Le Burkina Faso recule-t-il sur les droits des femmes? La relecture du Code des Personnes et de la Famille en cours, suscite des inquiétudes quant aux biens fondés de certaines modifications proposées. Dre Lydia ROUAMBA, épouse TAPSOBA, Maîtresse de recherche en sociologie INSS/CNRST, a analysé les modifications apportées et leurs conséquences potentielles sur les droits des femmes burkinabè. Dans cet article que nous vous proposons in extenso, elle explique que ces modifications constituent une voie ouverte pour légaliser les inégalités déjà existantes et renforcer la domination des hommes.
Introduction
Le Code des Personnes et de la Famille (CPF) du Burkina Faso, adopté le 16 novembre 1989 et entré en vigueur le 4 août 1990, s’inscrivait dans une dynamique héritée du projet révolutionnaire, pour lequel, l’émancipation des femmes était un objectif affiché. Il visait la promotion et la protection des droits des femmes de même que l’encadrement des unions matrimoniales afin d’assurer une plus grande équité entre les époux.
Cependant, sa récente relecture entreprise par le Conseil des ministres le 10 juillet 2024 a introduit des modifications sur deux points majeurs :
1 La possibilité pour un homme marié sous le régime monogamique d’opter pour la polygamie, avec le « consentement » de la première épouse.
- La reconnaissance des mariages coutumiers et religieux au même titre que le mariage civil.
En effet, le projet de code dispose respectivement en ses Article 221-7 et Article 221-20 que :
« S’il n’a pas été fait d’option de polygamie dans les conditions prévues aux articles 210-2 et suivants du présent code, aucun des époux ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier ».
« Lorsque le mariage est célébré ou transcrit sous la forme de la monogamie, aucun des époux ne peut contracter un autre mariage avant la dissolution du premier ».
Mais il dit également en son article 221-25 que :
« Les époux peuvent changer l’option de monogamie en celle de polygamie par déclaration conjointe homologuée par le tribunal. Ce changement est irrévocable. Dans ce cas, le régime matrimonial, s’il y a lieu, est modifié dans les conditions prévues à l’article 221-14 du présent code ».
Ces modifications constituent un recul de notre point de vue et suscitent, par ce fait, des inquiétudes. En effet, loin de favoriser l’égalité et l’équité entre les sexes, elles risquent, si l’on n’y prend garde, d’accentuer la discrimination des femmes en légitimant des conceptions et des pratiques qui, dans le contexte actuel, renforcent la domination des hommes. Il ressort de cette analyse que nous vous proposons in extenso, certaines modifications comme fera que légaliser des inégalités déjà existantes, de renforcer la domination des hommes.
Du régime monogamique à la polygamie : une menace pour les premières épouses
L’un des aspects les plus préoccupants de la relecture du CPF est la possibilité pour un couple de quitter un mariage monogamique pour adopter la polygamie, sous réserve du consentement de la première épouse.
Un consentement souvent illusoire
En apparence, cette exigence semble protéger les femmes en leur donnant un droit de regard sur l’évolution du régime matrimonial. Mais dans la réalité sociale du Burkina Faso, où les normes patriarcales règnent, nombre de femmes peuvent céder sans consentir en raison de plusieurs facteurs :
- pressions familiales et sociales : dans les sociétés du Burkina Faso, le mariage est perçu comme une alliance entre familles. Une épouse qui refuserait la polygamie risquerait d’être stigmatisée par son entourage et même par sa propre famille ;
- dépendance économique : bon nombre de femmes sont financièrement dépendantes de leur mari. Refuser la polygamie pourrait signifier la précarité ou même un sevrage économique sévère ;
- influence des traditions et de la religion : dans certains milieux, la polygamie est légitimée et valorisée. Une femme qui refuserait cette coutume risque d’être jugée négativement par sa communauté et les autorités religieuses.
Une disposition qui fragilise les premières épouses
Si le législateur cherche véritablement à protéger la famille et assurer la stabilité des ménages, il ne devrait pas introduire un mécanisme qui facilite et légitime la relégation progressive des premières épouses. En effet, dans de nombreux cas, les femmes dont le mari prend une seconde épouse se retrouvent souvent marginalisées au sein de leur propre foyer.
Plutôt que de décréter ce basculement vers la polygamie, la priorité devrait être donnée à l’éducation des filles et l’autonomisation économique des femmes, afin qu’elles aient la capacité de faire des choix réellement éclairés en ce qui concerne le régime matrimonial de même que leur vie conjugale.
