L’engagement des femmes en politique, leur positionnement sur les listes électorales, le débat sur le quota genre, les divisions au sein des partis sankariste… Fatimata Sawadogo/Bancé, première vice-présidente du Front des forces sociales (FFS), aborde ces questions, sans faux fuyant, dans cet entretien réalisé ce 3 septembre 2014.
L’engagement des femmes en politique, leur positionnement sur les listes électorales, le débat sur le quota genre, les divisions au sein des partis sankariste… Fatimata Sawadogo/Bancé, première vice-présidente du Front des forces sociales (FFS), aborde ces questions, sans faux fuyant, dans cet entretien réalisé ce 3 septembre 2014.
Queen Mafa : Après le décès du président de votre parti, vous avez assuré l’intérim. On s’est dit que c’était l’occasion pour une femme de diriger un parti sankariste. Mais au finish, c’est un homme qui a été investi président. Que s’est-il passé ? Avez-vous eu peur d’occuper le poste ?
Fatoumata Sawadogo Bancé(FSB) : C’est parce que nous avons voulu faire de la réal politique, comme les Anglais le disent. Il ne faut pas poser une action pour plaire ou pour satisfaire l’opinion ou une certaine mode qui en vogue. On ne met pas une femme pour qu’on dise qu’on a une femme présidente. Il faut mettre la personne qui peut vraiment assumer le rôle. Et le président Norbert Michel Tiendrébéogo a tellement chapeauté le FFS que, pour le remplacer, il fallait quelqu’un qui était auprès de lui, au jour le jour, qui connaissait beaucoup de choses et qui partait à certaines rencontres avec lui. En somme, la mémoire du parti. C’est le secrétaire général qui jouait ce rôle-là. Il maîtrisait beaucoup de chose et moi, pendant ma période d’intérim, j’avais beaucoup recours à lui pour gérer. Ce qui fait que nous avons trouvé que pour cette période-là, surtout avec les élections qui sont en vue, il ne sert à rien de vouloir paraître, mieux vaut être réaliste et mettre la personne qui maîtrise vraiment le parti, il connaît toutes les structures, de par le poste qu’il a occupé. Sinon, ça n’a pas été un problème pour mes camarades de me mettre ou pas. Il y a un comité qui a été mis en place, constitué des membres du bureau exécutif, élargi à certaines personnes du parti, qui devaient réfléchir, de façon réaliste, pour voir qui pouvait prendre les rênes du parti après Norbert, pour cette période-là. Et j’étais d’avis que le secrétaire général (SG) pouvait faire l’affaire. C’est ce qui a été fait.
Queen Mafa : Mais le SG pouvait aussi vous appuyer dans l’ombre ?
FSB : C’est vrai, mais pourquoi me mettre pour qu’on m’appuie pendant que quelqu’un peut faire le travail ? De toutes les façons, le FFS est là pour très longtemps. La présidence, on peut l’occuper à n’importe quel moment. Et, en plus, je pense qu’on peut servir le parti dans tous les postes. Je ne pense pas que le poste de vice-présidence que j’assume soit négligeable.
Queen Mafa : Le FFS a été le premier parti à quitter la coalition des partis sankaristes qui soutenaient la candidature de Me Bénéwendé Sankara pour la présidentielle à venir. Qu’est-ce qui s’est passé ?
FSB : Beaucoup de choses expliquent ce qui nous a fait quitter la coalition. Dans ce qui explique la situation, il y a du subjectif et de l’objectif. Les raisons objectives se situent du côté politique, là où on n’arrive pas à s’entendre sur certains points. Mais sur ce plan, peut-être que des concessions peuvent toujours se faire. Mais le côté subjectif, dont nous n’avons jamais parlé à aucune presse, c’est que Norbert, pour nous, au FFS, était comme un père. Et vous vous rendez compte qu’à la mort de Norbert, nous nous sommes sentis comme des orphelins. Me Sankara venait d’être désigné comme candidat des sankaristes, le 17 mai et le 22 mai 2014, Norbert est décédé. Et tenez-vous bien qu’à sa veillé funèbre, Me Sankara n’était pas là. Je n’oserai pas dire que même le CDP était là. Si je dis cela, c’est comme si je négligeais leur présence, non, mais c’est pour dire que Norbert a toujours combattu le CDP, c’est dans ce sens-là, mais ils étaient là et ils ont même fait un témoignage ; pour reconnaître en l’homme une certaine valeur. Je pense que personne ne pouvait mieux faire un témoignage sur le rôle de Norbert dans le Front progressiste sankariste que Me Sankara ! La plupart des dirigeants politiques que vous pouvez imaginer ont fait des témoignages, chacun sur un pan de la vie de Norbert. Le président Roch Marc Christian Kaboré, pour la présence de Norbert