Journaliste, écrivain, consultant et organisateur d’événements, Youssef Ouédraogo est un touche-à-tout. À travers les Faso Music Awards, qu’il organise depuis plus d’une dizaine d’années, l’homme a su créer un rendez-vous incontournable pour les professionnels de la chaine de musique au Burkina Faso. Tenir un événement culturel à succès au Burkina Faso est un véritable parcours du combattant. Dans cet entretien, le Coordonnateur général des Faso Music Awards (FAMAS), déballe les difficultés et les défis de l’évènementiel au Burkina Faso.
Veuillez-vous présenter à nos lecteurs et lectrices !
Je suis à l’État civil, Issouf Ouédraogo, connu sous le nom de Youssef Ouédraogo. Je suis opérateur culturel, écrivain, journaliste, consultant. Je suis actuellement le directeur des programmes de 3TV et de Watt FM et administrateur général de l’agence Médi’arts Conseils, une agence d’appui-conseil.
J’ai 20 ans de journalisme. Je suis également promoteur des Faso Music Awards (FAMAS), une cérémonie de distinction des professionnels de la filière musique.
Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans l’évènementiel ?
Je suis né hors du Burkina Faso. Après le Baccalauréat obtenu en Côte d’Ivoire, je suis rentré au pays. Généralement, quand vous êtes loin de votre pays, vous êtes parfois déconnectés de votre culture. J’ai vécu dans la culture ivoirienne, un pays culturellement bouillonnant qui a profondément marqué notre enfance.
Arrivée au pays, j’ai eu l’avantage de faire les études au département des Lettres modernes, à l’Université de Ouagadougou avec des enseignants comme Salaka Sanou, Albert Ouédraogo et bien d’autres, qui nous ont plongés dans la culture burkinabè parce qu’il fallait, aller collecter des textes oraux auprès des détenteurs des savoirs locaux. Cela m’a permis de renouer avec la culture du Burkina Faso. Je prenais part, à des festivals en tant que journaliste et je voyais le même bouillonnement culturel, ici. Je me suis, de ce fait, intéressé à la culture.
De plus, j’ai suivi beaucoup d’évènements à partir desquels, j’ai fait beaucoup de critiques à l’endroit des promoteurs. Je me suis demandé alors, s’il n’y a pas lieu de mettre en place un projet dans lequel, on va implémenter toutes ces idées et critiques.
Ensuite, j’ai constaté que, lorsqu’on parle de la musique burkinabè, on met le plus souvent en avant l’artiste alors que l’artiste devrait être l’aboutissement d’un travail à la chaîne.
En outre, toutes les cérémonies de récompense au Burkina, mettent l’accent sur l’artiste et non sur les acteurs de l’ombre.
C’est sur cette base, qu’en 2014, nous, un groupe de jeunes passionnés de culture avons décidé de lancer la première édition de Faso Music Awards. L’évènement dure maintenant 11 ans.
L’événement a réussi à se faire un nom dans le paysage culturel burkinabè bien qu’il y ait encore des défis à relever.
« Nous sommes dans un pays où l’on se demande si le nombre d’événements culturels ne dépasse pas les besoins »
En tant qu’organisateur des FAMAS, quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
L’une des premières difficultés, c’est le financement. L’environnement économique du pays étant morose, les sponsors se font un peu rares. On n’a pas suffisamment de mécènes pour accompagner nos initiatives culturelles. Nous sommes dans un pays où l’on se demande si le nombre d’événements culturels ne dépasse pas les besoins.
Aujourd’hui, on a plus de 3000 festivals et événements. En dehors des guichets de l’État tels que le Fonds de Développement culturel et touristique (FDCT) et les subventions à travers le Comité en charge d’examiner les requêtes de financement (CERS), ce sont pratiquement les mêmes entreprises qui financent tout ce qui est culture. Conséquence, quand elles ont un grand budget pour les événements, cela s’apparente à ce qu’on appelle du partage.
D’autres personnes emploient le terme « saupoudrage », car vouloir apporter un soutien à une myriade d’évènements et festivals, c’est pratiquement dérisoire. Mais, d’autres estiment aussi que ce trop-plein d’événements et festivals donne néanmoins, une certaine vitalité au pays. Mais en même temps, il y a des événements dont les objectifs se rejoignent. On pourrait se demander s’il n’y a pas lieu de se mettre ensemble pour lancer des projets durables et qui peuvent tenir dans le temps quoique c’est une activité libérale.
J’étais à une activité pendant les vacances où le directeur de communication et marketing de Canal+ disait qu’il reçoit en moyenne par an, autour de 5 000 dossiers de demande de sponsoring.
Quand je regarde le nombre de demandes qui reçoivent satisfaction, c’est vraiment infime. Les enveloppes allouées évoluent également selon l’évènement et, le fait que les évènements se ressemblent, tuent l’évènementiel.
Quels sont défis auxquels, vous faites face en tant qu’organisateur d’évènementiel ?
L’un des défis de l’évènementiel au Burkina est la question des ressources humaines. Chaque année, il y a beaucoup de nouvelles équipes qui se mettent en place dans l’organisation de certains événements ou festivals. Donc, le renouvellement constant des comités d’organisation ne permet pas de construire et de consolider les acquis.
