Jadis, dans nos sociétés traditionnelles, une organisation était mise en place par les garants des us et coutumes afin de faire respecter les valeurs et travailler à les rendre pérennes. C’est ce que nous explique Juliette Kongo, promotrice du musée de la femme « Kolgondiéssé », qui évoque dans cet entretien, l’importance de la journée des coutumes et traditions ainsi que le rôle prépondérant que les femmes peuvent jouer dans la transmissions des savoirs traditionnels.
Vous avez pris part au lancement du colloque qui a annoncé les couleurs de la journée des coutumes et traditions, le 15 mai. Que pensez-vous de l’initiative ?
J’avoue que j’étais aux anges quand j’écoutais Naaba Pananetugri parler de l’historique de la journée des coutumes et traditions. C’est très émouvant et je suis vraiment fière que ça ait pu aboutir. Il reste beaucoup de choses à faire car les gens ont besoin de comprendre. Malheureusement, il n’y a pas de cadre d’échanges. Il faut que nous créons des cadres d’échanges pour permettre à la nouvelle génération de comprendre ce qui se fait aujourd’hui. Des gens ont travaillé et donné leur vie pour que ça se réalise et nous avons le devoir de préserver, de conserver et de valoriser. C’est pour ça qu’à notre petite échelle, on a créé le musée de la femme pour apporter notre contribution et donner la possibilité aux gens, de savoir que les femmes jouaient un très grand rôle dans la communauté.
Croyez-vous qu’il manque des cadres d’échanges pour ce genre de sujets ?
Justement ! C’est parce qu’on n’échange pas que les femmes sont brimées. Sinon, ce sont les femmes qui tiennent les pieds de trône si je me le permets. C’est une opportunité pour nous aujourd’hui, d’avoir cette journée. Je crois qu’on rend service à nos autorités coutumières et à nos valeurs culturelles. C’est donc, un travail que nous allons continuer et donner la possibilité aux plus jeunes de savoir d’où ils viennent et qui, ils sont.
Si je suis dans la dynamique de retour aux sources, c’est parce je veux que nous sachions qui nous sommes et où nous allons.
Vous avez affirmé que beaucoup de choses peuvent être faites par les femmes et pour les femmes, quoi par exemple ?
Les femmes ont un rôle de « transmettrices » parce que c’est elles qui s’occupent de l’enfant, depuis le ventre jusqu’à ce qu’il devienne adulte ou vieux. Si tu as la chance de vivre longtemps avec tes enfants et petits enfants, le rôle de la femme qui est de transmettre les valeurs, va trouver son sens dans ce qui a été dit et que nous aurons la possibilité de partager.
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Quelles sont vos suggestions à l’endroit des autorités ou tous ceux qui ont soutenu l’initiative pour qu’elle puisse avoir lieu ?
C’est une question que je voulais poser à Maître Titinga Pacéré mais, il n’y a pas eu de possibilité. Pour cela, je profite de votre organe pour dire que nous devons arrêter de nommer les quartiers avec des chiffres.
Le nom d’un quartier a un sens. Quand on dit Wemba, Wemtenga par exemple, c’est le lieu de résidence du médiateur attitré du royaume de l’Oubritenga qui est aujourd’hui dirigé par un homme. Mais avant, c’était Wemba PoKo. Il y a même une rue qui porte son nom dans le quartier Wemtenga de Ouagadougou.
Tous les noms cités par Maître Pacéré ont un sens et nous devons arrêter d’appeler les noms de nos villages, les noms de nos quartiers, avec des chiffres. Il faut aller dans la dynamique de ramener les vieux noms pour que les gens comprennent la signification de ces noms. Si vous dites Gounghin, on sait que c’est la résidence de Goungha Naaba. Quand on dit Larlé, c’est le Larlé Naaba.
De nos jours, si on dit secteur 02, secteur 03, ça ne rime à rien car ça n’a pas de sens. Comme ça, les occidentaux arrivent à nous déraciner réellement de nos valeurs.
Et mon appel est que l’autorité continue toujours dans cette recherche, pour nous donner la possibilité de repartir à nos noms. C’est vraiment quelque chose qui me tient à cœur et si on arrive à le faire, on aura la possibilité quand on reçoit les enfants dans les cités culturelles comme le musée national, le musée de Manega ou au musée de la femme, on a la possibilité de donner réellement l’importance de ces quartiers et ces hommes qui ont construit le pays.
Il a parlé d’un roi (Naaba Sigri, mon arrière-grand-père) qui a refusé un certain nombre de choses parce qu’il ne voulait pas…
Et si je suis dans la dynamique de retour aux sources, c’est parce je veux que nous sachions qui nous sommes et où nous allons. Un pays se construit à la base de sa culture et une famille se construit sur les bases de ses valeurs ancestrales. Mais, si on vous enlève cette valeur, où allez-vous ?
Personnellement, quand ça me chauffe, j’invoque mon grand-père Mogho Naaba Koom.
Sur quelle base, allez-vous vous appuyer pour revendiquer ces valeurs ?
Quand on dit les saints, nous avons des ancêtres méritants. Les chrétiens quand ils invoquent leurs ancêtres, ils citent les noms. Nous avons aussi des ancêtres dont nous ne devrions pas avoir honte d’invoquer le nom. Personnellement, quand ça me chauffe, j’invoque mon grand-père Mogho Naaba Koom. Si ça me chauffe, j’invoque la pog-kienma de la cour royale qui était la garante de tout ce qui est valeur. C’est pour dire à quel point, les femmes jouent un rôle fondamental dans nos valeurs ancestrales. Valoriser la femme et ce qu’elle fait, permet à la communauté de vivre, heureux.
Quel autre rôle jouaient les femmes ?
Les femmes étaient les agents des renseignements des villages et des royaumes. Quand la femme donne une information au chef de famille, l’information est donnée au chef du quartier, elle est donnée au chef du village, au chef du canton, au roi et tout de suite, ça prend comme une traînée de poudre. Et tout le monde a l’information, au même moment. Ainsi, on jugule le problème et on circule. Aujourd’hui, les quartiers sont devenus du n’importe quoi. Quelqu’un peut venir infiltrer une famille puis repartir, sans qu’on ne l’interpelle. Alors que dans le temps, un étranger qui arrive dans le quartier, il faut qu’on sache qui, tu es.
Si tu es venu avec une mauvaise intention, on étouffe l’œuf dans sa coquille et puis, c’est tout. C’est pour ça qu’on a le devoir de revenir sur nos valeurs ancestrales et de transmettre ça correctement à nos enfants pour éviter l’incivisme, l’intolérance et tout ce que vous pouvez imaginer.
Entretien réalisé par Françoise Tougry