Florence Ouattara est une femme battante, connue au Burkina Faso pour son combat en faveur de l’autre moitié du ciel. Engagée dans la défense des droits humains depuis plus d’une vingtaine d’années, elle est devenue une référence en la matière aux plans national et international. A l’occasion d’une session de formation qu’elle a animée ce lundi, 1er novembre 2021, à Ouagadougou au profit des femmes journalistes, Queen Mafa a pu la rencontrer.
Queen Mafa (QM) : Présentez-vous à nos lecteurs
Florence Ouattara (FO): Je suis Florence Ouattara, coordonnatrice nationale de la coalition burkinabè des défenseurs des droits humains et du réseau des femmes défenseures des droits humains du Burkina Faso.
QM : Quelle est la situation actuelle de la protection des droits humains au Burkina Faso ?
FO : Les instruments de protection des droits humains ont du mal à s’appliquer au Burkina Faso. Vu le contexte sécuritaire et sanitaire du pays, je pense que les instruments de protection du citoyen ne peuvent pas être respectés. On assiste à pas mal de massacres d’individus qui compromettent dangereusement le droit à la dignité et à la vie. On voit des disparitions forcées, des enlèvements. En matière de droits humains, le Burkina Faso a de quoi s’inquiéter.
QM : Qu’en est -il de la protection des droits des femmes ?
FO : La question féminine est à l’image de la situation du pays. Le statut de la femme et son rôle dans la société en général n’a pas changé. Il y a toujours les violences basées sur le genre, la stigmatisation, les mutilations génitales féminines, la discrimination aux postes de responsabilités. Il n’y a qu’à voir les statistiques : que ce soit à l’assemblée nationale ou à l’exécutif, les femmes ne sont pas dans les sphères de décision.
Il n’y a pas beaucoup de candidates ni pour les mairies, ni pour les députés et encore moins pour la présidence. Cela n’est pas bon pour notre pays parce que nous sommes numériquement supérieures mais dans la gouvernance on est encore à la traîne. Les femmes sont encore très loin, elles sont au bas de l’échelle dans la participation. Elles ne participent pas pleinement en tant que citoyennes au développement du pays et je pense qu’il y a beaucoup de choses à faire.
Le Burkina ne peut pas décoller sans la femme
QM : Quels sont les facteurs qui impactent les droits des femmes au Burkina ?
FO : Si la femme n’est pas autonome, elle ne peut pas se prendre en charge et encore moins se donner la chance de participer au développement de son pays. Tout commence par l’autonomisation. Il y a aussi la faible instruction des femmes qui constitue un véritable problème. Vous savez que l’analphabétisme et la pauvreté ont un visage féminin. La femme qui ne peut pas se prendre en charge, qui n’a pas d’ouverture d’esprit et qui n’a pas accès à la terre ne peut pas participer pleinement à la citoyenneté encore moins au développement du pays.
Le diagnostic a montré que c’est au niveau de la femme qu’on tire le Burkina vers le bas. Les indicateurs sont là, on sait où le bât blesse. Tant qu’on ne ramène pas la femme à un niveau acceptable de participation, ça ne marchera pas. Le Burkina ne peut pas décoller sans la femme.
Tout ce qui est culturel est difficile à décoller. Avec les lois classiques, on décolle facilement mais au niveau de la culture, il faut du temps pour que les mentalités changent. Cela fait des années qu’on lutte contre l’excision par exemple mais pourquoi on n’arrive pas à décoller ? C’est parce que c’est culturel. Le mariage précoce, le lévirat, l’accès de la femme à la terre, tout cela est culturel.
Ce sont des tares que nous avons traînées depuis des années. Ça va être très difficile de changer la tendance, je n’ai pas dit que c’est impossible mais c’est très difficile. La preuve est que, ce sont les mêmes recommandations que le Burkina fait à chaque fois qu’on va à l’examen périodique et universel.
Le Burkina peut compter sur la nouvelle génération
QM : Quelles sont les perspectives pour redorer le blason en matière de protection des droits des femmes ?
FO : On a du travail à faire à tous les niveaux, à commencer par la femme elle-même parce qu’il faut une prise de conscience. Il faut que la femme elle-même s’invite à la participation avant d’aller à la décision. Il faut d’abord être un citoyen qui participe et c’est dans la participation qu’on émerge pour aller dans les sphères de décision. Le Burkina peut compter sur la nouvelle génération parce que les filles sont en train de décoller.
Il y a certaines filles qui embrassent les carrières scientifiques. Les filles sont en train de refuser progressivement le mariage forcé, beaucoup veulent aller loin dans les études. L’humanité avance et il faut avancer avec la femme. Le Burkina ne peut pas pédaler en arrière pendant que les autres avancent. Il faut qu’on s’inscrive dans la dynamique du progrès avec la participation pleine des femmes.
QM : Quels sont les recours possibles pour une femme en cas de violation de ses droits ?
FO : Une femme qui a subi une violation de ses droits est d’abord une citoyenne. Il y a le code pénal, il y a la loi 061 qui a été spécifiquement adoptée en 2015 pour la protection des femmes et des filles et cette loi est intitulée « loi de prévention, de répression, de réparation et de prise en charge des violences faites aux filles et aux femmes.
S’il s’agit d’une femme qui est dans la défense des droits humains, elle peut utiliser la loi 039 qui est suffisante pour la protection de tous les défenseurs hommes et femmes. Il y a également d’autres instruments tels que la convention sur l’élimination de toutes les discriminations envers les femmes et le protocole de Maputo. Il y a beaucoup d’instruments qui protègent la femme mais c’est l’ignorance qui fait que ces instruments ne sont pas utilisés par les victimes et encore moins par les organisations non gouvernementales qui les protègent.
Les femmes journalistes doivent quitter le journalisme des ateliers et des séminaires et s’inscrire dans le journalisme des spécialistes
QM : Vous venez de dispenser une formation au profit des femmes journalistes, quel était le contenu de cette formation ?
FO : C’est une prise de contact avec l’association des femmes journalistes et communicatrices pour la citoyenneté parce que c’est une nouvelle structure au sein des réseaux des femmes défenseurs. Elles ont besoin d’être outillées pour affronter l’opinion nationale et internationale. On avait besoin de leur donner quelques informations sur les droits humains et les inviter à s’outiller davantage pour mieux appréhender le domaine parce qu’il est complexe.
Il y a tellement de lois à promouvoir et à défendre qu’en tant que journalistes, il faut qu’elles fassent le choix d’aller dans les domaines qui leurs plait. C’est pour les inviter à quitter le journalisme des ateliers et des séminaires et aller s’inscrire dans le journalisme des spécialistes.
QM : Que suggérez-vous aux journalistes comme spécialisation ?
FO : Tous les domaines sont intéressants. Il n’y a pas de domaine qui n’est pas d’actualité. Que ce soit la question de l’environnement, la question du genre, de la gouvernance, des droits des femmes ou des enfants, tous les droits sont valables. Nous sommes en train de traverser des moments de turbulence donc tous les droits sont à revoir parce que vu le contexte sécuritaire et sanitaire, toutes les lois de protection ont été mises en veille au nom de la lutte contre l’insécurité.
Marie Sorgho