Depuis 70 ans, le collège notre dame de Kologh-Naaba consacre son existence, à l’éducation des jeunes filles. Le système éducatif mis en place, l’a rendu exceptionnel. Mais, à côté, il y a aussi, le lycée Philippe Zinda Kaboré, l’un des plus grands établissements scolaires d’enseignement général au Faso. Crée en 1953, le gouvernement burkinabè a décidé de sa fermeture, le 25 mai 2021 suite à des faits de grèves scolaires ayant entrainé des actes de vandalisme. Ces deux établissements ont marqué le cursus de la présidente fondatrice de l’association NEGABONON (Notre bien commun), « Thinking Africa, doing with Africans », Adiza Lamien Ouando. Elle revient sur les moments forts de son éducation scolaire.
Qui est Adiza Lamien Ouando ?
Je suis titulaire d’une licence en lettres et civilisations étrangères option anglais, administrateur civil, évaluateur des projets et programmes de développement. Je suis également expert genre, expert en peacebuilding, formatrice et facilitatrice de processus.
Je me définis comme une africaine fière d’être burkinabé, une personne optimiste, patiente, convaincue que c’est en aimant les autres qu’on s’aime, soi-même.
Je suis lyelé de Réo, mariée aux Bwaba. Les cultures lyéla et bwaba donnent une place importante à la femme. Chez les Lyela quand une femme accouche d’une fille, tout le monde est content contrairement à d’autres cultures où, c’est un peu la déception.
Chez nous, on accueille très bien les filles et on leur donne une éducation qui va les rendre autonomes, indépendantes et ayant leur mot à dire dans la gestion de la famille.
Le respect des droits des femmes dans le mariage chez les lyela et les bwaba est fondamental. On encourage les filles à avoir leurs propres biens. C’est-à-dire qu’elle cultive le champ familial mais, elle a aussi le sien, à côté et du temps pour s’occuper de la maison et d’elle-même.
Notre maman nous disait « Même si tu es élue présidente de la république, il faut d’abord savoir gérer ta maison ». C’est-à-dire assumer ta responsabilité de femme, de maîtresse de maison, former et pratiquer le faire-faire et suivre.
Que retenez-vous du collège notre dame de Kologh-Naaba ?
J’ai fréquenté le collège notre dame de Kologh-Naaba ou KN, de 1972 à 1976. C’est un établissement qui a marqué beaucoup de jeunes filles, en son temps à tel point qu’avec trois promotionnaires, j’ai créé un groupe « Retrouvailles des Jeunes Filles de Kologh-Naaba 1972+ ».
A notre arrivée, c’était des sœurs européennes qui dirigeaient l’école. Après, c’était le tour des sœurs africaines voire burkinabè. Mais, que ce soit les européennes ou les africaines, c’était notre famille, c’était elles, nos parents. Il y avait l’éducation et surtout l’éducation sur la santé de la reproduction. On regardait obligatoirement le journal télévisé tous les soirs. Lorsqu’il y avait des films en ville, au ciné Oubri ou au ciné Rialé, on partait à pied, accompagnées d’une sœur religieuse.
Déjà à cet âge, nous étions très cultivées. Mais, nous ne faisions pas que travailler, étudier, étudier. Je suis contente d’avoir l’occasion d’en parler. C’était une école catholique mais, on avait l’autorisation de danser. Nous dansions beaucoup. On avait un électrophone pour le premier cycle, un autre électrophone pour le second cycle. Les religieuses achetaient tous les disques à la mode de chanteurs africains ou européens. On faisait les ballets et quand il y avait les activités culturelles, nous étions toujours primées, Les filles de Kologh-Naaba étaient Top et tous les garçons des autres lycées rêvaient d’avoir une copine à Kologh-Naaba. Il y avait même une compétition entre le collège de la Salle et le prytanée militaire de Kadiogo.
Un jour, au cours de ces activités, un des élèves garçons parmi les spectateurs, émerveillé par la qualité des pas de danse n’a pas pu s’empêcher d’enlever son tee-shirt et son bracelet en argent que sa mère lui avait donné et le jeter sur sa danseuse préférée. Il y avait la rigueur et vraiment la joie. De la rigueur couplée à la joie.
Nous étions initiées aux métiers de la couture, de la cuisine, du théâtre et du chant… et on jouait également au football. C’est ça qui faisait de nous, des collégiennes travailleuses, coquines, épanouies et équilibrées. On avait parmi nous, des musulmanes et il régnait la tolérance religieuse. C’est donc, de très bons souvenirs.
Pourquoi ne trouve-t-on pas cette éducation dans notre société actuelle ?
Elle est en perte de vitesse parce que nous avons rejeté la culture. Sans ancrage culturel, aucun développement n’est possible pour un pays. On a encouragé délibérément la création des établissements privés très chers et les subventions pour les établissements comme Kologh-Naaba ne venaient plus.