à l’Assemblée nationale pendant qu’il présidait l’institution, le président Zéphirin Diabré pour son rôle dans le CFOP. Chacun a témoigné sur un pan de la vie de l’homme. Je pense que le rôle de Norbert dans le mouvement sankariste a manqué. Me Sankara n’était pas là. Mais il était à Ouagadougou. Là n’est même pas le problème. Ça, ce n’est pas grave, mais l’enterrement ; même à l’enterrement, Me Sankara n’était pas là. Comment vous pouvez comprendre cette attitude ? Je ne sais pas, on peut peut-être donner des raisons, mais moi, je ne les accepte pas ! Sankara a été exhumé, certes, mais Me Sankara ne tenait pas la pelle, sans oublié que la femme de Thomas Sankara est venue à la Cathédrale, alors qu’elle est plus concernée par l’exhumation de son mari que Me Sankara. Vous voyez qu’il y a des raisons subjectives qui viennent s’ajouter à des raisons objectives que je ne peux pas tout évoquer ici…, qui ont fait que nous nous sommes dit qu’il fallait revoir les choses. Moi, en tout cas, en bonne africaine, vous pouvez ne pas venir à mon mariage, à mon baptême, à mon anniversaire, ce n’est pas un problème. Mais un décès, même si nous sommes des ennemis jurés, c’est le moment où ne jamais de se réconcilier. A plus forte raison que théoriquement, ce n’était pas des ennemis. Me Sankara et Norbert Michel Tiendrébéogo n’étaient pas des ennemis, c’est la même famille sankariste. Norbert a été le premier vice-président du Front progressiste sankariste (FPS), Romain Conombo du CNR-MS était le deuxième vice-président et moi j’étais la troisième vice-présidente. Donc, que le premier vice-président du Front progressiste sankariste (FPS) décède et le président du parti vient comme n’importe quel voisin, après l’enterrement à domicile, je ne trouve pas cela admissible. Bref, voici, entre autres, les raisons subjectives dont je parle. Mais les raisons objectives, on les a tellement évoqué que je n’en parle plus.
Queen Mafa : Pourtant, beaucoup de Burkinabè avaient porté l’espoir sur les sankaristes. L’union était donc l’une des voies qui allait vous rendre plus forts, mais malheureusement, ça n’a pas tenue. Vous n’avez pas un pincement au cœur après cet échec?
FSB : J’aime à dire que le mouvement qui a conduit à la chute du Président Compaoré, c’est Thomas Sankara. Parce que, ce sont des enfants qui, parfois, n’étaient même pas nés quand Sankara mourrait qui étaient là et qui défendaient ses idées, même s’ils ne disaient pas qu’ils étaient des sankaristes, les idées qu’ils défendaient étaient ceux de Sankara. Et les partis sankaristes, naturellement, devaient bénéficier de cela, mais malheureusement, c’est difficile de remplacer un grand homme. C’est très difficile. Vous avez vu ce qui se passe en Afrique du Sud. Dans beaucoup de pays, quand quelqu’un a été très grand et que vous voulez vous identifier à lui, c’est très difficile. Nous n’avons pas encore trouvé la personne qui puisse faire l’unanimité chez tout le monde. Si vous voyez déjà la pléthore des partis sankaristes, on n’était pas nombreux à la convention des 16 et 17 mai dernier. Et le matin de la convention déjà, il y a des gens qui ont quitté. Ce qui fait que ce n’est pas évident. Sinon, si on avait vraiment trouvé la personne qui pouvait faire l’unanimité. Cette présidentielle, on pouvait la remporter, parce que c’est très ouvert. Soit on gagnait la présidentielle, soit on était faiseur du roi. Là, j’étais convaincu. Mais, que voulez-vous ? Il y a, je ne dirai pas, une malédiction, peut-être, qui nous suit et qui fait qu’on ne peut pas s’unir. Mais on espère. Le problème aussi, c’est qu’étant au FFS depuis 1998, j’ai vu tellement d’union, de démission et des fusions à tel point que je me suis dit que l’énergie que nous avons gaspiller dans tout ça et l’effet néfaste que cela a dans l’opinion publique, si on s’était abstenu même de vouloir faire des fusions et on laissait les partis fonctionner et le plus grand parti phagocyte les autres, il n’y avait pas de problème. Parfois, on prend toute une année dans des pourparlers, faire les bureaux, les structures, les règlements intérieurs… pour en arriver à quelque chose qui va échouer au bout de trois mois. Je pense qu’à l’analyse, c’est mieux de laisser les partis renforcer leurs bases. Nous avons passé beaucoup de temps à faire, chaque fois, des unions ratées.
Queen Mafa : Votre parti, le FFS, a conçu des listes pour les législatives d’octobre prochain. Comment les femmes sont-elles été positionnées sur ces listes ?