En effet, le rôle du droit est d’assurer une protection équitable à toutes les épouses. Il ne devrait pas contribuer à créer des conditions légales qui favorisent perfidement la précarisation des premières unions.
Mariages coutumiers et religieux : une reconnaissance prématurée qui renforce la domination masculine et la précarité des femmes
Un autre aspect central de la relecture du CPF est la reconnaissance des mariages coutumiers et religieux au même titre que le mariage civil. L’argument avancé est que ces unions sont déjà largement pratiquées et qu’il serait juste de leur conférer une valeur légale afin de mieux protéger les époux.
Loin de nous l’idée de sous-estimer la valeur des mariages coutumiers et religieux, dans la mesure où, avant même qu’un mariage civil ne soit célébré, il faut souvent que des étapes traditionnelles soient respectées :
- remise d’une dot ou de présents symboliques ;
- rituels consacrant l’accord des familles ;
- bénédictions coutumières ou religieuses.
Cela pour montrer que l’union conjugale, au-delà des deux individus, est une alliance entre deux familles, une dimension essentielle dans nos sociétés. Ces mariages ont une valeur incontestable dans les communautés qui les pratiquent et participent à la cohésion sociale.
Une reconnaissance légale qui ne garantit pas la protection des femmes
Toutefois, les contextes dans lesquels ces mariages sont célébrés n’évolueront pas simplement avec leur reconnaissance légale. Dans la majorité des milieux où ces unions sont pratiquées, les décisions matrimoniales continueront d’être régies par les conseils familiaux et religieux, qui imposent leurs propres règles, souvent au détriment des droits des femmes.
La reconnaissance légale ne changera pas les réalités sociales : la reconnaissance légale de ces mariages ne modifiera pas fondamentalement les réalités sociales. Même si la loi leur confère une validité officielle et garantit aux femmes concernées les mêmes droits que celles mariées civilement, les structures familiales et religieuses continueront d’exercer une influence déterminante ;
- Un risque d’amplification de la polygamie : dans la plupart des mariages coutumiers et religieux, la polygamie est non seulement acceptée, mais encouragée. Leur reconnaissance juridique facilitera encore davantage cette pratique.
Priorité à l’éducation et à l’autonomisation des femmes
Avant de reconnaître ces unions comme équivalentes au mariage civil, il est impératif et urgent d’agir sur trois leviers fondamentaux :
- renforcer l’éducation des filles et des femmes : une femme mieux informée sur ses droits est en mesure de faire des choix plus éclairés en matière de mariage ;
- autonomiser économiquement les femmes : tant que les femmes resteront dépendantes financièrement de leurs maris ou de leurs familles, elles n’auront pas la possibilité de faire prendre en compte leurs choix ;
- sensibiliser les familles et les communautés : Les changements de lois ne suffisent pas si la société elle-même ne reconnaît pas l’égalité entre les sexes.
Une réforme influencée par des logiques conservatrices ?
La relecture du CPF semble davantage dictée par la volonté de ménager des courants religieux et traditionalistes plutôt que par un véritable souci de promouvoir l’égalité des sexes. Là où le CPF de 1989 affichait une ambition claire de protection des femmes, la version relue semble faire des concessions aux normes patriarcales traditionnelles.
En l’absence de mesures fortes pour préparer la société à ces évolutions, ces nouvelles dispositions risquent de renforcer les inégalités au lieu de les réduire.
Quelles alternatives pour un CPF mieux protecteur ?
Si l’objectif de la relecture du CPF est réellement de garantir l’équité entre les sexes, la priorité devrait être donnée, au préalable, à certaines actions concrètes :
- Interdire le passage de la monogamie à la polygamie.
- Conditionner la reconnaissance des mariages coutumiers à un travail préalable sur les droits des femmes.
- Mettre en place un vaste programme intégré d’éducation et d’autonomisation des femmes.
Conclusion
Derrière l’argument du respect des coutumes, la relecture du CPF risque de fragiliser davantage les droits des femmes. Avant d’envisager une reconnaissance légale des mariages coutumiers et religieux, il est impératif d’investir dans l’éducation, l’autonomisation et l’évolution des mentalités. Toute réforme qui ne prend pas en compte ces éléments ne fera que légaliser des inégalités déjà existantes, de renforcer la domination des hommes. Loin d’être une avancée, la révision en l’état marque un risque de régression pour la condition féminine au Burkina Faso.
Dre Lydia ROUAMBA épouse TAPSOBA
Maîtresse de recherche en sociologie INSS/CNRST palingwinde@hotmail.com