Le Burkina Faso, carrefour culturel ouest-africain, accueille chaque année une multitude d’événements, des festivals de musique aux foires commerciales en passant par les salons d’artisanat. Ce secteur attire beaucoup de jeunes passionnés qui s’y investissent corps et âme. Mais derrière cette façade festive, quelle est la réalité pour les promoteurs culturels ? L’organisation de festivals, salons et foires est-elle une véritable manne financière ou une aventure risquée ? Enquête sur un secteur où se mêlent passion, ambitions et défis.
Vous souvenez-vous de l’affaire Rose Kouevi, promotrice du Salon international féminin du Livre de Ouagadougou (SIFLO), en avril 2023 ? Elle s’est retrouvée, en garde à vue pour n’avoir pas pu respecter ses engagements envers les participants et collaborateurs. Cette affaire qui a défrayé la chronique nous a conduits à nous intéresser aux activités des promoteurs culturels. Pourquoi autant d’évènements culturels ? Les promoteurs arrivent-ils à tirer leur épingle du jeu ? Autant de questions que nous allons tenter de répondre à travers cette enquête.
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Le Burkina Faso, regorge de festivals de tout genre : Kundé d’Or, Faso Music Awards (FAMA), Rap Flow, Nuits atypiques de Koudougou (NAK), festival Wedbindé, Festival international du Rire et de l’Humour de Ouagadougou (FIRHO)…
Le constat est que les événements culturels foisonnent et se créent chaque année. Il ne se passe pas une semaine sans un festival, foire ou salon dans une ville du pays. Selon Youssef Ouédraogo, Coordonnateur des FAMA et figure incontournable de l’événementiel burkinabè, on dénombre plus de 3000 festivals et événements au Burkina Faso. Toute chose qui porte à croire, que le secteur est très lucratif.
“Oui, c’est un secteur lucratif. Mais, tout dépend de l’organisation”, indique Souleymane Nana, promoteur culturel.
Par exemple, si une salle de spectacle met à disposition ses locaux pour des spectacles et que les promoteurs de spectacles achètent des dates avec ces salles et les agences artistiques les rachètent avec les promoteurs pour que les managers, à leur tour achètent avec les agents artistiques, cela crée une chaîne de valeur.
En effet, de nombreux événements culturels rencontrent un franc succès et parviennent à s’inscrire dans la durée, témoignant de la passion et de la résilience des organisateurs. L’un des grands succès dans ce domaine est le Kundé organisé par Djah Press depuis 2001.
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Youssef Ouédraogo a une expérience de 15 dans le management des projets culturels. En jetant un regard dans le rétroviseur, il a des motifs de satisfaction malgré, un contexte de réalisation difficile. « Si je venais par exemple, à arrêter les FAMA, après 11 éditions, je peux m’estimer heureux parce que dans le monde culturel, tenir un évènement au-delà de 5 ans relève parfois, du miracle et de la magie”, mentionne-t-il. Cela veut dire que l’évènement a réussi, à s’imposer.
Quant à Souleymane Nana, l’événement dont il est fier est le sommet des Jeunes Leaders et Acteurs de Développement local en Afrique, tenu du 05 au 07 juillet 2023, au Palais de la culture Jean-Pierre Guingané.
Le défi était de mobiliser 600 jeunes et ils ont réussi à regrouper 800 participants. « Nous avons eu des partenaires sérieux tels que la Caisse populaire du Burkina et nous avons été accompagné par le gouvernement avec l’implication de 11 ministères. On n’a pas eu de problème financier et tout s’est très bien passé », se réjouit-il.
L’organisation d’événements culturels génère des retombées économiques importantes : création d’emplois, dynamisation du tourisme, rayonnement du Burkina Faso à l’international… Cependant, il est difficile d’évaluer précisément la contribution de ce secteur au Produit Intérieur Brut (PIB). Comme l’explique Youssef Ouédraogo, « Le secteur n’étant pas bien structuré, il est donc, difficile d’avoir une base de données solides ».
L’augmentation exponentielle des manifestations culturelles, témoigne du dynamisme de ce secteur, mais soulève aussi des questions quant à sa viabilité. C’est du moins, le constat que nous avons fait sur le terrain. En effet, alors que certains organisateurs affichent des succès flamboyants, d’autres luttent pour leur survie. Souleymane Nana qui a organisé son premier grand événement culturel, RAP Flow tenu 2006 en sait quelque chose.
« En 2008, Rap Flow a dégénéré parce qu’on n’avait pas d’argent alors qu’on a avait promis des prix aux gagnants. Ils étaient furieux. Le budget prévisionnel s’élevait à plus de 26 millions de francs CFA. L’événement a duré neuf (09) mois d’affilée. Personnellement, j’ai investi près de quatre millions de francs CFA. Au final, j’ai laissé tomber. La seule option que j’avais, c’était de me concentrer sur mon entreprise de communication visuelle. Je garde, jusqu’à présent, un goût amer de cette expérience parce que ça m’a porté un coup dur”, se remémore-t-il avec regrets.