FSB : Les femmes ont été positionnées dans la mesure de nos capacités, parce que nous n’avons pas assez de femmes dans nos structures. Je ne dirai pas que c’est seulement ça, mais entre autres, voilà pourquoi je suis contre le quota genre tel que prôner de nos jours. Imposer un quota de femme sur les listes, alors que vous n’avez pas essayé de voir combien de pourcentage de femme existe dans les structures des partis politiques, ce n’est pas réaliste. Quand on prend le bureau politique d’un parti, il y a combien de femmes ? Ce ne sont pas les hommes qui empêchent les femmes d’être dans les bureaux des partis. Non. Pour que la femme entre dans un bureau politique d’un parti, c’est difficile. Elle peut être militante, mais quand vous lui dite de venir occuper un poste, elle vous dit : « je vais demander à mon mari ; je vais demander à mon papa ; je vais demander à ma belle-famille… » Vous voyez qu’il y a des freins. Alors que pour l’homme, parfois, sa femme découvre dans un journal que son mari est dans un parti, ou a même créé un parti. Mais ce n’est pas pareil chez la femme. Les femmes peuvent être des militantes, des sympathisantes, mais pour qu’elles acceptent être dans une structure, acceptent mettre leurs noms sur une liste de candidature pour qu’on affiche, là, elle a besoin de plusieurs vagues d’autorisations. Parfois, ça va jusqu’à ses enfants. Que voulez donc ? Nous n’avons pas de femmes et on ne va pas inventer des femmes pour mettre sur les listes électorales.
« Si on veut vraiment promouvoir les femmes, que le Président du Faso prenne un décret»
Queen Mafa : Et que faites-vous pour amener les femmes en politiques ?
FSB :. Nous œuvrons plutôt pour amener des gens qui vont militer dans notre parti ? Des gens qui sont engagés et motivés. Ça peut être des femmes comme des hommes. Nous ne ciblons pas spécifiquement des femmes, mais il y a un secrétariat chargé de la question de la femme qui fait de son mieux. Mais c’est très difficile. On ne peut pas obliger quelqu’un. C’est comme si on disait aujourd’hui qu’on veut 50% de femmes militaires. Ce serait compliqué. Il n’y a pas de femmes dans les partis politiques. Elles ne veulent pas militer. Et quand elles militent, elles ne veulent pas prendre des responsabilités. Moi, là où je suis aujourd’hui, j’ai évolué au FFS parce que justement, j’étais jeune fille. En 1998, quand j’ai intégré le parti, j’étais jeune fille et les dames qui étaient au FFS, il y a certaines qui disaient : « non, mon frère est militaire, si je prends la parole, j’aurai des problèmes… ». « Ah non, moi je ne peux pas parler parce qu’il y a mon fils qui est en train de faire le PMK… » Chacun avait une raison. Il y a des tanties qui se reconnaitront dans mes propos et qui n’ont pas voulu prendre des responsabilités. Alors que si on te met comme responsable à la question féminine, il faut parler. En son temps, j’étais adjointe à la question féminine, étudiante, célibataire, qui venait de sortir du campus. Je n’avais aucune contrainte. Mon papa n’était pas militaire et je n’ai pas de frère militaire. C’est pour vous expliquer la difficulté que nous avons à avoir des femmes. Vous voulez donc qu’on fasse comment ? Nous menons des actions, nous essayons de sensibiliser, d’expliquer aux femmes l’importance de s’engager en politique. Et actuellement, notre stratégie consiste à viser la jeunesse. Nous nous rendons dans les campus où nous essayons d’intéresser les jeunes filles à la politique. Si elles s’intéressent à la politique, il y a un pourcentage qui va y demeurer.
Queen Mafa : Au-delà du FFS, quelle analyse générale faites-vous sur le positionnement des femmes sur les différentes listes des partis politiques pour les législatives à venir ? Pensez-vous que le combat des femmes lors de l’insurrection a été récompensé à sa juste valeur ?
