Par peur de la honte, de la stigmatisation et des représailles, certaines filles victimes de viol, décident de ne pas porter plainte contre leurs agresseurs. Cela se fait souvent en complicité avec les proches de la victime, laissant ainsi le bourreau impuni. Dans cet entretien accordé à Queen Mafa, Eunice Lankouandé, sage-femme et responsable de la maternité de Saaba évoque la prise en charge sanitaire des victimes de viol et les causes du refus de dénonciation des coupables de viol.
Quand parle-t-on de viol ?
On parle de viol lorsqu’on force une personne, sans son consentement à avoir des rapports sexuels. Tout rapport sexuel non consentant est considéré comme viol.
Peut-on justifier le viol ?
Le plus souvent, d’aucuns disent que c’est la fille qui provoque le viol par son habillement ou par son comportement. Est-ce qu’on peut dire cela des filles mineures qui se font violées ? Non ! Le viol n’est pas à justifier. On ne comprend pas pourquoi certains s’y adonnent.
Quels sont les cas de viol que vous rencontrez fréquemment ?
Dans notre structure, la plupart des cas de viol qu’on rencontre, ce sont les cas de viol sur les mineurs, sur les enfants à l’âge primaire.
Parmi ces cas de viol, quels sont ceux qui vous ont marqués ?
Il y a une dame qui confiait son enfant à son voisin et ce dernier abusait des enfants. Les enfants étaient très touchés. Il fallait qu’il y ait un accompagnement. Il y a un autre cas qu’une dame m’a envoyé. C’est son grand frère même qui couchait avec sa propre fille et c’est la gendarmerie qui l’a amené à notre niveau. Il y a un autre cas où un monsieur abusait de sa fille de 4 ans. Les cas sont très fréquents.
Ce qui nous complique souvent la tâche, c’est que la victime vienne consulter tardivement.
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Que faites-vous lorsque vous recevez les cas de viol ?
Quand les cas viennent à notre niveau, on examine la personne. S’il y a des lésions, on fait le dépistage du SIDA pour voir si la victime n’est pas atteinte ou infectée. Si toutefois, on arrive à mettre la main sur le violeur, parfois on lui demande aussi de faire son test. Si la victime a un âge compris entre 15- 16 qui est susceptible de pouvoir prendre une grossesse, on fait un test de grossesse aussi pour voir s’il y a une grossesse. Au cas où, il y a une grossesse, ce ne serait pas lié au viol. Mais, s’il n’y a pas de grossesse, on lui donne un autre rendez-vous pour un autre test. On met également les victimes sous ARV pour prévenir avant de voir la prise en charge psychologique.
Comment se fait la collecte de preuve à votre niveau pour la justice ?
Quand nous recevons une victime de viol, nous l’examinons physiquement de long en large pour voir s’il n’y a pas de lésions, s’il y a des traces de sperme. Ensuite, nous mentionnons tout cela dans un carnet pour qu’il y ait des preuves. Dès que les preuves sont collectées, nous fournissons une copie à la victime pour qu’elle l’utilise comme pièce à conviction lorsqu’elle voudra porter plainte.
Ce qui nous complique souvent la tâche, c’est que la victime vienne consulter tardivement. Dès que la victime se lave après le viol, elle efface les preuves.
Accompagnez-vous les victimes à porter plainte contre les bourreaux ?
Si la victime vient à notre niveau sans passer par la gendarmerie, nous la soumettons aux examens dont j’ai fait mention plus haut. Après la prise en charge médicale, si la victime elle-même décide de porter plainte, nous l’accompagnons dans ce sens. La plupart des victimes préfèrent résoudre les cas de viol à l’amiable. Il y a l’association des femmes juristes qui vient faire des sensibilisations à notre niveau. Nous encourageons les victimes à déposer plainte contre leurs bourreaux mais si elles refusent, nous ne pouvons pas les y contraindre.
Quelle est votre conduite quand la victime refuse de porter plainte ?
Quand la victime refuse de porter plainte contre l’auteur du viol, nous l’encourageons à le faire pour ne pas que ce dernier refasse la même chose avec une autre personne. Si la victime refuse de porter plainte et que l’on se rend compte après qu’il y a des complications telles que l’infection au VIH/SIDA, ce n’est pas évident que la victime puisse encore le faire. Voilà pourquoi nous insistons à ce que la victime porte plainte.
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Avez-vous déjà réussi à convaincre une victime à poser plainte contre son bourreau ?
Avec l’aide de l’association des femmes juristes, nous avons pu convaincre des gens qui ont accepté de poser plainte.
Nombreuses sont les filles victimes de viol qui souffrent en silence mais, qui préfèrent garder le silence ? Pourquoi cette attitude selon vous ?
Selon nos traditions, il est difficile de parler du viol. La personne victime de viol a peur de parler de ce qu’elle a subi parce qu’elle sera rejetée et stigmatisée. Aussi, certaines personnes ne croient pas au fait qu’un seul homme peut violer une femme
Donc cela freine l’élan de la victime à porter plainte. Dans nos sociétés, la femme est vue comme celle qui a le sexe faible donc c’est ce qui fait que, quand il y a viol, elle se renferme sur elle-même. Elle a honte d’en parler, elle a peur d’être rejetée.
Les victimes de viol qui refusent de porter plainte ne sont-elles pas influencées par leurs proches.
Le plus souvent, les auteurs du viol sont des parents proches de la victime. Par conséquent, ils préfèrent laver le linge sale en famille. C’est ce qui fait que ce genre de cas de viol est fréquent. Les victimes acceptent dénoncer facilement les auteurs qui n’ont aucun lien de parenté avec elles.
Mary S.