Des émotions désagréables, comme la tristesse et la colère, etc. sont considérées comme naturelles. Cependant, des humeurs ou d’humeurs extrêmes qui surviennent de façon totalement inattendue peuvent constituer un blocage. Lequel ? De quel problème s’agit-il ? D’où viennent ces changements ? Yvonne Ouattara, psychologue et psychothérapeute met en lumière quelques aspects du trouble bipolaire à travers un entretien avec une personne porteuse de bipolarité.
Comment peut-on savoir qu’on souffre de trouble bipolaire ?
La personne bipolaire ne peut pas le savoir elle-même. Je peux dire que le trouble bipolaire a commencé à mon adolescence et le mot bipolarité a été évoqué un an, après mon accouchement, suite à une crise maniaque. Mais, si je reviens en arrière, j’avais déjà des périodes de changement d’humeur. Mais, je ne savais pas que c’était des périodes maniaques.
Qu’est-ce qu’une période maniaque ?
Une période maniaque, c’est une phase d’exaltation, un phase d’euphorie, c’est une phase où on se sent super puissante, où on a des idées délirantes, on peut avoir des hallucinations auditives, olfactives, sonores, même visuelles. Donc, c’est ce que j’ai vécu dans mes phases maniaques.
Quelles peuvent être les conséquences pour soi et pour son entourage ?
Les conséquences peuvent être dramatiques parce que c’est une phase où on sort de sa réalité, où les membres de notre famille ne nous reconnaissent pas, où on se sent persécuté par les membres de notre famille. On devient une autre personne. Dans le langage populaire, on peut dire qu’on devient folle, c’est un accès de folie où on ne se rend pas compte de ce qu’on fait. Pour moi, par exemple, ça a été des conduites à risque.
Vous avez parlé de bipolaire, comment peut-on qualifier l’autre pôle ?
On peut qualifier cette autre phase de dépressive, après la phase maniaque. Il y a la phase haute (maniaque). Après cette phase, on tombe en dépression, c’est la phase basse.
C’est le 2e pôle de bipolarité. Dans mon cas, c’est le moment où on est déprimé, on a des pensées suicidaires.
Comment le diagnostic a été posé pour vous ?
Le diagnostic a été posé après ma première crise maniaque avec hallucination, délire de persécution. Mais, il faut dire que le diagnostic de la bipolarité se fait tardivement, environ 10 ans après la première phase maniaque. Parce qu’on confond la bipolarité avec la dépression.
Ce qui fait que beaucoup de psychiatres n’arrivent pas à le diagnostiquer et mettent sous anti-dépresseurs, les personnes bipolaires parce qu’ils les considèrent comme dépressives. Alors que si on revient en arrière, on se rend compte que ces personnes ont des phases maniaques où elles sont euphoriques et des phases basses où elles sont dépressives.
Est-ce que le fait de poser le diagnostic a changé quelque chose ?
Ça m’a permis de mettre un mot sur ce que je vivais à mon adolescence parce que mon entourage ne comprenait pas que je pouvais être parfois dépressive alors que selon eux, j’avais tout pour être heureuse. Et parfois exaltée, et un peu trop sûre de moi. Quand le diagnostic a été fait, je me suis sentie soulagée. Au moins, ça expliquait mes phases hautes et mes phases basses, ça m’a permis de me connaître davantage. Le diagnostic de trouble polaire m’a permis de faire un travail profond sur moi-même, d’entamer une psychothérapie, un travail d’introspection et d’apprentissage sur la maladie.
Quel est le regard de la société sur la bipolarité ?
Le regard de la société dépend de l’annonce du trouble polaire à l’entourage. On vit ce trouble bipolaire seul, on a peur de le divulguer parce que ça a une connotation négative dans l’entourage et dans la société. Les maladies mentales sont stigmatisées. Donc, on n’en parle pas souvent. J’ai annoncé mon trouble bipolaire à mes proches qui ont été très bienveillants envers moi et qui s’en doutaient déjà, vues les différentes phases que j’ai développées, par le passé.
En quoi cette bipolarité a influé le cours de votre vie ?
Ça m’a empêchée de poursuivre mes rêves, de terminer mes études, ça a freiné beaucoup d’aspects de ma vie, professionnelle comme estudiantine. Je ne peux pas dire que ça m’a empêchée d’aboutir à tous mes rêves mais, c’est quand même handicapant comme trouble. Il vous empêche d’aller au bout de vos projets.
Il faut que la société s’adapte à des particularités que nous avons pour étudier, pour travailler, parce que nous n’avons pas le même rythme que les autres. Nous avons plein de potentiels mais, la maladie fait que nous n’avançons pas au même rythme que les autres. J’aurai aimé être accompagnée, avoir des possibilités par exemple, de faire des cursus universitaires plus longs. Au lieu de me demander par exemple, de faire un master en deux ans, on peut me permettre de le découper en quatre ans pour que je puisse avancer à mon rythme sans stress. Je n’arrive pas à travailler sous pression.
En plus du stress, quels sont les autres facteurs qui vous sont néfastes ?
C’est surtout le stress qui m’empêche de travailler. Quand on me donne des deadlines assez serrés, je stresse et ça me bloque.