Conseillère en genre et développement et activiste engagée pour la promotion de la sécurité, Fatimata Ouilma/ Sinaré assure la présidence du réseau paix et sécurité pour les femmes de l’espace CEDEAO (REPSFECO) pour le compte du Burkina Faso depuis 2020. Dans cette interview accordée à Queen Mafa, la médiatrice communautaire qu’elle est, donne son analyse de la situation sécuritaire du Burkina Fasoet propose des solutions pour une réconciliation véritable au Faso.
Queen Mafa(QM) : Quelle analyse faites-vous de la situation sécuritaire actuelle du Burkina ?
Fatimata Ouilma (FO) : La situation est vraiment préoccupante pour ce qui concerne ma chère patrie le Burkina. On s’est rendu compte que les forces de défense et de sécurité qui se battent au jour le jour et qui mettent en danger leur vie pour nous sauver ne sont pas dans des bonnes conditions pour mener leur travail. En faisant une analyse globale de cela, il y a un intérêt global à sauver et cet intérêt c’est ce dont nous avons besoin au Burkina Faso. Chaque burkinabè devrait pouvoir proposer une solution à nos autorités et qu’on puisse les accompagner. L’urgence c’est d’agir et agir comment ? Le peuple devrait pouvoir dire aux plus hautes autorités voilà ce que nous pensons qui doit être fait. Chacun doit pouvoir apporter sa pierre en proposant des actions concrètes à faire. Je pense que le dialogue est ouvert présentement et chacun peut s’exprimer et proposer des actions à mener pour qu’on arrive ensemble à sortir de cette crise qui est en train de nous décimer. Nous avons trop perdu. Personnellement je pense que la sécurité doit être la priorité aujourd’hui. Le chef d’Etat devrait pouvoir être en contact direct avec les premiers responsables à tous les fronts et se rassurer que les choses se passent bien. Vous voyez que toutes les routes sont en train d’être refaites et tout cela va relancer l’économie, cela est très bien mais quand les routes vont finir et que la population sera à moitié maintenant, qui va utiliser ces routes ? On devrait revoir tout cela et prendre en compte les propositions des uns et des autres pour pouvoir aller de l’avant.
QM : Jadis considéré comme un pays de paix et de modèle de cohésion sociale dans la sous-région, Le Burkina est devenu la cible des attaques terroristes. Qu’est ce qui selon vous a occasionné l’effritement du climat social ?
FO : Le Burkina Faso est toujours un pays de paix et d’hospitalité malgré tout ce que nous vivons. Cela est inné en nous. Comment sommes nous arriver à situation ? Comment arrive-t-on à un conflit ? Je dirai qu’il y a eu beaucoup d’incompréhensions, beaucoup de non clarification et certainement à côté de ces incompréhensions, il y a eu du laissé aller. Il y a un adage mossi qui dit que si le chien de dehors arrive à avoir l’os de la maison c’est qu’il y a un chien dans la maison qui le lui a apporté. Il y a beaucoup de blessures à soigner au niveau du Burkina Faso et cela a été une porte ouverte pour donner la place à la situation que nous vivons aujourd’hui.
QM : D’aucuns estiment que la négociation avec les terroristes pourrait être la solution pour le retour de la paix au Burkina Faso. Partagez-vous cette opinion ?
FO : Moi je suis pour la communication et je demeure convaincu que c’est seulement à travers la communication qu’on peut arriver à se comprendre et trouver des solutions à tous les problèmes qui se posent à nous. Si on sait d’où vient le problème, on pourra négocier pour le résoudre mais s’il n’y a pas de communication, c’est compliqué. Si on ne communique pas, chacun est de son côté et il lance sa bombe jusqu’à ce qu’il n’y est plus un seul être sur la terre. Qui gagne en cela ? Personne. Moi je pense qui si on entame les dialogues, ces attaques pourront se suspendre. Si les négociations se passent bien et que cela aboutisse, on pourra se retrouver dans la paix. En toute chose, je priorise la communication. S’il y a les moyens de communiquer avec ces mouvements armés, franchement je pense qu’il faut peut-être communiquer avec eux. Si la communication ne marche pas donc il va falloir utiliser un autre moyen.
QM : A votre avis comment peut-on restaurer la cohésion sociale et réconcilier les burkinabè ?
