La première Session alternative de la Condition de la Femme (CSW-BF 2024) tenue du 29 au 30 mars 2024 à Ouagadougou a connu la participation de nombreuses femmes expertes en genre. Dr Barbara Ky, chercheure, économiste et directrice du genre à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a livré une communication dans laquelle, elle lève le voile sur le travail non rémunéré et ses implications dans la société. A l’issue de sa communication, Queen Mafa lui a tendu le micro.
Votre communication lève le voile sur le travail non rémunéré et ce que cela implique dans notre société. Comment peut-on valoriser ce travail dans notre contexte où il existe beaucoup de préjugés ?
Dans le cadre de la session alternative de la condition de la femme organisée par le cadre de concertation, j’ai livré une communication sur la question du travail non rémunéré en mettant en lumière ses enjeux, au niveau macroéconomique pour le développement du Burkina Faso et, au niveau microéconomique, pour les hommes et les femmes du Burkina.
C’est une entité qu’il faut considérer dans l’économie, dans sa globalité. L’économie n’est pas représentée uniquement par l’économie marchande. Il y a aussi l’économie non marchande, notamment la production des ménages que l’on occulte et qui pourtant, a un grand impact sur l’économie marchande. D’ailleurs la production de marché et la production des ménages évoluent en sens cyclique inverse pour assurer l’équilibre.
Quantifier et valoriser le travail non rémunéré revêt une importance au niveau macro-économique aussi bien qu’au niveau microéconomique.
Au niveau macro-économique par exemple, il permet d’appréhender la production économique dans sa globalité. Une partie des biens produits par ce travail, peut être aujourd’hui comptabilisée dans le PIB. Seulement nous ne faisons pas les enquêtes nécessaires (enquêtes statistiques budget-temps) pour quantifier ce travail. Par conséquent nos PIB sont amoindris, amoindrissant par la même occasion nos capacités d’endettement.
Au niveau micro-économique, ce travail a un impact sur les auteurs de ce travail qui sont aussi bien les hommes que les femmes même s’il faut reconnaitre qu’il est davantage l’apanage des femmes. Il induit une pauvreté de temps au niveau des femmes qui elle, induit une pauvreté de capabilité et la pauvreté de capabilité entraine la pauvreté monétaire. Jusqu’ici lorsqu’on élabore les stratégies, on est davantage rivé sur la pauvreté monétaire alors que cette pauvreté monétaire est dans une certaine mesure, surtout pour les femmes, une conséquence de la pauvreté de temps. Donc, pour se développer, il faut aussi s’intéresser à la question de la pauvreté de temps des femmes. Voilà pourquoi il faut en tenir compte dans les politiques de développement et dans les stratégies de lutte contre la pauvreté.
Comment en tant qu’économiste, pouvez-vous quantifier et estimer le travail des femmes ?
Ce travail se quantifie par ce qu’on appelle les enquêtes statistiques budget- temps. La première ébauche de quantification du travail non rémunéré au Burkina Faso a fait été faite en 2009 par une enquête pilote que j’ai conduite lors de ma thèse de doctorat soutenue à l’université Paris Descartes (Paris V).
Notons qu’à l’époque, le travail non rémunéré ne faisait pas encore parti des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Il s’agissait, dans cette thèse, de donner le protocole scientifique (économique) de la nécessité de sa prise en compte si l’on veut se développer. L’évaluation, par extrapolation, donnait près de 60% du PIB.
Depuis que le travail non rémunéré a été inséré dans les Objectifs du Développement durable (ODD) en 2015, les évaluations se multiplient dans le monde entier. Généralement, elles représentent au bas mot, l’équivalent de 30% du PIB des États. Notons que ces pourcentages sont tributaires de la définition donnée au TNR et de la méthodologie de quantification. Selon la définition que vous avez, l’échantillonnage et les méthodes de quantification, vous pouvez voir des résultats différents.
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Que faut-il entendre par budgétisation sensible au genre ?
Le budget est la traduction chiffrée des orientations politiques et stratégiques choisies par un État. Il faut savoir que le budget n’est pas neutre. Il a un impact différencié sur les femmes et sur les hommes. La Budgétisation sensible au Genre (BSG) vise à avoir des budgets qui satisfont équitablement les besoins spécifiques des hommes et des femmes.
Grâce à une analyse genre des recettes et des dépenses, on essaie de répondre à la question de savoir si le budget considéré induit une réduction des inégalités ou au contraire une accentuation de celles-ci.
Pour avoir un Budget sensible au Genre, il y a plusieurs étapes. Déjà, dans les politiques et programmes que l’on définit et qui vont être budgétisés, il faut intégrer la sexospécificité. Ensuite, au niveau du cycle budgétaire, il faut également prendre en compte la dimension genre avec les outils idoines. Ce n’est pas un exercice aisé. La commission de l’UEMOA développe des outils dans ce sens.
Par ailleurs, le conseil des ministres de l’UEMOA a adopté un schéma type d’institutionnalisation du schéma type d’institutionnalisation du genre dans les ministères et lesiInstitutions par décision n°005/2022/CM/ UEMOA du 24 juin 2022 en vue de renforcer la prise en compte systématique et transversale de la sexospécificité dans les politiques publiques.
Ce dispositif organisationnel qui peut être considéré comme un catalyseur pour la BSG, va de la primature jusqu’aux collectivités territoriales. L’innovation majeure est qu’il est basé sur la chaîne de la planification. Il implique tous les départements ministériels, en considérant comme ministère clés, ceux en charge du plan, du budget, de la fonction publique, du genre, de la décentralisation ou de l’administration territoriale compte tenu de leurs attributions qui impactent tant les autres ministères.
Entretien réalisé par Fabrice Sandwidi et Abdoulaye Ouédraogo