Née dans un contexte où l’éducation des filles était loin d’être privilégiée, Simone Abo Bikienga s’est battue pour réaliser son rêve : celui d’être professeur de physique-chimie, une discipline peu commune pour les femmes de son époque. Une passion qu’elle a transmise à ses élèves avec qui, elle continue d’entretenir de très bonnes relations. C’est donc cette femme au parcours exceptionnel qui a ouvert la voie à de nombreuses générations de jeunes filles que nous vous invitons à découvrir, à travers ce portrait.
De taille moyenne et à la peau légèrement claire, Simone Bikienga, septuagénaire, habillée en Faso Danfani, porte les marques du temps avec une élégance discrète. Ses cheveux, désormais grisonnants, encadrent un visage aux traits marqués, où se lisent des années d’expérience et de sagesse.
Il ne nous faut pas plus de cinq minutes pour cerner sa personnalité bien trempée et son franc-parler. En effet, d’abord irritée par le retard accusé par notre équipe, elle ordonne d’un ton ferme à sa fille de prendre le chemin de son bureau pour ne pas être en retard. « J’ai horreur des retards. Pour moi, la ponctualité et la rigueur au travail sont des principes non négociables », dit-elle, l’air exaspéré.
Une Vie de Passion pour l’enseignement
C’est à l’école primaire de la mission de Ouagadougou que Simone fait ses premiers pas scolaires. Hélas, le décès de son père en CP2 vient bouleverser son existence. Son oncle décide de l’emmener à l’école Ouaga-garde où elle obtient son certificat d’entrée en sixième avant d’aller continuer au cours normal de jeunes filles. En classe de quatrième, face à un tableau noir, elle découvre sa vocation : enseigner la physique-chimie. « J’étais tellement braquée que j’ai décliné toutes les opportunités qu’on m’a offertes. Sinon, j’avais la possibilité de faire EIR devenu 2iE qui venait d’ouvrir, mais j’ai refusé », confie Simone Abo Bikienga avec fierté.
À la poursuite de ses rêves, elle refuse de se marier en classe de troisième. « Vous savez, à l’époque, pour les Africains, une fille était faite pour la cuisine et les travaux ménagers. Je sais que quand on était petite, avant le CM2 à Ouaga, tous les jours on était obligée d’aller puiser l’eau jusqu’au-delà de minuit. Donc, quand tu arrives, tu es fatiguée et tu ne peux plus bosser. Mais moi, quand j’arrivais, même si on éteignait la lampe, j’utilisais une torche pour bosser. C’est comme ça que j’ai tenu », explique-t-elle.
Consciente des difficultés de la vie malgré son jeune âge, elle participe à une formation pour être institutrice mais tint fermement à cœur de poursuivre ses études à l’école normale afin d’obtenir son diplôme de baccalauréat. Chose faite, la jeune Simone Abo bénéficie d’une bourse et s’envole pour Dakar à la poursuite de son rêve
Mais, son séjour ne sera que de courte durée. La raison ? Elle est expulsée après avoir participé à une grève étudiante.
Il faut donc trouver une issue de sortie pour éviter le pire et elle n’en manque pas. « Avec une de mes copines à l’époque, je me suis arrangée pour aller à Lomé sans bourse où j’ai débuté l’université et y suis restée deux ans », se remémore-t-elle. Après Lomé, c’est direction Dijon (France) avant de revenir à Niamey (Niger) où elle obtient sa licence.
Ce cycle bouclé, Simone Abo Bikienga rentre au Burkina Faso pour immédiatement commencer à travailler en tant que professeur de physique-chimie. Son rêve se concrétise enfin. Et c’est dans la belle cité de Sya, que Simone débute sa carrière d’enseignante.
Seule femme professeur de sciences physiques à Bobo-Dioulasso en son temps, elle a dû tenir tête à son proviseur qui sous-estimait ses compétences. « Le proviseur pensait qu’il pouvait m’utiliser à tout faire. Je lui ai dit, regardez-moi bien. Mon affectation, c’est pour être professeur de sciences physiques. Si vous ne voulez pas de moi, je retourne », raconte-t-elle avec un sourire aux lèvres.