Nous, enfants de parents pauvres (j’étais orpheline de père) avons eu droit à une éducation de qualité avec l’école publique du primaire au supérieur.. Mais, les enfants des pauvres, de nos jours, ne peuvent pas avoir ce droit à une éducation de qualité, parce que le système public a été détruit de manière programmée et avec le système privé, il y a la fraude à tous les niveaux. Il y a certains enseignants non qualifiés, parfois très mal payés, exploités sans aucune protection sociale.
Maintenant, l’école produit des diplômés. En notre temps, ce n’était pas le cas. C’était des personnes pétries de compétences, de connaissances y compris de culture burkinabè et de savoir-être. Le savoir-être a progressivement été enlevé de l’éducation.
Des enfants qui dansent la nuit à l’école ? Les kermesses se déroulaient dans la journée, à 8h et à 17h, c’était déjà fini. Aujourd’hui, les gens dansent jusqu’au petit matin et ça devient des boîtes de nuit. Donc, il faut une réforme en profondeur. C’est la raison pour laquelle, je dis que les réponses au terrorisme étant holistiques, les réformes en profondeur que le gouvernement est en train de faire va dans ce sens.
Le changement du statut des langues nationales en langues officielles est un exemple. Vous avez vu qu’on a déjà commencé à démolir les débits de boissons, trop près des écoles. C’est un bon début mais, le gouvernement devrait aller plus loin dans le contenu des enseignements.
Ceux qui ont favorisé cette destruction de notre système éducatif, leurs enfants n’étudient pas au Burkina Faso. Ils sont entre autres, en France, au Canada, aux États unis et partout ailleurs, en Europe.
A quoi, est-ce qu’on s’attend, quand on célèbre la semaine de la bière à la maison du peuple ? On retrouve des élèves là-bas. On y retrouve même des enfants qui ont dix ans.
Aussi, les télénovelas y compris africaines. Je rêve du jour où on va retirer ces chaînes et programmes de nos médias. C’est un virus qui détruit les filles et les femmes qui les regardent et même des familles.
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Quel souvenir, gardez-vous du lycée Phillipe Zinda Kaboré communément appelé « Le grand et noble Zinda « ?
Aujourd’hui, je suis experte et praticienne du genre, le noble et grand Zinda y a contribué. A Kologh-Naaba, nous n’étions que des filles entre nous. Ce lycée est au contraire mixte car accueillant des filles et des garçons. C’est mon passage au lycée Phillipe Zinda Kaboré qui a renforcé mes capacités de réplique, ma combativité et le fait que je suis à l’aise avec les hommes sans animosité (Dans les équipes de mission d’évaluation, je suis souvent la seule femme), C’est le noble et grand Zinda qui m’a fait savoir que toute chose de la vie pour être belle devrait avoir un côté masculin et un côté féminin . S’il y a des filles, il y a des garçons, s’il y a des femmes , il y a des hommes.
On était avec les garçons et il y avait une émulation saine. Aussi, ce qui m’a plu au Zinda, c’est que le programme était léger. Nous n’avions pas cours, tout le temps. On donnait de l’importance au sport autant qu’on le faisait à Kologh-Naaba. Le fait que ce soit le système de l’ externat permettait de découvrir la ville et être intégrée dans la vie du quartier… Je pédalais mon vélo de Ouidi jusqu’au Zinda et j’ai beaucoup aimé ça. Le vélo tonifie les muscles.
Permettez-moi de rendre hommage à notre professeur de philosophie monsieur Compaoré Lepsida , paix à son âme ! .Mon amour pour certaines matières et mon esprit critique viennent de lui. Ma façon d’enseigner aussi. Il était très compétent, rigoureux et bienveillant. Il encourageait et il encadrait bien. Et comme il était Bissa et moi Lyelé, il me taquinait souvent. Il m’a appris à apprécier la parenté à plaisanterie. Plaisanter avec un adulte, son enseignant tout en gardant sa place d’adolescente et d’élève.
Des perspectives ?
Comme projet, dans le cadre de l’Association que j’ai fondé avec quelques proches en 2019 partageant mon objectif de contribution au développement endogène du Burkina Faso, et à titre individuel, c’est de faire en sorte que de nombreuses personnes surtout les femmes et les filles dans leur diversité, réussissent. Tenir la main de jeunes filles et garçons et d’autres femmes pour les aider à se fortifier et à réaliser leurs rêves tout en étant utiles pour leurs familles et pour notre pays.
Pour cela avec l’Association NEGABONON et à titre personnel, je donne ma contribution aux activités dans les domaines de la cohésion sociale de l’édification de la paix et de la sécurité.
Françoise Tougry
Abdoulaye Ouédraogo