La frange la plus fragile de la société en l’occurrence, les femmes et les enfants sont au cœur de ce phénomène séculaire qu’est la sorcellerie. La sorcellerie a d’ailleurs, fait l’objet d’une communication animée par Bali Nébié, Professeur certifié des Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) et écrivain, lors du colloque tenu à Ouagadougou, le 13 mai dernier, en prélude à la journée des coutumes et des traditions au Burkina. Dans cet entretien, il explique la nature des liens qui pourraient exister entre les traditions et la sorcellerie au Burkina Faso. Bali Nébié est par ailleurs, le fondateur du centre de Formation Poun-Yaali, un centre qui apporte aux jeunes, des connaissances sur la pratique de la sorcellerie en Afrique noire afin d’éveiller leur conscience.
Quel lien y a-t-il entre traditions et sorcellerie ?
La sorcellerie est perçue par le commun des mortels comme étant une pratique qui confère à une personne, des pouvoirs surnaturels lui permettant par exemple de faire du mal à autrui.
En réalité, selon le communicateur, la sorcellerie est une invention de sociétés secrètes formant des confréries qui ont marqué tout le continent noir et dont beaucoup de gens ignorent l’existence jusqu’à nos jours. Il y a une demi-douzaine de sociétés secrètes dont les plus répandues et les redoutables sur le territoire de l’actuel Burkina Faso sont : la confrérie des hommes-lions et la confrérie des hommes-panthères (ou hommes-léopards).
Les confréries infiltraient les organes décisionnels des communautés et influençaient de ce fait, mais de façon souterraine, l’orientation politique et religieuse de ces communautés. Elles conditionnaient les populations en diffusant au sein de ces communautés l’idée selon laquelle, le sorcier était une personne dotée de pouvoirs mystiques : elle voit les âmes qu’elle peut capturer pour manger ou torturer. Elle est encline à faire du mal à autrui, elle peut se transformer en un animal (lion, panthère, etc.) ou même en tourbillon, etc. Ces caractéristiques du sorcier relèvent de contes destinés à effrayer les profanes et surtout les enfants dans le but de les amener à respecter les règles qui régissent la vie de la communauté.
La sorcellerie est assimilable à l’épouvantail des champs. Le paysan fabrique l’épouvantail pour éloigner de son champs, les oiseaux granivores qui viennent en son absence, déterrer ses semences. Ainsi, pour les oiseaux, l’épouvantail est perçu comme un homme dangereux, armé d’une fronde et prêt à l’anéantir. Ils en ont donc, peur. Par contre, le paysan lui, sait lui que l’épouvantail, juste fabriqué avec des tas de branchages, est sans danger. Ici, l’épouvantail peut être assimilé à la sorcellerie, les granivores à la population et enfin le paysan, à la confrérie.
La sorcellerie est donc, une « fabrication » des confréries dans le but d’effrayer les populations afin de les amener à vivre conformément aux lois dites ancestrales. Pour ce faire, les confréries jouent le rôle de « brigade des mœurs ». La sorcellerie apparaît comme un système de régulation de la vie communautaire. De ce point de vue, elle fait partie intégrante des traditions africaines.
Comment les religions importées perçoivent-elles la sorcellerie ?
Selon ces religions, la sorcellerie est une force surnaturelle détenue par Satan. Ce dernier l’attribue à la personne qu’il veut après que cette dernière a signé un pacte avec lui.
Pourquoi dans les livres saints, on parle beaucoup de sorcières et rarement de sorciers ?
En Europe, à l’époque, la femme était perçue comme une alliée naturelle de Satan (voir Genèse). Il est donc normal et logique que Satan privilégie la femme dans son choix. C’est l’explication la plus probable de l’existence des sorcières en Europe. On parle très peu de sorciers.
En Afrique subsaharienne, il y a aussi des sorcières alors que le christianisme n’y était pas encore arrivé. Pourquoi ?