Simone Bikienga, bien plus qu’une enseignante
Reconnue pour son caractère déterminé et son franc-parler, madame Bikienga n’hésitait pas à défendre ses convictions et à se battre pour ses élèves. À ce sujet, Ben Assane Sangaré, ancien élève, témoigne : « Après le BEPC, il fallait passer un test pour orienter en seconde C les élèves qui désiraient faire les séries scientifiques. Je me souviens qu’elle a dit au proviseur que ses élèves n’avaient pas besoin de passer le test parce qu’elle se portait garante pour eux. »
Ces élèves ne tarissent pas d’éloges à son égard. Son amour pour l’enseignement et sa passion pour la physique-chimie lui permettaient, selon Mariam Lidwine Sanou, élève de Madame Bikienga au lycée Marien Gouabi, de transmettre facilement son savoir. « Elle avait une stratégie propre à elle qui permettait à ses élèves de comprendre son cours. Surtout que sa matière était la bête noire de la plupart d’entre nous. » Et de poursuivre : « Tellement je l’admirais, je parlais d’elle tout le temps à la maison. Quand j’ai eu le baccalauréat, mes parents m’ont dit : « Tu as assez parlé de Mme Bikienga que nous pensons que nous pouvons la connaître maintenant. Il faut l’inviter à ton arrosage. » J’étais tellement contente quand elle a accepté mon invitation. »
» Ce que j’apprécie chez elle, c’était sa ponctualité, car au grand jamais, je n’ai remarqué une erreur de sa part, tout au long de ces trois années dans sa classe«
Pour M. Sangaré, madame Bikienga n’était pas seulement une enseignante. « Elle se comportait comme une mère et chaque fois qu’elle en avait l’occasion, elle nous donnait des conseils », avoue-t-il. « Elle ne manquait aucune occasion de nous donner des conseils, des leçons de vie lors de ses cours », renchérit Lidwine Sanou qui retient d’elle l’image d’une bonne éducatrice qui donnait le meilleur d’elle-même.
« Ce que j’apprécie chez elle, c’était sa ponctualité, car au grand jamais, je n’ai remarqué une erreur de sa part, tout au long de ces trois années dans sa classe. Elle était réglée comme une montre. Il était inconcevable pour un élève de venir en retard sans une raison valable, affirme-t-elle.
Dans ce témoignage, Monsieur Ben Assane Sangaré, ancien élève de madame Bikienga au Lycée municipal de Banfora, dévoile un pan de la vie de Simone Abo Bikienga,
Madame Bikienga et la ville de Banfora, une histoire d’amour qui traverse le temps
Avec une telle carrière menée, Mme Bikienga ne manque pas de bons souvenirs. « Je pense que c’est à Banfora que j’ai commencé à engranger les bons souvenirs parce que j’étais vraiment intégrée. Je n’étais pas complexée. Je marchais avec les femmes pour aller au marché. Quand je vois que ça ne va pas chez un élève, j’attache mon pagne, je prends ma mobylette, je vais chez ses parents et je leur explique », confie-t-elle.
À l’entendre, les meilleurs souvenirs pour un professeur, c’est quand ses élèves réussissent. Malheureusement, dit-elle, quand tu mets tes espoirs sur un élève et qu’il ne réussit pas, ça te pince le cœur. « Le dernier qui m’a marqué, c’est un élève que j’ai suivi en première et en terminale C. Il a eu le baccalauréat avec mention AB. Il a fait une dépression. Il n’est pas allé loin. C’est l’un des mauvais souvenirs qui me marque jusqu’à présent », raconte-t-elle, les yeux pleins de tristesse.
Simone Abo Bikienga, c’est aussi une femme engagée pour la cause des femmes. Afin d’inciter les jeunes filles à s’intéresser aux sciences, Mme Bikienga a œuvré au sein de l’association des femmes scientifiques à l’époque. Ayant intégré l’association pour cette noble cause, elle s’était donc organisée pendant les vacances pour travailler au profit des jeunes filles : « Quand je pouvais avoir une jeune fille, je me battais pour qu’elle réussisse dans les matières scientifiques ».
Safiatou Bikienga, nous livre ici, un témoignage de la vie exemplaire qu’à été celle de sa mère.
Avec l’âge et la retraite, elle a arrêté d’aller aux réunions et espère que la relève est assurée. Forte, courageuse et déterminée, elle a peut-être perdu de sa force physique mais, garde sa mentalité de gagnante.
En jetant un regard rétrospectif sur sa vie, Simone dit ne rien regretter. Elle est fière de l’enseignante qu’elle a été. « Si la vie était à refaire, je reviendrais toujours enseignante », affirme-t-elle avec conviction.
Elle invite les femmes à donner le meilleur d’elles-mêmes pour s’imposer et surtout à assurer un meilleur avenir à leurs filles à travers l’éducation.
Simone Abo Bikienga continue d’inspirer de nombreuses personnes. Elle laisse une empreinte indélébile dans le paysage éducatif burkinabé et reste un modèle pour la plupart des femmes qui l’ont connue.
Abdoulaye Ouédraogo
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