En deux décennies, Souleymane Nana s’est imposé dans l’univers des promoteurs culturels au Burkina Faso. De la programmation artistique en passant par la gestion des partenariats et la dynamisation des projets, il s’est approprié le fonctionnement de l’évènementiel. Grâce à l’expérience acquise au gré des évènements, cet entrepreneur est une référence en la matière. Actuellement responsable de Soul Sound Production, évoluant dans le domaine de la communication visuelle, Souleymane Nana revient sur son parcours semé d’embûches et de succès.
Qu’est-ce qui vous a motivés à vous lancer dans l’événementiel ?
En Côte d’Ivoire, on avait créé l’Association Agnié Junior à travers laquelle, on a initié une activité culturelle pour les tontons et les tantes du quartier qui a eu du succès. C’est ainsi que j’ai commencé à aimer l’organisation des événements parce que ce fut mes premiers contacts avec des célébrités du monde de la musique telles que Scorpio du groupe RAS et Ismaël Isaac.
En 1992, je suis rentré au Burkina. Avec quelques amis venant de la Côte d’Ivoire (les diaspos), on a prévu une activité similaire avec des artistes. Ils n’étaient pas vraiment engagés. Finalement, tout seul, je l’ai bien organisé. J’ai renouvelé l’expérience deux fois. Puis, je me suis lancé maintenant, dans l’organisation d’événements.
De plus, en 98-99, l’A&D.B International Show-Biz m’a comme chargé de promotion des spectacles. Ainsi, j’ai participé à l’organisation des NUFA Stars, premier festival dédié à la musique burkinabè à l’Institut Français Georges Méliès.
J’ai aussi participé au Salon de la musique où j’ai rencontré Amety Meria, Bil Aka Kora et biens d’autres artistes. A partir de cette activité, nous avons fait les États généraux de la musique burkinabè, qui ont bien aidé le ministère de la Culture avec à sa tête le ministre Mahamoudou OUEDRAOGO à relancer la musique burkinabè dans les années 98.
De 2006 à 2024, vous avez participé à l’organisation d’une dizaine d’évènements. Qu’est-ce qui fait la spécificité de ces évènements ? En quoi sont-ils importants pour le pays ?
En 1996, j’ai débuté avec des petits événements RAP. Mon premier grand événement culturel tenu de 2006 à 2008 est RAP Flow. Un canal qui permet aux artistes de se faire connaître et de s’exprimer.
Puis, j’ai marqué une pause pour me concentrer sur la création d’une entreprise. Je remercie au passage sans citer de nom, les personnes ressources, les artistes rappeurs, ceux de Tanghin, les animateurs radios et télé, le public.
Ensuite, je me suis tourné vers les événements éducatifs et de formation à partir de 2017 en organisant la première Conférence des Jeunes Leaders Ouest Africains (Mali, Niger, Togo).
En 2023, à l’issue du sommet des jeunes Leaders et Acteurs de Développement local en Afrique, la première édition du Business Forum de l’Entrepreneuriat et des Innovations Africaines à Ouagadougou a vu le jour.
Quel est leur impact économique ? C’est-à-dire, la contribution au PIB du Burkina Faso, le nombre d’emplois créés.
On ne peut pas évaluer parce que le secteur de la promotion culturelle est très instable. Il n’y a pas une ossature qui permette d’avoir des bases de données concrètes et actualisées.
Les acteurs qui emploient le plus, sont les salles et espaces de production de spectacles, les orchestres. Je ne suis pas un expert. Donc, je me garde de commenter sur ses points. Par contre, en tourisme une cartographie existe et des structures bien organisées exercent à plein temps avec du personnel répertorié, bref.
Par exemple, en Côte d’Ivoire, le pays investit énormément dans la culture. Dans les années 80, le président Houphouët Boigny a créé les orchestres de la RTI, de l’Université d’Abidjan, etc. Beaucoup de célébrités sont issues de cette initiative.
Tandis qu’au Burkina, la musique, le théâtre, etc. ne sont pas véritablement considérés, ni encrés dans les habitudes. Aussi, au niveau politique, on a du travail à faire pour que cela soit pris en compte.
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Combien de tous ces évènements existent encore ou sont tombés ? Pourquoi ?
Beaucoup de ces évènements n’existent plus, je suis passé à autre chose.
En 2008, Rap Flow a dégénéré parce qu’on n’avait pas d’argent alors qu’on a avait promis des prix aux gagnants. Les jeunes étaient furieux parce qu’ils ne pouvaient pas comprendre ce qui se passe dans les coulisses. Le budget prévisionnel s’élevait à plus de 26 millions de FCFA. Le ministère de la culture nous avait soutenus. Mais, hélas les charges étaient énormes.
L’événement RAP FLOW de 2008 a duré neuf (09) mois d’affilés. Heureusement, on avait le CENASA comme partenaire. La communication, le cachet des artistes invités, la sécurité, les frais de secrétariat, le carburant etc… nous ont coûtés beaucoup d’argent. Personnellement, j’ai investi près de quatre millions de FCFA.
Au final, j’ai laissé tomber. La seule option que j’avais, c’était de me concentrer sur mon entreprise de communication visuelle (sérigraphie calligraphie et de conception graphique).
Je garde, jusqu’à présent, un goût amer de cette expérience parce que ça m’a porté un coup dur. Notre objectif n’était pas de gagner de l’argent. Mais plutôt, d’imposer le hip-hop comme une musique de référence permettant également aux artistes d’avoir un cadre d’expression et de la notoriété.
