Ramata Toulaye Sy est une franco-sénégalaise. Elle a fait des études à l’école de cinéma Fémis. Avant même de finir sa formation, elle a eu l’idée de Banel et Adama, dont elle a présenté le scénario lors de son concours de fin d’études en 2015. Elle l’a écrit en hommage à sa culture familiale. Mais aussi pour combler un manque de représentation criarde dans le paysage cinématographique. Benjamine de la compétition à 36 ans, elle est aussi l’une de sept femmes en lice pour la Palme d’or, du jamais-vu sur la Croisette.
Banel & Adama, c’est l’histoire d’un jeune couple dont l’amour est mis à rude épreuve par les traditions de leur village, situé au nord du Sénégal, à la frontière de la Mauritanie. Au festival de Cannes, la réalisatrice s’est confiée aux médias.
« J’étais restée quelques jours et je n’avais pas vu beaucoup de films. j’ai très peu de souvenirs, si bien que pour moi, c’est cette année ma première fois. »
Déconstruire les stéréotypes
« Tout ce que je voulais petit à petit, c’est vraiment déconstruire, déconstruire toute cette vision de l’Afrique qu’on a, même sur la place de la femme par rapport à Banel ».
« Et c’est pour ça que c’est un personnage antipathique. Ce n’est pas la femme africaine, noire, très lisse, oppressée, qui recherche de l’aide, qu’on attend. Banel, je sais qu’elle est très antipathique et beaucoup de personnes ne peuvent pas l’aimer et tant mieux ».
« C’est complètement assumé et c’est aussi pour ça qu’on voulait aussi déconstruire tous les codes qu’on savait du cinéma et de l’Afrique ».
« En réalité, c’est beaucoup plus difficile pour une femme, plus difficile pour les Africains aussi. Et je pense que ça mérite qu’on se questionne là-dessus. Le problème du cinéma, c’est le problème du monde. On vit dans un monde d’hommes alors que ce devrait être un monde mixte. On ne devrait plus compter et avoir la parité dans tous les domaines. »
Pour moi, c’était juste un film
« Au départ, je devais présenter mon film à « Un certain regard ».
« La veille de l’annonce de la sélection, on m’a appelé pour me dire qu’on était en compétition. J’ai tout de suite ressenti beaucoup de fierté. C’est un peu effrayant aussi d’être parmi les maîtres ».
« On attend plus leurs films que le mien, mais je suis là pour me battre. Je voulais que cette histoire se déroule en Afrique mais qu’elle soit universelle « .
« Elle pourrait se dérouler dans les années 1950 comme dans les années 2020. On a cherché un village sans électricité ni portable, à 8 heures de route de Dakar. Je voulais que cette histoire se déroule en Afrique mais qu’elle soit universelle. »
« Demandez à un Européen ou un Américain de vous citer des personnages de fiction africaine, ils n’en seront pas capables alors qu’il en existe plein! ».
« Alors que là-bas tout le monde connaît Roméo et Juliette. Je me suis inspirée des grandes héroïnes tragiques comme Médée, comme Antigone « .
« Je voulais en créer la version africaine. Mais c’est avant tout l’histoire d’une femme qui veut vivre sa passion jusqu’au bout. »
« Je me suis beaucoup inspirée de Van Gogh, de Munch, l’artiste afro-américain Kerry James Marshall, du Ghanéen Amoakoa Boafo aussi « .
« Je suis incapable de peindre, alors je le fais avec le cinéma. C’est pour ça que ma mise en scène est très esthétique. Dans le film, il y a très peu de dialogues parce que je pense qu’on peut dire beaucoup par les silences, par les corps, par les regards. Par les couleurs aussi. »
« Même si je n’ai pas eu de mal à réunir le budget, je fais mon premier film à presque 37 ans et je sais qu’il y a des hommes qui font le leur à 22 ans « .