Autrefois, appelée Ouaga la belle, en raison de sa propreté remarquable grâce notamment à la brigade verte, surnommée “les femmes de Simon”, du nom de l’ancien maire Simon Compaoré, la ville de Ouagadougou fait face aujourd’hui à un phénomène nouveau : l’apparition de dépotoirs d’ordures spontanés en plein centre-ville, offrant un spectacle désolant et insalubre. Qu’est-ce qui ne marche pas ? Que se passe-t-il à la mairie ? Une équipe de Queen Mafa a mené son enquête.
S’il y a une chose inimaginable, il y a quelques années, c’est bien les décharges à ciel ouvert en plein centre-ville de la capitale burkinabé. Pourtant, l’avenue Kwamé Nkhrumah, la plus belle avenue de Ouagadougou, celle qui faisait la fierté de bon nombre de Ouagalais, y compris son célèbre bourgmestre d’antan, Simon Compaoré, est décorée de la pire des manières : tout au long de la voie, des ordures s’amoncellent, de jour en jour, sous le regard des commerçants riverains et des autorités municipales.
Ayant constaté les faits depuis quelques mois, nous nous sommes rendus dans la matinée du 18 octobre 2023 sur les lieux pour comprendre les raisons d’une telle situation. Nous avons pu nous entretenir avec les commerçants, probables producteurs de ces ordures. Sans surprise, les commerçants ne nient pas être ceux qui déposent ces ordures. Toutefois ils estiment ne pas être responsables de ce spectacle peu reluisant.
Beaucoup d’entre eux ne sont pas tendres avec les autorités municipales. Pour eux, la situation inconfortable qu’ils vivent serait l’inactivité des agents des mairies. « Cela fait plus de trois (03) à quatre (04) semaines que les agents de la mairie n’ont pas effectué le déplacement pour le ramassage des ordures », nous explique un commerçant.
La mairie mise en cause
A l’entrée du lycée municipal de Paspanga, c’est encore le même scénario. Des sacs plastiques, des cartons, des bouteilles, des restes alimentaires, etc., s’entassent.
A qui donc la faute ? Qui doit s’occuper de l’enlèvement de ces ordures ? A ces questions, Maria une occupante d’une boutique de la place, répondra que les boutiques occupées par les commerçants sont des bâtiments de la mairie. Par conséquent, il lui incombe de trouver des poubelles pour les occupants et mieux, se charger du ramassage de ces ordures.
Face à ces allégations, le directeur de la salubrité publique et de l’hygiène de la commune de Ouagadougou est formel : il n’est pas de la responsabilité de la mairie de s’occuper des déchets produits par les commerçants dans le centre-ville.
« Ce n’est pas à la mairie de ramasser les déchets produits par les commerçants. Il leur revient de s’abonner chez un prestataire de gestion des déchets, généralement un GIE (groupement d’intérêt économique) pour l’enlèvement de leurs déchets », a-t-il déclaré avant de renchérir « La commune de Ouagadougou contrairement à d’autres pays ne prend pas un copeck pour gérer les déchets et cela rend la tâche, plus difficile. C’est-à-dire que la commune de Ouagadougou débourse de l’argent mais, il n’a rien en retour. Normalement, cela ne devrait pas être le cas. Mais, la commune avait voulu soutenir sa population. Cependant, une partie de la population n’a pas compris que la gestion des déchets est une affaire de tous et une affaire de mentalité ».
Mais ces explications de monsieur Nassouri ne semblent pas convaincre les commerçants. Selon les dires des riverains, la mairie se plaint du manque d’essence dans leurs véhicules pour effectuer les sorties. Un riverain ayant requis l’anonymat estime que cette situation ne peut s’avérer être une réalité. « Nous occupons les logements de la mairie et en aucun cas, nous n’avons été exemptés du paiement du loyer à la fin du mois. Que nous fassions un chiffre d’affaire ou pas, la mairie frappe à notre porte à la fin du mois ! Qu’elle utilise donc, cet argent pour mettre l’essence dans leur véhicule pour nous débarrasser des tas d’ordures !», lance-t-il.
Pourtant, selon le directeur de la salubrité publique et de l’hygiène de la commune de Ouagadougou, payer les logements à la mairie ne rime pas avec le ramassage des ordures. « Il n’a jamais été écrit dans le contrat de bail que la mairie se charge du ramassage des ordures produites par les occupants des logements », précise-t-il.
Quant à Pierre Ilboudo, commerçant de sacs d’écoliers, occupant d’un bâtiment de la marie depuis 2002, il n’est pas question de manque d’argent dans le coffre de la mairie, c’est plutôt un manque de volonté. « Si la mairie insinue qu’elle n’a pas d’argent, c’est parce qu’elle ne veut pas d’argent. Il y a de l’argent dans le pays. Beaucoup de passagers circulent mal, ne respectent pas les feux tricolores. Pourquoi ne pas réguler la circulation qui serait profitable pour tous et du même coup, se faire de l’argent pour alimenter les véhicules en essence pour faire correctement le travail ? », s’interroge-t-il.
La mairie plaide non coupable
Pourquoi maintenant ? Pourquoi un tel retournement de situation ? Pour le directeur de la salubrité publique et de l’hygiène de la commune de Ouagadougou, Saïdou Nassouri, cela pourrait s’expliquer par l’agrandissement rapide de la ville de Ouagadougou. « Ouagadougou dans les années 2000 était à 24.000 hectares. Aujourd’hui, la commune est à 54.000 hectares. De plus, la population était estimée à 1 million ou 1 million cinq cent mille. Actuellement, la population est passée à 3 millions d’habitants sans compter les personnes déplacées internes (PDI). Les déchets qui, autrefois étaient estimés de 200 à 250 mille tonnes par an sont désormais à 700 mille tonnes, voire plus. L’augmentation de la superficie rend la tâche encore plus compliquée que les années précédentes ».
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Il faut noter que dans la règle de gestion des ordures, la commune de Ouagadougou a confié la pré-collecte aux privés. Ils sont des prestataires privés contractualisant avec la population dans le cadre du ramassage des ordures qui sont envoyées dans un centre de collecte et de tri construit par la marie.
Selon les chiffres de la mairie, il existe une soixantaine de centre dans la commune. Des centres de collecte et de tri, la mairie se charge d’acheminer les déchets au grand centre appelé centre de traitement et de valorisation des déchets (CTVD).
Une responsabilité partagée
Le constat est qu’il y a un manque criard de communication entre les occupants des boutiques de rue et la mairie. Après avoir joué un rôle qui n’est pas le sien, la mairie apparemment essoufflée veut lâcher prise. Le fait d’avoir pris l’habitude d’enlever les ordures a institué un contrat de fait. Du coup, les gérants des boutiques se sont habitués à tout attendre de la mairie.
Ces derniers, aujourd’hui préfèrent fermer les yeux et vivre au milieu des ordures que d’assumer une responsabilité qu’ils estiment ne pas être la leur. Pourtant, tout serait si simple si ces derniers s’organisaient pour faire enlever les ordures. Au regard de la moyenne des prix d’enlèvement des ordures qui est de 1500f/mois dans la ville de Ouagadougou, chaque magasin ne débourserait pas plus de 200f/ mois. Cela ne coute presque rien !
En conclusion, il s’impose un travail de fond pour l’émergence du citoyen véritable, qui ne croise pas les bras pour attendre tout de l’État.
Fabrice Sandwidi