Introduction
Au Burkina Faso, les différents régimes ont tenté de trouver les meilleures stratégies pour une meilleure représentation des femmes dans les sphères de décision. Cependant, le Conseil National de la Révolution (CNR), 1983-1987 est le régime dont la politique en faveur de la promotion des femmes a eu le plus d’impact sur leur représentation dans la vie publique. L’une des principales missions que la Révolution s’était donnée était en effet l’émancipation des femmes, la lutte contre les représentations machistes. C’est ainsi que la Révolution a ouvert la porte de la politique aux femmes au Burkina Faso. (Rouamba, 2011).
Le renforcement des acquis de la Révolution a permis l’adoption, en 2009, de la loi portant fixation des quotas d’au moins 30% en faveur de l’un ou l’autre sexe aux élections législatives et municipales. L’objectif de cette loi visait à accroître la participation effective et équitable des femmes et des hommes aux élections et à l’animation de la vie politique. Mais, après deux élections municipales et deux élections législatives, le constat est que le quota de 30% n’est pas respecté. Avec un taux de représentativité de 10,23% de femmes à l’Assemblée nationale et 2,53% dans les municipalités en 2015, la « masse critique » de 30% pour amorcer le changement selon les Nations Unies, est loin d’être atteinte.
Comment expliquer les difficultés d’application de la loi portant fixation des quotas d’au moins 30% en faveur de l’un ou l’autre sexe aux élections législatives et municipales ? C’est à cette question centrale que le présent article répond. Il part des élections législatives de 2015.
1 Méthodologie
La méthodologie adoptée dans le cadre de cette étude est qualitative. Elle a consisté, dans un premier temps, à une recherche documentaire sur la thématique et ensuite, la réalisation d’entrevues en 2015 et 2017 auprès de responsables de partis politiques, d’actrices et d’acteurs de la société civile, de femmes engagées dans des partis politiques et d’observateurs de la scène politique nationale. Au total, 20 personnes ont pu être interviewées.
L’observation des acteurs et actrices de la politique lors des élections législatives de 2015 et municipales de 2016 en ce qui concerne la composition des liste électorales a aussi été déterminante.
2 Résultats
L’analyse a mis en lumière plusieurs faits saillants.
2.1. Des représentations sociales en défaveur des femmes
« Les représentations sociales en tant que systèmes d’interprétation régissent notre relation au monde et aux autres, orientent et organisent les conduites et les communications sociales. [Elles définissent] les identités personnelles et sociales. » (Jodelet, 1989 : 36-37 citée par Cordier, 1999 : 450). Or, au Burkina Faso les femmes sont vues, – à des degrés divers -, comme des êtres devant assurer les fonctions de l’intérieur. D’ailleurs dans les conceptions populaires, les femmes sont désignées « Ministre de l’Intérieur ». Ces représentations, comme le note Poeschl (2004), jouent un rôle important dans la reproduction des inégalités d’une manière générale et dans la sous représentativité des femmes à l’Assemblée nationale en particulier. Les situations d’inégalité vont amener les autorités et les femmes à engager des actions pour obtenir une meilleure représentation des femmes en politique.
2.2. Les fondements des lois de quotas pour les femmes en politique
Conscientes que les femmes sont frappées par des inégalités structurelles, notamment la loi sociale fondamentale de préséance des hommes sur les femmes, nombre de personnes physiques et morales vont revendiquer des politiques qui favorisent, voire garantissent une plus grande présence des femmes dans les fonctions politiques et postes de responsabilités.
Ces luttes s’inspirent des orientations des Nations-Unies, qui estiment que la « masse critique », c’est-à-dire la proportion de représentation qu’il faut pour qu’un groupe minoritaire (sur la base de la race, de la langue, du sexe, de l’ethnie, etc.) puisse constituer une force et défendre ses intérêts au sein d’une organisation, est de 30 % (quota de 30 %). Ainsi, le Burkina adopta la loi n°010-2009/ AN portant fixation de quotas aux élections législatives et municipales qui dispose en son article 3 que : « toute liste de candidature présentée par un parti ou un regroupement de partis politiques devra comporter au moins 30% de candidatures au profit de l’un et de l’autre sexe ».
Notons qu’il existe deux catégories de quotas, les quotas légaux inscrits dans la Constitution ou la loi électorale et les quotas adoptés volontairement par les partis politiques. Mais quelle que soit l’option retenue, la politique de quotas ne fait pas l’unanimité. Certaines personnes trouvent qu’elle suscite un sentiment d’humiliation pour les femmes et pourrait être à l’origine de dérives communautaires (Noirs, homosexuelles, musulmans, protestants, handicapés, islamistes, etc.) (Badinter 1999 ; Merindol Ouoba, 2013).