Non, il n’y avait pas de sorcières en Afrique noire avant les colonisations arabe et européenne pour la simple raison qu’en Afrique noire, la sorcellerie était indissociable de l’existence des confréries dont je vous ai parlé plus haut. Une femme par exemple ne pouvait participer à des réunions qui se tenaient hors du village à des heures très tardives sans attirer l’attention des voisins. En outre, les conditions d’adhésion à certaines confréries telles que la confrérie des hommes-lions et celle des hommes-panthères, exigeaient le don de la vie son enfant. Par conséquent, le concept de « femmes sorcières » ne peut venir que des religions étrangères, en l’occurrence, le christianisme et l’islam. Cela pourrait expliquer l’embarras de certains groupes linguistiques burkinabé face à des accusations de sorcellerie de femmes. Elles sont bannies et ne peuvent être accueillies par des parents. Nos traditions qui interdisent qu’une famille refuse d’accueillir son enfant en détresse ??!!
Chez les nouna et les Lellé (deux sous-groupes des Gourounsi), par exemple, le bannissement est équivalent à une peine d’emprisonnement. C’était, il y a encore quelques années, une affaire essentiellement d’hommes. Les bannissements de femmes pour allégation de sorcellerie étaient rares.
Dès qu’un homme est banni, ce sont ses oncles maternels qui l’accueillent à bras ouverts. Quand une femme est bannie, elle est accueillie à bras ouverts par sa famille d’origine parce qu’elle est sa fille. Selon nos traditions, même si l’enfant est un monstre, sa famille a le devoir de l’accueillir et de lui porter secours.
Toujours chez les Nouna et Lellé, au bout de trois ans, la peine est purgée. Une délégation des coutumiers va demander aux coutumiers du village d’accueil du condamné, son retour. S’il s’agit d’une femme, la condamnation durera quatre ans.
Ainsi, la personne rejoint sa famille et reprend sa vie normale.
Qu’en est-il des procès en sorcellerie ?
Les procès en sorcellerie visaient un seul but : débarrasser les communautés des fauteurs de trouble.
Étaient classés parmi les fauteurs de trouble, les contestataires, les marginaux et toutes les personnes qui refusaient de se soumettre aux normes sociales. Parmi ces « délinquants », il n’y avait aucun meurtrier. Les femmes accusées d’avoir mangé des âmes d’autres personnes sont absolument innocentes.
Ces procès étaient conduits de bout en bout, par les membres des confréries. Ces derniers identifiaient toujours le coupable la veille du procès. Au besoin, toujours à la veille du procès, par le chantage, ils obligeaient la cible choisie, à se déclarer coupable sinon « Son enfant aura mal à la tête » . Les personnes accusées ne sont que des boucs émissaires utilisés pour calmer et rassurer les populations confrontées à des difficultés (épidémies, sécheresses, foudre, etc.)
Les confréries contrôlaient et dirigeaient tous les moyens de dénonciation et de répression qui sont, entre autres, le rite de port du cadavre, l’identification du coupable grâce aux descriptions du devin, le système d’immolation de poulet, l’évocation de l’âme du défunt, etc. Les populations sont « dressées » à l’idée que tous ces moyens d’accusation sont absolument infaillibles.
Exemple : dans le rite du port de la dépouille mortelle en vue de l’identification de l’assassin, le premier porteur et la personne qui interprète les gestes de ce porteur qui est censé agir sous l’influence de l’esprit du défunt, sont tous deux, des membres de la confrérie. Un décès, quelle que soit sa nature (suite à une noyade ou à un foudroiement par exemple) était une opportunité pour les confréries de débarrasser la communauté des « indisciplinés ».
Pourquoi, dès qu’on parle de sorcellerie, tout le monde se range ?
C’est exactement cela ! La raison, nous avons tous subi un formatage du cerveau opéré par les confréries depuis de nombreuses générations en vue de nous embrigader. Pour ce faire, elles se sont basées sur le système éducatif.