Avec le temps, beaucoup de ceux qui nous en voulaient dans l’organisation RAP FLOW reconnaissent, à présent, que ça n’a pas été facile et que nous avons fait de notre mieux.
Qu’est-ce que les sponsors gagnent en retour lorsqu’ils vous accompagnent dans les activités ?
Leur objectif premier, c’est d’avoir de la visibilité ou bien du gain en vendant leurs produits et services. Cela passe par un partenariat gagnant-gagnant.
Certains sponsors expriment leur soutien de façon verbale. Ils vous font des promesses et par la suite, vous vous retrouvez dos au mur.
Quand on ne peut pas aider quelqu’un, on doit dire clairement les choses ou les notifier, à travers une correspondance.
Au début, certains responsables de structures vous disent qu’ils sont intéressés par votre projet et acceptent de vous recevoir. Ils échangent bien avec vous et évaluent le bénéfice à tirer de votre projet. Souvent, cela n’est pas dans leur logique d’intervention,. Mais, ils ne vous notifient pas. A l’approche de l’évènement, ils deviennent injoignables.
Conséquence, vous n’avez pas le soutien attendu, vous êtes bloqués. Il est bon pour les organisateurs d’étudier, de connaître les axes d’interventions, la bonne approche pour chaque partenaire et de s’adapter également aux changements.
Cependant, certaines structures ont déjà des documents préparés. En cas de besoin, elles vous informent par écrit, qu’elles sont ou ne sont pas à mesure de vous accompagner. Et ça, c’est à féliciter.
Combien investissez-vous dans l’organisation d’un évènement et combien, gagnez-vous ?
Nous investissons actuellement en moyenne cinq (05) à huit (08) millions. C’est vraiment insuffisant. Mais, nous redimensionnons lorsque les partenaires ne répondent pas favorablement. Mais, j’ai espoir qu’avec l’intérêt que suscitent nos activités telle que le Business Forum de l’Entrepreneuriat et des Innovations Africaines, les sponsors et partenaires accepteront de nous accompagner en investissant plus de ressources.
Un différend (contentieux) vous a-t-il déjà conduit en justice ?
Non. J’ai réussi à régler mes problèmes, à l’amiable. Lorsque des dettes surviennent après l’organisation d’un évènement je m’arrange au fil, du temps, à les éponger. Aujourd’hui, ça va.
Les événements foisonnent au Burkina Faso. Il ne se passe pas une semaine sans un événement. Pensez-vous que l’organisation d’événements est un secteur lucratif ?
Oui, c’est un secteur lucratif. Mais, tout dépend de l’organisation.
Par exemple, si une salle de spectacle met à disposition ses locaux pour des spectacles, ensuite si les promoteurs de spectacles achètent des dates avec ces salles et les agences artistiques les rachètent avec les promoteurs pour que les manageurs, à leur tour achètent avec les agents artistiques ; cela crée une chaîne de valeur. Si on enlève, un élément dans la chaîne, ça pose problème. Donc, il faut organiser le secteur afin que chaque acteur puisse tirer du profit.
Quel est l’événement que vous avez le mieux réussi et pourquoi en êtes-vous fier ?
C’est le sommet des Jeunes Leaders et Acteurs de Développement local en Afrique, tenu du 05 au 07 juillet 2023, à Jean-Pierre GUINGANE. Le défi était de mobiliser 600 jeunes et nous avons atteint 800 participants. Nous avons échangé sur des thématiques intéressantes. Nous avons eu des partenaires sérieux tels que la Caisse Populaire du Burkina et nous avons été accompagné par le gouvernement avec l’implication de 11 ministères dont le Ministère du Sport, de la Jeunesse et l’Emploi notre ministère de tutelle. On n’a pas eu de problème financier et ça s’est très bien passé.
Comment voyez-vous, l’évolution du secteur événementiel au Burkina Faso dans les prochaines années ?
L’événementiel a beaucoup d’avenir. C’est un domaine très vaste qui a toutefois, besoin d’être mieux organisé et soutenu par des événements de qualité.
Quels conseils donnerez-vous à quelqu’un qui souhaite se lancer dans le milieu de l’événementiel ?
Il doit connaître la démarche à suivre, se former, avoir un bon carnet d’adresses, s’assurer d’avoir pris le temps qu’il faut, s’être préparé comme il se doit et avoir le budget nécessaire avant de se lancer.
Pouvez-vous partager avec nous, une anecdote mémorable d’un événement que vous avez organisé qui puisse nous permettre de tirer une leçon ?
J’ai organisé un spectacle avec un groupe d’humoristes. Jusqu’à quelques minutes du début, ils n’étaient toujours pas là. On avait aussi programmé un danseur qui, au même moment nous dit qu’il doit forcément partir car il a une autre prestation ailleurs.
Immédiatement, mon proche collaborateur et moi avons cherché de la craie blanche et des morceaux d’habits pour nous déguiser comme ce groupe.
On jouait et on dansait très bien. C’est après le spectacle qu’ils se sont rendus compte de la supercherie.
Tout furieux, un jeune homme nous a rejoints et exigé d’être remboursé. Puis, un deuxième. Ensuite, un troisième. On n’a pas attendu longtemps sur les lieux.
Le lendemain, dans le quartier, beaucoup de personnes ont dit, avoir apprécié le spectacle.
Ce que vous devez retenir ici, c’est la capacité d’adaptation, un aspect très important.
Françoise Tougry
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