2.3 Les femmes à l’Assemblée nationale : une dynamique croissante interrompue par l’insurrection de 2014
Le processus de libération des femmes engagé sous la Révolution s’est poursuivi et a favorisé une progression constante de la représentativité des femmes à l’Assemblée de 1992 à 2014. Cette dynamique positive va cependant s’interrompre avec l’insurrection populaire d’octobre 2014 qui a conduit au renversement du régime du Président Blaise Compaoré, suivi de la suspension et de la révision de nombreuses institutions, dont l’Assemblée nationale comme le montre le tableau 1.
Tableau 1. Évolution des femmes députées à l’Assemblée nationale de 1992 à 2014
Législatures | Nombre total député.e.s | Nombre d’hommes | Nombre de femmes | Pourcentage (%) |
1992-1997 | 107 | 103 | 04 | 3,73 |
1997-2002 | 111 | 102 | 09 | 8,10 |
2002-2007 | 111 | 98 | 13 | 11,71 |
2007-2012 | 111 | 94 | 17 | 15,31 |
2012-2014 | 127 | 103 | 24 | 18,90 |
Source : site web Assemblée Nationale consulté le 26 juillet 2015.
L’amélioration de la représentativité des femmes s’explique par les actions de sensibilisations, de plaidoyer menées auprès des autorités, des partis politiques et des autorités coutumières. Ces actions ont permis de changer les perceptions des femmes politiques par la population. C’est ce qui a d’ailleurs favorisé l’adoption de la loi portant fixation de quotas en 2009.
2.4 L’insurrection populaire de 2014 : la « chute » de la présence des femmes au sein de l’Assemblée nationale
L’avènement de l’insurrection populaire en 2014 a mis en évidence, le fait que les acquis des femmes ne sont pas définitifs et peuvent être remis en cause à tout moment. En effet, les nouvelles instances mises en place après ce mouvement ont accordé une faible représentation aux femmes alors qu’elles ont joué un rôle important dans l’avènement de la Transition, notamment à travers leur marche hautement symbolique du 27 octobre 2014 avec des spatules[1]. Dans le Conseil National de la Transition (CNT) mis en place dans la dynamique de la Transition, les femmes n’ont représenté que 12%. Ainsi, le Quota genre prévu par la loi de 2009 n’a pas été pris en compte lors de la composition de l’Assemblée législative.
2.5 Les femmes dans les instances de décision après les élections législatives de
2015
Les élections d’après Transition se sont tenues dans un contexte de redistribution des cartes politiques, la chute du parti au pouvoir (CDP) ayant rendu les issues des élections plus incertaines. De nouvelles logiques électorales ont vu le jour et de nouvelles orientations ont été données pour les jeux de positionnement dans les partis politiques. Ainsi, pour des besoins de conquête de l’électorat, les partis politiques ont opté pour des positionnements pragmatiques releguant souvent la femme aux postes de suppléants ou aux dernières places de la liste. Les listes de candidature ont été un leurre comme le montre le tableau 2.
Tableau 2. Position des femmes sur les listes électorales des quatre principaux partis aux élections législatives de novembre 2015
Partis Circonscription électorale | MPP | UPC | CDP | UNIR/PS |
Kadiogo (9 postes) | 5ème 7ème | 1ère 4ème 5ème | 3ème 4ème | 3ème 6ème |
Houet (6 postes) | 3ème 6ème | 2ème | 5ème | 2ème |
Yatenga (4 postes) | Aucune | Aucune | 2ème | 3ème 4ème |
Boulgou (4 postes) | 4ème | Aucune | 2ème | Aucune |
Boulkiemdé(4 postes) | 2ème | 1ère | 4ème | Aucune |
Sanmatenga (4 postes) | Aucune | Aucune | 3ème | 4ème |
Source : Listes électorales des partis politiques
Les élections post-insurrectionnelles ont donc constitué un recul en matière de positionnement des femmes sur les listes électorales et cela a joué sur leur présence à l’Assemblée Nationale : la proportion de femmes est passée de 18,90% à la législature 2012-2014 à 11,02% en 2015-2020.
- Les rôles de sexe et le manque de ressources font obstacle à la représentation politique des femmes
Disposer de ressources financières pour assurer les campagnes électorales est indispensable. Les candidates élues et non élues que nous avons rencontrées dans le cadre de cette étude ont en effet relevé le fait que le manque ou l’insuffisance de moyens financiers constitue un obstacle majeur au métier politique. Or, le pouvoir économique fait défaut généralement chez les femmes. Les femmes désireuses d’exercer leur citoyenneté à travers leur participation à la vie politique sont, conséquemment, défavorisées par rapport aux hommes. Ce handicap les rend très dépendantes de leurs époux ou des personnes qui les soutiennent : ces personnes leur dictent leurs volontés.
