Débuté en grande pompe, ce 17 avril 2024 à la Maison de la Femme de Ouagadougou, le Salon international féminin du Livre de Ouagadougou (Siflo), a tourné au vinaigre. Des participant.es et la promotrice Dédé Rose Gloria Kouevi, par ailleurs, présidente de l’Association des Pionnières du Livre, sont actuellement à couteaux tirés. En effet, ce salon qui devrait se terminer le 22 avril prochain a fini en queue de poisson avec des protagonistes qui se retrouvent au commissariat. Comment en est-on arrivé là ? Voici les faits relatés par notre journaliste qui s’est retrouvée au milieu de cet imbroglio.
Le vendredi 19 avril 2024, aux environs de 14h, nous avons reçu un coup de fil venant d’une maison d’accueil de la place. La cause, des femmes sont en colère, elles n’en peuvent plus de ce qu’elles vivent. Arrivée sur place, nous avons vu un groupe de femmes mécontentes en concertation dont la majorité était de nationalités étrangères. En effet, entre déceptions et angoisses, les participantes venues de 14 pays pour prendre part à la première édition du Siflo ne savent plus, à quel saint se vouer.
Prise en aparté, l’une d’entre elles nous explique la situation. « On ne sait plus quoi faire, j’ai peur. Depuis hier, je n’ai pas mangé. Je n’ai plus un franc sur moi. Rose m’avait promis qu’arrivée au Burkina, elle va me donner mon argent. C’est l’argent de mes livres qu’elle a pris pour exposer lors du salon. Je ne connais personne, ici. On nous demande de quitter les chambres si on ne paie pas. Je n’ai rien sur moi. Comment vais-je faire, alors que j’ai réservé mon billet d’avion jusqu’au 1er mai? Je comptais découvrir un peu la ville et faire des achats après le salon. Aidez-moi, s’il vous plaît ! », c’est avec ces propos, les yeux larmoyants que cette guinéenne implore de l’aide.
Nous sommes retournées sur les lieux, dans la matinée de ce 20 avril 2024, vers 8h. A notre arrivée, ce sont des valises qui nous accueillent à l’entrée. Les propriétaires de ces valises sont mis.es à la porte parce que les factures n’ont pas été réglées comme prévu. N’ayant pas où aller, ils se rabattent sur le restaurant qui leur sert, à présent, de refuge. Les appels téléphoniques internes et à l’étranger fusent de partout. L’ambiance est délétère et le ton monte. C’est un son de cloche unique, il faut que Rose trouve une solution.
Aux dires de Bertrand Bakouan, le gérant de la maison d’accueil, Rose Kouevi lui doit normalement 870 125 francs CFA pour le loyer sans compter la restauration qui s’élève à 198 000 francs CFA. La restauration est assurée par une personne indépendante qui a loué le local pour ses services. « Quand elle est venue, nous nous sommes entendus sur un fait. Elle devait juste commencer le 15 et puis, le 17, elle doit nous verser notre argent. Nous avons même donné une facture normalisée de 1million 300 et quelques parce que les invités partaient jusqu’au lundi, à midi. Comme il y a eu des problèmes, nous avons coupé, on est plus allé à la date de sortie prévue. On s’est arrêté juste au jour où on a mis les affaires dehors parce que la femme a refusé de donner ce qu’elle devait me payer. Donc, il fallait maintenant que je libère les chambres pour héberger d’autres personnes pour ne pas perdre sur toute la ligne. On a fait ça parce qu’il y a eu un engagement qui a été pris et non respecté. Je ne voulais pas les mettre à la rue et je leur ai prêté le restaurant. Elles sont restées là-bas jusqu’au soir », témoigne le gérant.
Une batterie de problèmes
Aux dires des uns et des autres, la prise en charge et le contrat n’ont pas été respectés par Rose. Certaines n’ont plus de billet pour retourner au pays car la promotrice a annulé tous les billets de retour. Aussi, où dormir ce soir et les autres jours ? Comment manger et où ? D’autres ont voyagé à leur frais à l’image de cette guinéenne dont le billet à couté près d’un million de francs. Normalement, c’est la promotrice qui devait prendre en charge les billets de retour. Depuis hier, elle ne communique pas avec eux mais, exigent néanmoins qu’ils participent aux différentes activités du salon. Toute chose qu’ils ont tous refusé.
Une heure plus tard, Rose Kouevi fait son entrée. Elle tente de les rassurer que le problème va se résoudre, tout de suite. Mais, en vain.
Deux heures durant, rien n’a évolué. Pour comprendre réellement ce qui se passe, nous avons approché la promotrice du Siflo, Rose Kouevi. Selon ses explications, elle avait reçu des promesses de la part de nombreux partenaires qui, à la dernière minute n’ont pas tenu parole. Ce qui a porté préjudice à l’organisation. « A quelques jours, moi-même, je voulais laisser tomber le Siflo. Mais, on m’a dit : Comme tu as déjà fait la conférence de presse, essaie ! J’ai vidé tous mes comptes en banques pour gérer les dépenses. Je n’ai plus rien. Je viens de donner ma voiture à vendre et d‘ici une heure, j’aurai l’argent pour payer les dettes du loyer et de la restauration », confie dame Rose.