FO : Le problème des burkinabè doit être réglé par des burkinabè. Il faut simplement se dire la vérité, il faut savoir quoi dire comme vérité, quelle est la vérité qui est attendue et à qui dire cette vérité. Une fois qu’on aura passé ce stade, je pense qu’on va repartir à ce pays d’antan de la cohésion sociale parfaite dans laquelle on vivait. Quand je parle de se dire la vérité ce n’est pas seulement les crimes de sang. Il y a toutes les formes de crimes qui se sont passées au Burkina depuis les années 1960 jusqu’à nos jours. Il faut dire la vérité à tout le monde et rendre justice à tous et non à un certain nombre de personne donné parce qu’il y a beaucoup de personnes qui attendent la justice. De 1960 à nos jours, il y a eu beaucoup de veuves, il y a eu beaucoup d’orphelins qui attendent toujours qu’on leur dise la vérité en face. Tant que cette étape n’est pas franchie, cela va être difficile. Il est temps qu’on reconsidère notre intégrité, qu’on puisse se regarder en face pour se dire la vérité, se rendre justice et pouvoir avancer.
QM: Pour une réconciliation nationale pensez-vous que Zéphérin Diabré soit l’homme de la situation ?
FO : La réconciliation nationale n’est plus une question d’individu mais d’intérêt général qu’il faut défendre et quand c’est ainsi tout le monde doit savoir qu’il est pris en compte, qu’il doit être écouté et qu’il peut s’exprimer. Zéphérin Diabré est un homme pétri de connaissance qui a une ouverture d’esprit, qui a aussi sa vision, qui a aussi ses rêves pour le Burkina Faso. Même si ce n’était pas lui, tout burkinabè qui a les compétences requises pourrait arriver à mettre en œuvre cette mission de conduire les burkinabè à la cohésion sociale. Moi je ne suis pour personne, je suis pour l’intérêt général, pour la cohésion sociale et tant que je pourrai apporter ma contribution en tant que citoyenne, je le ferai.
QM: Pensez-vous qu’une femme aurait mieux incarné le personnage de la réconciliation ?
FO : Que ce soit un homme ou une femme, l’important est d’avoir le soutien du peuple pour arriver à la réconciliation. Personne ne peut créer la cohésion sociale tout seul, c’est ensemble qu’on créer un environnement pour avoir une cohésion sociale durable.
QM : Quelle peut être la contribution de la femme dans le processus de réconciliation nationale ?
FO : Il faut repartir à l’éducation civique et morale, c’est la base et cela est la contribution de toutes les femmes. Je pense qu’il faut inclure les femmes dans le processus de médiation, de dialogue parce qu’elles ont des sensibilités que les hommes n’ont pas.
QM : Quelles sont les actions entreprises par votre réseau (au niveau local et dans la sous-région) en faveur du retour de la paix au Faso ?
FO : Nous contribuons à la mise en œuvre effective des résolutions 13-25 et toutes les résolutions complémentaires qui demandent la prise en compte effective des femmes dans les processus de gouvernance et de réforme du secteur de la sécurité. Nous menons aussi des activités de sensibilisation à travers les réseaux sociaux pour interpeller l’opinion publique et surtout les jeunes et les femmes à entreprendre des actions pour le retour de la paix au Burkina. Parmi ces actions, il y a cette récente campagne régionale que nous avons conduite à travers les réseaux sociaux en diffusant des messages autour des portraits des personnes pour susciter des engagements en faveur de la paix. Nous interpellons les jeunes à ne pas se laisser enrôler par les groupes armés. Nous interpellons également l’ensemble de l’espace CEDEAO notamment les femmes à s’impliquer dans les actions de recherche de la paix. Nous avons formé des relais communautaires pour la prévention de l’extrémisme violent et du terrorisme au niveau du Burkina.
QM : Que fait votre réseau pour les femmes victimes des attaques terroristes ?
FO : L’action que nous avons menée jusque-là c’est la collecte de dons pour les femmes déplacées de Dori.
QM : Un dernier mot ?
FO : Je veux interpeller l’ensemble des burkinabè à penser intérêt général. Il faut arrêter de penser qu’une seule personne peut amener tout le pays à une cohésion sociale. Une seule personne ne peut pas sauver des millions de personnes, il faut que ces millions de personnes regardent dans une même direction pour qu’on puisse sauver tout le monde.
Marie Sorgho