Conclusion
Les responsables des partis et formations politiques louent dans leurs discours la noblesse de la loi portant fixation de quotas et promettent de l’appliquer. Cependant, à l’examen des listes électorales et des positionnements sur les différentes listes, on se rend compte que la disposition des responsables politiques à appliquer le quota relève d’un discours politiquement correct, et non d’une réelle volonté. Les partis politiques, stratégiquement saluent cette loi pour ne pas perdre les voix des femmes aux élections, mais opposent une forte résistance à l’appliquer. C’est dans cette logique que même quand les 30% de femmes sont respectées dans les compositions des listes électorales, elles se retrouvent à des positions qui rendent difficiles leur élection.
Lydia Rouamba
Institut des Sciences des Sociétés/CNRST
Zakaria Soré
Université Joseph Ki-Zerbo
Document de vulgarisation tiré de : ROUAMBA Lydia et Zakaria Soré. 2021.« Leurre et malheurs du quota genre au Burkina Faso. Une analyse à partir des élections législatives de novembre 2015 » dans Nouvelles Questions Féministes, Lausanne, n°40/1 2021, pp. 82-98.
Pour en savoir plus
AFRIQUES CREATIVES (2013). Antigones africaines : La loi et le lien, Projet Participation politique des jeunes femmes d’Afrique de l’ouest francophone: formes, enjeux et perspectives (PPJF), Dakar, http://www.afriquescreatives.org/antigonesafricaines
AMAR, Micheline (éd.) (1999). Le piège de la parité. Arguments pour un débat. Paris : Hachette, 251 p.
ASSEMBLÉE NATIONALE (2005). Rapport de synthèse du séminaire organisé par le caucus genre de l’Assemblée nationale du Burkina Faso sur le thème « Sensibilisation et formation sur le système des quotas au Burkina Faso, 15 p.
ASSEMBLÉE NATIONALE (2008). Commission ad hoc sur les quotas. Rapport général, 30 p. http://www.maep.bf/gestdoc/uploads/68.pdf (consulté le 20 juillet 2015)
BADINTER Elisabeth (1999). « Non aux quotas de femmes ». In Le piège de la parité. Arguments pour un débat, Textes réunis par Micheline Amar, p. 18-22. (Le monde, 12 juin 1996), Paris : Hachette.
CORDIER Ariel. 1999. « Représentations sociales ». In Dictionnaire de sociologie, sous la dir. de AKOUN André et Pierre ANSART, p. 450-451. Paris : Le seuil.
ILBOUDO Monique (2006). Droit de cité. Être femme au Burkina Faso, Montréal, Remue-ménage.
JODELET Denise. 1989 [1994].Les Représentations sociales, Paris : PUF.
MERINDOL OUOBA Clarisse (2013). Je ne veux pas qu’on m’offre des faveurs dans une calebasse ! La discrimination positive au Burkina Faso ou l’affirmation de la différence- L’exemple de la loi sur le quota. Condé-sur-Noireau : L’Harmattan, 107 p.
ROUAMBA Lydia et Zakaria SORE ( 2021). « Leurre et malheurs du quota genre au Burkina Faso. Une analyse à partir des élections législatives de novembre 2015 » dans Nouvelles Questions Féministes, Lausanne, n°40/1 2021, pp. 82-98.
ROUAMBA Lydia (2015). « La transition au Burkina Faso : La société civile est-elle sensible au genre? » Dans le Journal en ligne Lefaso.net, 30 janvier 2015 http://www.lefaso.net/spip.php?article63018
ROUAMBA Lydia, TRAORÉ Adèle (2017). Les résultats des élections législatives de 2015 et municipales de 2016 (dans les zones d’intervention de la CBDF) : des points saillants en matière de genre, CBDF, Ouagadougou.
ROUAMBA, Palingwindé. Inès. Zoé. Lydia (2011). La participation des femmes à la vie politique au Burkina (1957-2009). Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal, Montréal.
SALLENAVE, Danièle (1999). « Le piège de la parité ». Le piège de la parité. Arguments pour un débat. Textes réunis par Micheline Amar, p. 23-25. Paris : Hachette.
[1] Les légendes au Burkina Faso racontent que quand des femmes manifestent sur la voie publique avec cet instrument de l’espace domestique, le chef du village a au maximum quatre jours pour perdre son trône : soit il fuit ou il est chassé ou tué.