Des policiers guinéens ont été filmés à leur insu par un vidéaste amateur, le 29 janvier, en train d’utiliser une femme comme bouclier humain, dans la commune de Ratoma, à Conakry, capitale de la Guinée. Un homme, qui a recueilli la femme après la scène, raconte ce qu’il s’est passé et donne des nouvelles de la victime.
La vidéo dure un peu plus de trois minutes. Elle montre une femme retenue par un policier, accompagné de trois autres. Ils font face à plusieurs jeunes Guinéens, le 29 janvier, lors d’une nouvelle manifestation contre le possible troisième mandat du président Alpha Condé.
Les trois policiers placent la femme devant eux pour se protéger de jets de pierre et l’emmènent avec eux sur plusieurs mètres avant de la traîner au sol. La scène se termine dans la confusion après un tir de l’un des policiers.
La vidéo, récupérée et postée par Abdourahmane Bah, un habitant du quartier Wanindara 3, a été vue plus de 350 000 fois sur Facebook en moins de 24 heures. Il a recueilli la victime après avoir entendu des cris dans la rue.
C’est une dame qui travaille au marché Enco 5 comme femme de ménage, à quelques centaines de mètres de là. Elle était venue dans le quartier car elle avait appris le matin même qu’un enfant d’une de ses proches avait été blessé au pied lors des manifestations. Elle venait donc rendre visite à la famille de cet enfant, mais elle ne connaissait pas bien le quartier, car elle vit dans un autre quartier de Conakry.
Elle est tombée sur ces policiers, qui lui ont alors dit de rester avec eux, car il y avait des jeunes non loin. Mais c’était un piège, puisque rapidement, les policiers l’ont gardé avec eux pour faire face à ces personnes qui leur lançaient des pierres. Les policiers n’avaient plus de gaz lacrymogènes, et garder cette femme avec eux, c’était le seul moyen qu’ils avaient pour se protéger des pierres. Ils ont voulu négocier avec les manifestants par ce moyen, mais les jeunes ont refusé.
« La femme n’était pas enceinte, mais a un bébé en bas âge »
Après avoir été trainée sur plusieurs mètres, les policiers ont finalement abandonné la femme par terre, et se sont enfuis vers l’avenue Le Prince [route principale du quartier, NDLR]. Nous avons recueillis la femme qui était très choquée. Ses vêtements étaient couverts de boue, ma mère lui a donné de nouveaux habits pour qu’elle puisse partir. Cette femme n’était pas enceinte, comme on a pu le voir écrit ici ou là. Mais elle a un bébé de six mois [ainsi que 4 autres enfants, selon le site Guinéematin qui a pu l’interviewer, NDLR], et elle a eu très peur d’être blessée ou tuée dans les affrontements. Elle a de nombreuses plaies au genou.
Ce qu’il s’est passé est inacceptable. C’est la première fois que je vois un tel comportement avec une femme de la part des policiers, ça prouve que même les femmes ne sont pas épargnées. Depuis le début des manifestations, mon quartier est l’un des plus réprimés, et la présence des forces de l’ordre est permanente. On ne se sent pas en sécurité.
Les trois policiers aux arrêts
Nous avons également échangé avec le ministre de la Sécurité publique, Albert Damantang. Il a affirmé que trois policiers avaient été mis aux arrêts. Il a ajouté qu’un quatrième, présent avec eux, n’avait pour l’heure pas été identifié. Selon lui, ces policiers seront présentés à un conseil de discipline et prochainement sanctionnés.
En guise de défense, le policier aurait affirmé avoir vu la dame « donner des pierres aux jeunes », raison pour laquelle il l’a d’abord interpellée, une version qu’on « ne peut pas corroborer à ce stade » a dit le ministre. Il a par ailleurs renouvelé ses excuses à la victime, comme il l’avait fait dans cette vidéo publiée sur Facebook, et a affirmé qu’elle serait reçue par la ministre de l’Action Sociale, de la Promotion Féminine et de l’Enfance Mariama Sylla après avoir échangé avec elle par téléphone.
De son côté, François Patuel, chercheur à Amnesty International sur la Guinée, estime que cette vidéo est un exemple supplémentaire des abus de la police guinéenne :
Cette scène d’une femme utilisée comme un bouclier humain contrevient à plusieurs pactes internationaux signés par la Guinée. L’exposition volontaire de personnes à des souffrances ou blessures est une grave violation des droits humains. Mais cela s’inscrit dans une tradition d’impunité pour les violations commises par les forces de sécurité : depuis 2010, plus d’une centaine de personnes ont été tuées dans le contexte de manifestations.
Malgré les plaintes déposées par les familles, un seul policier a été condamné. Sa hiérarchie directement responsable n’a pas été inquiétée. Les abus policiers se multiplient en Guinée depuis fin 2019, alors que les protestations ne faiblissent pas contre le projet de nouvelle Constitution qui permettrait à Alpha Condé de se représenter pour un troisième mandat. Le 14 janvier, une vidéo montrant un homme âgé être malmené par la police avait déjà suscité l’indignation.
Source: afriquefemme