16 septembre 2023. C’est ce jour-là, qu’est née officiellement L’Alliance des États du Sahel (AES) encore appelée Liptako-Gourma. Signée à la suite du coup d’État du 26 juillet 2023 au Niger, contre lequel la CEDEAO menaçait d’intervenir militairement, elle symbolise un pacte de défense mutuelle, conclu entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Certes, c’est un évènement historique mais, c’est aussi, un sujet à polémiques. Les femmes ne sont pas restées en marge de cette actualité brulante. Dans cet entretien, la présidente de l’Association NEGABONON, Adiza Lamien Ouando fait des suggestions de solutions pour renforcer les relations entre les différents pays ouest-africains.
Depuis quelques années, le Burkina Faso est plongé dans une crise sécuritaire profonde. Quelle analyse faites-vous de la situation ?
Avant de répondre à cette question, permettez-moi de saluer la mémoire de toutes victimes du terrorisme et de m’associer à la douleur des familles affectées.
En tant qu’évaluateur, je pense que cette crise sécuritaire n’est que le résultat d’une crise plus profonde, qui est la crise de gestion des ressources au profit de quelques individus, de leurs familles et de leurs amis au détriment de la majorité des burkinabé. Ouaga et Bobo absorbent la plus grande partie du budget national pendant que dans d’autres régions, des gens boivent l’eau des mares, il n’y a pas de routes, pas d’écoles, les femmes se débrouillent pour accoucher car il n’y a même pas de dispensaire…
Il y a également que notre pays, pendant plus d’une trentaine d’années a mis de côté sa culture au détriment d’autres valeurs : l’individualisme, le non-respect des aînés, etc. L’esprit de partage, la solidarité, la simplicité, l’ardeur au travail, qui caractérisaient le burkinabé ont déserté notre vie au quotidien, favorisant l’appât du gain facile qui, à son tour, a contribué à l’installation du terrorisme. En 2007, je suis allée en formation en peacebuilding au centre Koffi Annan à Accra. Les formateurs de l’époque ont présenté le Burkina Faso, considéré comme un havre de paix. Cela a étonné les autres participant.e.s quand j’ai pris la parole pour dire que le Burkina Faso n’est pas un pays de sécurité et de stabilité car le gros plomb qu’on a posé sur la marmite est en train de se soulever lentement et bientôt, la marmite va exploser, si on ne revient pas à nos valeurs. En son temps, le Burkina Faso était expert dans les médiations des crises sous-régionales. Le terrorisme, c’’est la résultante de tant d’années de destruction de notre pays, de l’intérieur par nos dirigeants.
Avez-vous des pistes de solutions ?
Les autorités du pays sont déjà sur des chantiers de solutions. Il y a le fonds de soutien patriotique, le soutien de la population civile aux forces de défense et de sécurité, l’actionnariat populaire et la décision d’ériger les langues nationales en langues officielles… pour motiver les gens à s’intéresser davantage à la gestion des affaires publiques. Ce que nous pouvons faire, c’est de nous mobiliser pour apporter notre contribution.
L’Association Negabonon créée en 2019, milite pour la promotion des langues nationales. Nous saluons cette décision car, lorsque tous les burkinabé, hommes et femmes dans leur diversité pourront lire, écrire et envoyer leur contribution, participer à l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi-évaluation des politiques publiques, dans les langues qu’ils et elles comprennent, leur participation sera effective et on pourra parler d’inclusion.
Après le deuxième coup d’Etat de septembre 2022, NEGABONON a traduit et diffusé la déclaration des autorités coutumières et religieuses dans quelques langues nationales pour contribuer à l’apaisement.
Une autre solution apportée par le gouvernement, c’est le fait que le Burkina Faso est co-fondateur de l’Alliance des États du Sahel (AES) Certaines personnes perçoivent la création de l’AES comme une fronde. Mais, personnellement, j’apprécie. J’estime toujours que les réponses aux problèmes de nos pays doivent être régionales au lieu d’etre nationales. L’AES peut même exister et rester membre de la CEDEAO. Mais pourquoi cela a été difficile ? Parce que la CEDAO n’a pas joué son rôle. La CEDAO a failli et a fait montre d’un manque d’humanité, chose » contraire aux valeurs africaines de solidarité.
Dans une de vos prises de position, vous estimez que la CEDEAO a failli dans sa mission de réunir les peuples d’Afrique de l’Ouest. Pourquoi?
Quand votre enfant veut quitter la maison, vous ne dites pas, « Tu as tort de quitter la maison ». Vous lui dites au contraire, « revient ! On va s’asseoir et discuter. C’est ce qui a manqué : le dialogue.
La CEDEAO devrait se ressaisir et faire des réformes profondes ! Si ces réformes sont faites, peut-être que demain ou dans un proche avenir, les Etats de l’AES pourraient réintégrer la CEDEAO. C’est en cela, je dis que je suis optimiste. Peut-être qu’à l’issue de cette crise, les Etats de l’Afrique de l’Ouest seront plus soudés.
Parlant de la contribution de la femme, qu’est-ce qu’elles peuvent exactement faire ?
C’est de participer à la construction de l’édifice AES. L’une des conclusions de la rencontre des ministres de Ouagadougou est l’élaboration de la feuille de route. C’est le moment pour les femmes du Niger, du Mali et du Burkina Faso de s’organiser pour que la feuille de route prenne en compte les besoins, les préoccupations, les intérêts des femmes et des filles de l’espace AES et de prouver qu’elles sont disponibles pour œuvrer aux côtés des hommes pour construire un avenir meilleur pour les populations de notre espace.
Les femmes sont des aiguilles qui cousent les fissures des familles et du continent. Les femmes du Burkina Faso, du Mali et du Niger devraient travailler ensemble avec les femmes des autres pays qui ne sont pas membres de l’AES pour amener les responsables à faire en sorte que les trois Etats reviennent dans la CEDEAO, une nouvelle CEDEAO des peuples. Et elles peuvent le faire.
Je suis d’accord avec cette citation de Boubacar ZIDA dit Sid-Naaba « Si tu essaies, tu as une chance. Si tu n’essaies pas, tu as déjà perdu ».
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Comment les femmes peuvent-elles contribuer à l’édification de l’AES ?
De plus en plus, les femmes aussi se font enrôler aux côtés des terroristes. Intensifier la sensibilisation pour qu’aucune femme ne se fasse plus enrôler ! J’invite les femmes à apprendre les langues maternelles à leurs enfants, à instaurer le dialogue inter-religieux et à leur inculquer les valeurs d’appartenance à une famille et de l’intégration.
Aussi, l’Association NEGABONON a un projet de former les femmes du Sanguié et d’autres régions sur les questions de paix et sécurité, de créer des réseaux pour vulgariser les textes qui encadrent cela, de donner des outils simples pour que les femmes de toutes les catégories puissent se sentir concernées.
S’il y a des politiques à mettre en œuvre au plan national, régional et communautaire, nous sommes disponibles pour contribuer aux discussions et donner nos idées.
Un dernier mot ?
Je fais un appel à nos autorités pour qu’elles encouragent la contribution des femmes dans les villages, les quartiers, les arrondissements et les secteurs. La loi N 003-2023/ALT du 25 mars 2023 portant institution de Comités de veille et développement, si elle est accompagnée d’un décret d’application pourrait permettre cette participation effective.
Les femmes et les filles peuvent faire des propositions pertinentes pouvant mener à des actions concrètes pour l’AES.
Mon dernier mot : mes remerciements et encouragements à toute l’équipe de Queen MAFA qui met en lumière les actions des femmes et des hommes.
Entretien réalisé par Fabrice Sandwidi