FSB: Je pense que le combat des femmes lors de l’insurrection ne visait pas une récompense particulière. Sinon, dites-moi, qu’est-ce que le Balai citoyen, le CAR, le mouvement ça suffit… vont dire ? Tout le monde a payé, d’une façon ou d’une autre, pour cette insurrection. Je ne veux pas qu’on réduise le rôle de la femme à cela. Non. Nous étions là, nous avons marché avec des spatules, nous avons fait ce qu’on a pu.C’était notre rôle aussi. Si on ne l’avait pas fait, nos fils allaient le faire et ç’allait être une honte pour nous. Le vrai problème est que les femmes ne veulent pas être dans les structures. Elles ne veulent même pas être sur les listes. Allez rencontrer les responsables des partis politiques et ils vous diront comment ils ont souffert pour avoir des femmes. Sauf les grands partis où les femmes sont sures que si je suis dans telle position, je vais passer. Là, elles se battent pour rentrer là-bas, afin d’être positionnée. Et là encore, dans les grands partis, si on va te mettre 16e, ce n’est pas évident que tu sois élu. Ce qu’elles veulent, c’est être première ou deuxième, parce qu’elles se disent qu’elles ont la chance de passer en ce moment. Là, c’est une question d’intérêt. Les femmes préféreront être sur les listes des grands partis et c’est ce qui m’emmène à dire que le débat sur la promotion des femmes et une fausse discussion. Si les gens aiment tant les femmes, si les gens veulent tant promouvoir les femmes, il y a des solutions très simples. Par décret, on peut promouvoir les femmes ! Le président du Faso peut prendre un décret qui dit que dans chaque ministère, il veut 5 femmes parmi les 45 directeurs provinciaux. Cela est faisable, puisque c’est une question de corps de métier et de diplôme. Imaginer si on procède ainsi : 45 directeurs provinciaux par ministère, avec 5 femmes forcément ; 13 directeurs régionaux, avec 3 femmes ; moi je ne veux même pas beaucoup, 45 Haut-commissaire, 5 femmes ; 13 gouverneurs, 3 femmes. Si on fait comme ça, vous verrez que ces femmes qui vont aller au commandement, auront le goût d’aller dans les pouvoirs de décision. Peut-être pas toutes, mais je suis sure qu’une grande proportion va y rester. Parce que, quand on remarque, la plupart des femmes qui étaient au CDP et qui étaient parfois très virulentes, ce sont des femmes qui étaient des CDR et des Haut-commissaires au temps de Thomas Sankara. Il les avait promues. Certaines n’avaient même pas le niveau, mais il les a promues Ces femmes-là, de nos jours, si vous regardez sur la scène, elles sont toujours là. Voilà pourquoi je dis que si on veut résoudre le problème de promotion des femmes, il faut passer par un décret.
Queen Mafa: Le FFS n’a pas présenté de candidat pour la présidentielle. Vous soutenez quel parti ou quel est votre stratégie ?
FSB: Nous sommes dans des pourparlers pour le moment. Sinon, nous n’avons pas présenté de candidat parce que nous trouvons que ce n’est pas une foire. Notre président vient de décéder. Nous venons de faire notre congrès et notre nouveau président est tout nouveau, donc nous n’allons pas aller faire de la comédie. Ce n’est pas une affaire de caution, même si je reconnais que la caution est élevée. Le problème ne s’est pas poser dans ce sens, parce que, bien avant le décès du président Norbert, il était question qu’on n’allait pas aux élections.
Queen Mafa : Peut-on s’imaginer qui vous aller soutenir ?
FSB : Ce qui est sûr, ce sera quelqu’un de l’ancienne CFOP que nous allons soutenir. Nous n’irons pas soutenir un parti qui n’était pas dans l’ancienne opposition.
Queen Mafa : Comment voyez-vous l’avenir des femmes sur la scène politique burkinabè ?
FSB : Je pense que le terrain est actuellement bien balisé pour les femmes, parce que, avec la chute du régime Compaoré, même s’il y a toujours des tentacules qui sont là, au moins cette peur que les femmes avaient : « je ne vais pas aller, il ne faut pas qu’on me voit, parce que… », je pense que, tant au niveau des hommes comme les femmes, personnes ne peut plus prendre cela comme un prétexte. De ce qui précède, les femmes qui avaient effectivement des raisons objectives, parce qu’elles avaient peur pour leurs époux, leurs enfants, n’ont plus cette peur-là et je pense que parmi ces femmes, une grande partie peut librement se lancer dans la politique. La chape de plomb qui était là, depuis 27 ans, est partie. La voie est libre pour chacune. Mais il ne faut pas que quelqu’un attende qu’on vienne lui faire du favoritisme. Parce que la politique, c’est ça aussi, il ne faut donc pas attendre qu’on vienne nous faire des cadeaux. A l’intérieur des partis même, ce sont des débats, des discussions. Comment voulez-vous que sur le plan national, on vous favorise comme ça ; parce que vous êtes une femme ? C’est faire honte même à la gente féminine que d’être promue parce qu’on est femme. Nous sommes assez fortes quand-même (rires…)
Queen Mafa : Avez-vous un cri de cœur ?
FSB : Mon cri de cœur, c’est que Dieu protège le Burkina Faso, qu’on puisse faire les élections en paix et que les choses reprennent leur cours normal. C’est vraiment mon cri de cœur parce qu’en tant que mère, voir le sang qui a été versé sur le goudron, les 30 et 31 octobre 2014, je prie Dieu que ce soit un lointain souvenir pour nous et que le Burkina Faso soit un exemple, donne l’exemple aux autres pays.
A Traoré