Où est passé le prix du Capitaine Ibrahim Traoré ?
En attendant, des interrogations restent en suspens. Mais, où sont les prix qui devaient être décernés aux différents bénéficiaires y compris celui dédié au Président de la Transition, le Capitaine Ibrahim Traoré ? Que comptez-vous faire pour sauver la situation si vous n’arrivez pas à liquider la voiture ? « Les prix sont là. On va faire la clôture quand même. L’argent arrive, on va gérer le problème », insiste la promotrice.
Monsieur Kaboré a apporté son soutien à l’évènement en mobilisant les établissements scolaires pour le café littéraire. Appelé à la rescousse, il a marqué sa présence à ce tête-à-tête afin de s’imprégner du problème. Après avoir prêté oreille attentive à ces femmes, il était visiblement peiné. Cependant, nous n’avons pas eu sa version des faits.
Selon Marc Neya, responsable de la bibliothèque numérique « Les africains », cet évènement sent l’arnaque. Quand, il a vu les affiches du Siflo sur internet, il a été séduit. Le 15 avril, il quitte rapidement Sabou (un département du Burkina Faso situé dans la province du Boulkiemdé et dans la région Centre-Ouest) pour Ouaga et est logé dans cette maison d’accueil.
Venu pour être participant, il s’est vu attribuer le rôle d’organisateur, de coursier, d’accompagnateur et de guide des invités. Marc n’a pas apprécié la tournure des évènements. « Dans la soirée du 16, quand Rose m’a appelé, je suis monté trouver qu’elle est en réunion avec des jeunes. Je me suis dit que ce sont des organisateurs. Après, quand on est arrivé au salon, j’ai vu que ces mêmes gens ont commencé à revenir vers elle pour réclamer des sous, pour des services rendus qu’elle n’a pas payés. Tous ceux qui venaient là-bas, c’est moi, on indique comme organisateur. Pendant la décoration des locaux du salon, j’ai perdu mon téléphone. C’est la même chose, elle répète, le ministre va gérer, la ministre va gérer… Le loyer jusqu’à présent, n’est pas payé. Beaucoup de factures impayées et d’incohérences dans les propos », lance-t-il, tout énervé.
Embarqué dans une histoire ambiguë, Marc Neya est dans l’embarras total. Son inquiétude reste son téléphone dans lequel, il a l’original de son attestation d’inscription à l’université, le fichier PDF (du revenu de ses parents) qui doit lui servir comme document pour les dossiers du Fonds national pour l’Éducation et la Recherche (FONER), etc. « Sans le FONER, je suis foutu. Je n’avais que 6000 sur moi. Elle m’a dit d’envoyer 1000f pour mettre le carburant, ce que j’ai fait, d’envoyer 5000 francs au chauffeur et je l’ai fait. Elle ne m’a pas remboursé. Je me retrouve sans un rond. Même pour payer l’eau, je ne peux pas. Dans ce cas précis, comment retourner à Sabou ? », se demande l’étudiant.
En présence du gérant de la maison d’accueil, l’atmosphère est tendue. Lui aussi, tient mordicus à son argent. Des participantes ont dû contacter les consulats et ambassades de leurs pays respectifs dans l’optique d’un dénouement heureux. Deux hommes venus au nom de leur consulat se sont entretenus avec leurs ressortissantes afin de trouver une issue.
Rose Kouévi crie au sabotage de son salon
Aux environs de 13h, lorsque nous quittions les lieux, la situation était toujours tendue. Quant à la promotrice du Siflo, Rose Kouevi, elle a affirmé que l’affaire sera traduite en justice car selon elle, il y a eu un gros sabotage de son évènement suivi de diffamations.
Malgré les pistes de solutions envisagées par Rose Kouevi, aucune n’a abouti. « Je vais organiser une conférence de presse, le mardi, pour expliquer tout ça », signifie-t-elle.
A 15h, jointe au téléphone, une des participantes nous informe qu’avec l’appui du gérant de la maison d’accueil, elles s’apprêtent à se rendre au commissariat pour déposer une plainte contre Rose Kouevi. Selon Bertrand Bakouan, le gérant, de négociation en négociation avec Rose, il a pu entrer en possession de 300 000 francs avant même qu’il n’aille au commissariat. « Après avoir donné les 300 000 francs, elle dit qu’elle ne va plus rien me donner, que de l’amener où je veux. Sinon moi, j’étais toujours dans la négociation. Mais, dès qu’elle m’a dit ça, ça change tout, en fait, parce que je tenais à renter dans mes fonds », clarifie-t-il.
Rose Kouevi était attendue au commissariat pour une déposition. Certaines activités au programme et la clôture officielle du Siflo n’ont pas eu lieu, au regard de tous ces tracas.
« L’engagement pour payer là, je ne peux pas vous confirmer parce que je n’ai pas entendu ça de sa bouche. Je n’ai pas entendu aussi, l’agent lui dire comment elle va faire pour payer », renchérit Bertrand Bakouan.
Ce matin, aux dernières nouvelles, Rose Kouevi est placée en garde-à-vue. Affaire donc à suivre !
Françoise Tougry
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