La première phase a consisté à étouffer chez l’enfant la curiosité. La deuxième phase consiste à inculquer dans le subconscient de l’enfant, des dogmes, c’est-à-dire des « vérités absolues ».
Exemples :
– premier dogme : « Tout ce que disent les vieux est vérité absolue » ;
– deuxième dogme : « Il existe des personnes dotées de pouvoirs surnaturels illimités, de façon innée ou acquise : ce sont les sorciers, les devins et les évocateurs des âmes de défunts » ;
– troisième dogme : « Seules les divinités peuvent protéger les membres de la communauté contre l’action maléfique des sorciers »
– quatrième dogme : « La dépouille mortelle, dans certaines conditions, a le pouvoir infaillible d’identifier le coupable » ;
– cinquième dogme : « Il existe des fétiches qui ont le pouvoir infaillible de détecter les sorciers » ;
– sixième dogme: “Les âmes des personnes décédées des suites d’accidents hantent tous les lieux où leur dépouille séjourne.”
– etc.
Dans ce système éducatif, les enseignements étaient dispensés par tous les membres de la communauté encadrés par les Vieux.
La remise en cause d’un de ces dogmes était le plus grave des crimes que pût commettre un membre de la communauté.
Un enfant qui a été éduqué dans un tel environnement ne peut être plus tard qu’un adulte borné, dépourvu de sens critique dès qu’on aborde avec la question de sorcellerie.
Nous avons constaté qu’on accuse rarement les jeunes femmes de sorcières, pourquoi ?
Ecoutez ! L’histoire de l’accusation des femmes de pratique de sorcellerie est devenue une histoire de règlement de comptes personnels. On peut reprocher à ces femmes, peut-être de ne pas aimer partager leurs biens. Mais, elles n’ont jamais attrapé l’âme de personne. Ces graves dérives de nos traditions sont une des conséquences de la désintégration des confréries depuis des décennies. Les populations se retrouvent sans repères. Il est grand temps que l’Afrique noire trouve une autre stratégie pour instaurer de nouveau l’ordre, la discipline, la justice, etc. gage d’une paix durable.
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Pourquoi, la société s’en prend-t-elle, à ces femmes d’un certain âge ?
Ce sont des femmes qui n’ont plus d’activités sexuelles. Le plus souvent, ce sont des femmes ménopausées. Elles n’intéressent plus les hommes qui sont censés les protéger. Les traques de prétendues « sorcières » organisées dans de nombreuses localités du Burkina et surtout l’existence des centres de solidarité de Paspanga, et de Sakoula sont autant de signes évidents de graves défaillances de nos traditions.
Nos traditions avaient toujours eu cette réputation de protéger la veuve et l’orphelin. Mais, force est de constater aujourd’hui, que cette grande vertu a été complètement dévoyée. Des familles refusent d’accueillir leur fille bannie pour allégation de sorcellerie, au motif que ce sont nos coutumes qui l’exigent. Quelles coutumes ! On ne peut même pas parler de dérives de nos coutumes. Il faut plutôt dire qu’elles n’existent plus.
Quels sont les avantages à comprendre le mécanisme de la sorcellerie ?
Ça me semble évident. Comme vous l’avez dit tantôt, tout le monde a peur de la sorcellerie. Et pourquoi ? Tout simplement parce qu’on n’en sait rien. Et comme dit l’Ecrivain Guy De Maupassant « On n’a vraiment peur que de ce qu’on ne comprend point ».
Pour se départir de cette peur, il faut comprendre la sorcellerie. Beaucoup de jeunes aujourd’hui, ont peur d’aller au village au motif que les sorciers vont les manger. (Rires !). Il n’en est rien du tout !
Un dernier mot ?
Merci aux responsables du journal QUEEN MAFA de m’avoir donné l’occasion d’échanger avec vos lecteur.ices sur un thème qui préoccupe tout le monde. Bon vent à vous !
Entretien réalisé par Françoise Tougry