En plus, on a un problème de spécialisation. C’est-à-dire qu’on a peu de gens spécifiquement formés dans l’organisation de l’évènementiel (des medias planer, des ingénieurs de son, des spécialistes en décoration, régie, son et lumière…). La non-maîtrise de ces compartiments engendre souvent, un désordre ou des insuffisances dans l’organisation. Cependant, on note avec satisfaction une volonté manifeste de spécialisation dans les différents domaines du showbiz ou l’événementiel.
Il y a la nécessité de la fidélisation des partenaires aux événements. Il appartient aux organisateurs, de revoir comment gérer et fidéliser les partenaires.
Le troisième défi, c’est comment pérenniser un événement dans un contexte économique austère et difficile, surtout avec la situation due à l’insécurité. Cela impacte négativement, obligeant beaucoup de festivals à changer de format ou à sauter des années.
« En 10 ans, Ce sont pratiquement les mêmes lauréats qui reviennent »
Avec la crise sanitaire « la Covid », beaucoup d’activités n’ont pas pu se tenir en 2020. Certains événements deviennent également, de plus en plus discontinus parce qu’il y a des années où il n’y a vraiment pas de sponsors.
Le quatrième défi, en ce qui concerne les FAMAS, c’est le fait que l’environnement même de la musique n’est pas dynamique comme dans les autres pays. Donc en 10 ans, vous avez l’impression que vous distinguez les mêmes acteurs. C’est-à-dire qu’on n’arrive pas à évoluer dans le secteur de la musique. Il y a beaucoup de productions, mais la masse critique d’artistes qui peut compétir à un niveau international ne sont pas nombreux.
En 10 ans, Ce sont pratiquement les mêmes lauréats qui reviennent.
Certains artistes font des audios sans clips, d’autres font des clips qui ne peuvent pas être nominés parce qu’elles sont de basse qualité ou bien, ils les font sortir en dehors des temps d’évènement, etc.
Un sixième défi est de travailler, à ouvrir de nouveaux horizons à nos évènements. En dehors des KUNDE ou des REMA qui intéressent le public étranger, nous n’avons pas de grands évènements en tant que tels qui ouvrent des portes vers les autres pays.
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Certains promoteurs déclarent souvent être abandonnés à la dernière minute par leur sponsor. Qu’en dites-vous ?
Vous ne pouvez pas vous assurer de l’accompagnement d’un partenaire que lorsqu’il vous a adressé un courrier officiel qui marque son engagement financier. Une promesse seule ne peut pas vous permettre déjà, d’utiliser l’image de l’entreprise ou du partenaire pour prendre d’autres engagements. Ce sont des erreurs qu’il faut éviter.
Le deuxième élément, c’est de prendre des engagements vis-à-vis des promesses qui vous ont été faites. Sinon, vous risquez de vous mettre dans une situation inconfortable, s’il ne respecte pas sa parole.
Troisièmement, c’est au promoteur de demander des partenariats qui peuvent s’étaler sur le long terme. Par exemple, 3 ou 5 ans. Ce qui lui permet de reconduire chaque année, ce partenariat. Tant qu’il n’y a pas de contrat clair entre vous, ne vous lancez pas dans des engagements ! Je crois que ce sont les plus jeunes qui font cette erreur.
Un partenaire peut vous accompagner pendant 10 ans et au cours d’une édition, il décide de se retirer. Vous devez vous poser la question : le partenaire a-t-il été mis en exergue, dans le projet, comme il se devait ? Le partenaire a-t-il trouvé son compte ? Chercher à comprendre ce qui n’a pas marché. Cela va vous permettre de repositionner votre évènement pour qu’il puisse intéresser le partenaire et pouvoir maintenir aussi, les quelques rares partenaires que vous avez toujours, à vos côtés.
En une décennie d’activités, avez-vous des motifs de satisfaction ?
Si je venais par exemple, à arrêter les FAMAS, après 11 éditions, je peux m’estimer heureux parce que dans le monde culturel, tenir un évènement au-delà de 5 ans, je vous avoue que ça relève parfois, du miracle et de la magie surtout, dans le contexte du Burkina où, le soutien n’est pas la chose la plus évidente.
La deuxième satisfaction, c’est le fait que les FAMAS soient acceptés par la communauté culturelle. C’est-à-dire qu’on a quand même, une place dans ce milieu.
Autre satisfaction, nous avons ouvert l’évènement, à d’autres problématiques avec le Forum africain des Arts et de la Culture (FAAC). L’objectif est de regrouper des invités de marques venus des quatre coins du monde pour se pencher sur des thématiques liées à la culture en général et la musique en particulier, incluant ainsi, une dimension didactique et intellectuelle.
Un mot de fin ?
Je tiens à saluer l’accompagnement grandiose des médias dans l’évènementiel. Je profite de votre micro pour remercier tous les médias qui nous accompagnent.
Je lance aussi un appel aux sponsors et mécènes, à nous accompagner car ce sont les activités culturelles et artistiques qui rythment la vie au quotidien et qui permettent aux gens, à un certain moment de se décompresser.
Au-delà de l’aspect ludique, nous luttons pour que ces évènements soient des leviers de développement pour nos pays.
Je salue à juste titre, le soutien étatique notamment le ministère de la culture et ses démembrements qui accompagnent largement selon ses moyens, toutes les activités culturelles au Burkina. Nous prions surtout, que la paix revienne au Faso.
Françoise Tougry