens qui peuvent rester toute la journée sans rien faire, couché sur le lit, qui n’arrivent plus à prendre soins d’eux-mêmes.
Le troisième registre est la fatigue avec d’autres symptômes : difficultés de concentration, de prise de décision et souvent des troubles alimentaires. On n’a plus envie de manger ou bien on grignote beaucoup et on peut avoir une baisse de la libido ou de l’irritabilité (s’énerver pour un rien). Il existe vraiment beaucoup de symptômes qu’on peut retrouver dans la dépression.
Quelles sont les conséquences directes de la dépression ?
Elles sont nombreuses. Dans le cas d’une maladie, la dépression peut créer l’aggravation de la maladie ou être associée à d’autres maladies.
Nous avons également ce qu’on va appeler la conduite addictive. Le fait d’être en état de dépression peut conduire une personne à débuter ou à augmenter la consommation d’une drogue licite ou nom (alcool, tabac, cannabis, autres drogues).
En termes de risques, est-il vrai que les femmes sont plus exposées à la dépression que les hommes ?
Toute personne peut être victime de la dépression. On rencontre la dépression chez les enfants, chez les adolescents, chez les adultes et chez les personnes âgées. Mais, selon les statistiques, la femme est plus susceptible de faire la dépression que l’homme : le sex-ratio, c’est un homme sur deux femmes.
La dépression doit être distinguée de la déprime passagère.
Qu’est ce qui explique cela ?
C’est la pression sociale que subissent les femmes pour répondre aux normes de la société, la pression de se marier, la pression d’avoir des enfants, les remarques sur sa corpulence. Toutes ces pressions sur le plan familial et sociétal peuvent être des facteurs qui contribuent à fragiliser la femme.
Les hormones (cycle menstruel, la période péri-ménopause) ont un impact sur la régulation de l’humeur chez la femme.
Les femmes consultent plus facilement que les hommes quand elles ne vont pas bien. Les cas de dépression chez les hommes peuvent être donc sous-diagnostiqués.
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Comment faire face à une situation profonde de la détresse sans tomber dans la dépression ?
Pour parler de dépression, il faut qu’on constate les symptômes pendant au moins 14 jours. Quand on ne va pas bien, il ne faut surtout pas couper le lien avec les autres, rechercher la présence des amis ! Prendre du plaisir ! Cela veut dire, reprendre les activités qui nous procurent un état de bien-être. Si on aime jouer à la pétanque, on se remets à jouer à la pétanque. Si j’aime bien aller au cinéma, je pars au cinéma. Il faut fréquenter les instituts de beauté qui pullulent dans la ville, pour prendre soin de soi. Il faut surtout arriver à parler avec quelqu’un en qui on a confiance et demander de l’aide à un professionnel.
Une personne qui déprime est-elle consciente de son état?
La personne n’est souvent pas consciente qu’elle est en train de déprimer. Mais, elle est consciente qu’il y a quelque chose qui n’est pas normale, avant et surtout ce qu’on va appeler le changement de l’état intérieur.
Les gens disent généralement avant j’étais joyeux, je savais profiter de la vie. Avant, je m’occupais sainement, avant je faisais ceci. Mais maintenant, ça ne m’intéresse plus.
Tous ces facteurs sont des signes qui montrent qu’il y a la dépression. Souvent, on ne se rend pas compte nous-mêmes. Mais, l’entourage se rend compte qu’il y a quelque chose qui a changé et que ça ne va pas.
Comment peut-on soigner la dépression ?
La dépression se soigne si elle est prise en charge. Pour soigner la dépression, il faut caractériser sa gravité : l’épisode dépressif léger, d’intensité moyenne.
Il y a l’épisode dépressif sévère et cette phase nécessite une hospitalisation.
Pour le premier et le deuxième, le traitement peut se faire en ambulatoire. Cela veut dire qu’on reçoit la personne en consultation, de façon régulière au début puis, on espace les rendez-vous au fur et à mesure.
Pour le traitement, nous avons la thérapie par la parole ou la psychothérapie, la psychoéducation (Expliquer ce que c’est que la maladie, comment est-ce qu’on peut arriver à s’en sortir, en quoi consiste le traitement, la durée). Puis, nous avons la prescription des médicaments qui sont disponibles pour une bonne prise en charge au Burkina Faso.
Votre mot à l’endroit des personnes qui traversent des situations difficiles.
Quand on traverse une situation difficile, on a souvent l’impression qu’on est seul. Mais, il faut se dire qu’on n’est pas seul à vivre cette douleur. D’autres personnes l’on fait et qu’on y arrivera également.
C’est toujours bien de demander de l’aide. Si on n’arrive pas à en parler aux proches, il faut aller vers les agents de santé ou les professionnels de santé mentale.
C’est l’occasion pour moi de dire qu’au service de santé mentale, il y a également un volet prévention. Ce qui veut dire qu’on est là pour écouter, accompagner, pour soigner, sans juger les personnes.
Abdoulaye Ouédraogo
Aminata Ouédraogo Stagiaire