Et d’ajouter : « Avec le temps, beaucoup de ceux qui nous en voulaient dans l’organisation RAP Flow reconnaissent, à présent, que ça n’a pas été facile et que nous avons fait de notre mieux ».
De 2006 à 2024, Souleymane à son actif, une dizaine d’évènementiels. “Nous investissons actuellement en moyenne cinq à huit millions de francs CFA de fonds propres. Mais, nous redimensionnons lorsque les partenaires ne répondent pas favorablement”, confie-t-il.
Si Souleymane Nana a été déçu, il n’est pas le seul à avoir subi les foudres de l’évènementiel.
Sandrine Ouédraogo Folané, organisatrice d’événements depuis 2008-2009, soit 15 ans d’expériences et promotrice d’Africa Mousso, témoigne : « Lors de la 1ère édition, on ne peut pas s’attendre à un engagement total de la part des partenaires. Quelqu’un ne va pas venir t’accompagner s’il ne sait pas réellement ce que tu vas accomplir. Cela fait que, dès le départ, nous avons rencontré des difficultés, et cela persiste encore un peu, jusqu’à maintenant ».
Cependant, avoue-t-elle, les choses commencent à s’améliorer petit-à-petit. « Par exemple, de la première à la troisième édition, nous n’avions pas vraiment d’accompagnement financier, c’était pratiquement à 80 % autofinancé. Mais, à un moment donné, les choses ont bien commencé à progresser », ajoute-t-elle.
De plus, la charge mentale et le stress liés à l’organisation peuvent avoir un impact important sur la santé des promoteurs.
La promotrice du Festival International du Rire et de l’Humour de Ouagadougou (FIRHO), Augusta Palenfo confiait à nos consœurs de Mousso news, ses déboires cachés dernière cet évènement pourtant, bien apprécié.
« Le FIRHO, c’est une fierté. Et en même temps, mon plus grand regret, c’est d’avoir organisé le FIRHO. Aujourd’hui, quand je finis une édition, je commence encore à penser, à prier, à méditer fort pour que la prochaine édition soit une réussite parce que c’est un défi. », lance-t-elle, dépitée.
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Le financement : le nerf de la guerre, un parcours de combattant
Le financement reste le principal défi pour les organisateurs d’événements. Monter un événement de qualité nécessite des fonds considérables pour la logistique, la communication, la rémunération des artistes, la sécurité…
« J’ai eu à organiser pas mal d’événements. Cependant, c’est surtout au niveau des finances que se situe le problème », fait savoir Sandrine Folane.
Le recours au sponsoring est souvent indispensable. Mais, il peut s’avérer périlleux. Les promesses de financement ne sont pas toujours tenues, mettant parfois en péril, la survie des événements, comme en témoigne l’expérience malheureuse de Rose Kouevi avec le SIFLO. Cela est confirmé par les propos de Souleymane Nana : « Au début, certains responsables de structures vous disent qu’ils sont intéressés par votre projet et acceptent de vous recevoir. Ils échangent bien avec vous et évaluent le bénéfice à tirer de votre projet. Souvent, cela n’est pas dans leur logique d’intervention. Mais, ils ne vous le notifient pas. A l’approche de l’évènement, ils deviennent injoignables. Conséquence, vous n’avez pas le soutien attendu, vous êtes bloqués ».
« Certains sponsors vous font des promesses et par la suite, vous vous retrouvez dos au mur », déplore-t-il.
Youssef Ouédraogo, fort de son expérience avec les FAMA, confirme ces difficultés : « Le nerf de la guerre, c’est l’argent. Il faut des moyens pour payer les cachets des artistes, la location du matériel, la communication… » Il souligne également l’importance de fidéliser les partenaires : « C’est un travail de longue haleine. Il faut construire des relations de confiance avec les sponsors, leur montrer l’impact de leur investissement. »
Un secteur à structurer
Au-delà des aspects financiers, l’organisation d’événements requiert des compétences spécifiques et une grande capacité de gestion. Le manque de professionnels qualifiés (ingénieurs du son, spécialistes en décoration, etc.) est un frein au développement du secteur.
Pour Youssef Ouédraogo, « Organiser un événement, c’est un marathon. Il faut être passionné, tenace, et savoir gérer le stress. C’est un métier qui demande beaucoup d’investissement personnel. »
L’événementiel culturel au Burkina Faso est un secteur dynamique, porteur d’opportunités économiques et de rayonnement pour le pays. Cependant, il fait face à des défis importants : financement, manque de compétences, difficultés d’organisation… Pour assurer sa pérennité et permettre à tous les acteurs de la chaîne de valeur d’en bénéficier, une meilleure structuration du secteur semble indispensable. Cela passe notamment par la formation des professionnels, la mise en place d’un cadre réglementaire clair et la création d’une plateforme d’échanges et de collaboration entre les différents acteurs.
Françoise Tougry
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