Engagées au quotidien dans une lutte sans merci contre la pauvreté, des femmes de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, s’adonnent au ramassage des sachets plastiques. Les rues, les marchés, les hôpitaux, les poubelles, les caniveaux sont passés au peigne fin par ces femmes, dans l’optique de collecter une quantité importante de sachets pour se faire de l’argent, bravant ainsi tous les risques possibles.
Une poussière en forme de tourbillon, des tas de déchets sous forme des collines de sable, une odeur nauséabonde, nous voilà au grand dépotoir des ordures, situé à Gounghin, un quartier de la ville de Ouagadougou, à côté des rails, non loin de l’école nationale de la police. Plus d’une centaine de femmes sont à l’œuvre, à la recherche de leur pain quotidien. Dans ces lieux, les travaux sont bien spécifiés et l’ambiance est au top. Des vieilles, des jeunes femmes, des jeunes filles s’engouffrent dans les décombres, l’objectif est de pouvoir bien se servir. S’il y a certaines femmes qui trient, d’autres sont chargées de convoyer les déchets vers le lieu.
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L’émotion était à son paroxysme quand nous avons rencontrés quelques femmes, le 21 mars 2023 dans un dépotoir situé au quartier Gounghin de Ouagadougou.
A l’aide de tricycles, de charrettes, des mini-camions, elles parcourent les artères de la capitale à la recherche de leur pain quotidien. Elles y passent presque toute la journée sans un minimum de protection. Quelques rares femmes ont des semblants de gants et de cache-nez mais, très usés.
A Ouagadougou, elles sont des centaines de femmes qui ramassent chaque jour, les sachets plastiques jetés dans la rue par les passants. Elles les trient, les vendent à 100 FCFA le kilogramme, pour qu’ils soient ensuite recyclés. Organisées en association ou de façon individuelle, elles contribuent à embellir la ville et aussi à améliorer les conditions de vie de leurs familles.
Rose Tiendrébéogo, experte dans la conduite du tricycle, épouse et mère de trois enfants, silionne la ville à la recherche de sa marchandise. Évoluant depuis plus de trois ans dans le domaine, elle ne compte pas arrêter ce boulot de sitôt. « Nous ramassons les sachets dans les poubelles, dans les grandes boutiques, dans les grandes entreprises, dans les gares et parfois dans les hôpitaux », relate-t-elle. Pour elle, cette activité est une nécessité car il faut forcement nourrir sa famille. Toute pâle, visiblement moins en forme, elle relate leur calvaire dans la collecte des sachets plastiques surtout pendant la saison pluvieuse. « Ce n’est pas facile de conduire le tricycle toute la journée. Pendant l’hivernage, nous souffrons beaucoup car les voies sont inaccessibles. Nous nous embourbons très souvent et ça rend la tâche très compliquée », raconte-t-elle.
En plus de ce souci majeur, madame Tiendrebéogo précise que rares sont les personnes qui veulent s’approcher d’une poubelle quand il a plu. « Quand il pleut, les poubelles dégagent une forte odeur. Mais, nous n’avons pas le choix, c’est notre boulot et nous le faisons dignement », explique-t-elle.
Malgré tout, il faut le dire haut et fort, le travail est compliqué, mais la rémunération est faible selon les braves dames. « On ne peut pas gagner grand-chose, tout ce que nous faisons, c’est pour que nos enfants puissent avoir de quoi mettre sous la dent avant de dormir. Mon mari m’a abandonnée quand je suis tombée malade. Nous étions en ce moment en Côte d’Ivoire. Je suis rentrée au pays avec mes trois enfants. Je fais ce travail pour les nourrir et payer la scolarité », souligne-t-elle.
Gisèle Ouédraogo, du haut de ses 70 ans, pratique le métier, il y a environ sept ans. Dans son rôle de mère et de grand-mère, elle parcourt de grande distance à la recherche du diamant noir (sachets plastiques) pour nourrir sa famille. Résidente au quartier Kilwin, elle sillonne les rues de Rimkèta, Bissighin, Toécin et Tampouy pour ramasser les sachets. « Le problème, pour trouver une grande quantité de sachets, je fais souvent de longues distances (entre 3 à 4km) », confie-t-elle.
Collecter les sachets, un mal nécessaire
Si le ramassage et la vente des sachets contribue à nourrir de nombreuses familles dans la capitale Ouagalaise et de réduire la pauvreté, l’activité reste tout de même très ingrate, malgré l’effort physiques psychologique que cela demande.
Irène Kaboré, 71 ans, ramasse les sachets, depuis 21 ans. « Je travaillais avec un patron, mais avec l’âge, je travaille seule à présent. Dès le lever du soleil, je viens dans ce dépotoir dans l’espoir d’avoir un peu d’argent pour nourrir ma famille, indique-t-elle et d’ajouter « C’est difficile de se nourrir, si tu ne fais rien comme activité. En venant travailler ici, j’arrive à trouver de quoi nourrir mes enfants ». Très fatiguée, la vieille Irène ne se déplace plus pour chercher les sachets, elle attend que les autres amènent les poubelles ménagères pour qu’elle puisse se servir.
Vendu à 100F, le kilogramme de sachets, il est difficile même de gagner 500f dans la journée. Sauf celles qui sont actives qui peuvent avoir 500f par jour.
Awa Nikièma, âgée de 67 ans est une personne déplacée interne venue de Pennsé, dans la commune de Kaya, région du Centre-Nord. Son fils aîné a été tué par « les hommes de brousse ». Contraintes de quitter son village suite aux nombreuses incursions terroristes causant la mort de plusieurs personnes, elle se retrouve à Ouagadougou avec trois petits-fils orphelins à nourrir. « Pour pouvoir les nourrir, je ramasse les sachets plastiques. Quand je fuyais mon village, je ne pensais pas faire une telle activité mais, je n’ai pas le choix. Dans la semaine, je peux avoir un 5000 F. Dans la journée, je gagne souvent 5 à 6 kg. Je les cumule chaque jour et à la fin de la semaine, les acheteurs pèsent et me donnent ce qui me revient », explique la vieille femme.
Avec un air perdu, elle continue de collecter les sachets sous le soleil car son unique fils, parti en Côte d’Ivoire pour chercher l’argent se retrouve malade et sans argent pour revenir au pays. « Si tu vois que je suis sous ce soleil ardent, (12h 30mn), c’est parce que je veux me faire assez d’argent et lui envoyer le transport », précise-t-elle.
« Présentement, nous vivons du ramassage des sachets. Je nourris mes petits enfants avec ces revenus. Je n’ai pas un kit de protection, c’est Dieu qui me protège », se console Gisèle Ouédraogo.
Avec plus de sept ans d’expérience à son compte, elle a commencé à vendre le sachet quand le kilogramme coutait 50F, puis 75F et aujourd’hui, le kilogramme se vend à 100f. « L’argent que je gagne, je l’utilise pour les dépenses familiales et je continue de chercher. On ne peut pas garder une grande quantité, puisque nous vivons de ça », se lamente-t-elle.
Confrontées à des maladies
Dans un rapport publié en février 2019, le Center for International Environmental Law (CIEL) alerte sur l’impact sanitaire du plastique. Les effets sur la santé peuvent être divers : impacts sur le système immunitaire et le système respiratoire, perturbations endocriniennes, baisse de la fertilité, hausse des risques de cancers… Selon le rapport, ces effets existent à chaque étape du cycle de vie du plastique et démultiplient donc les conséquences sur la santé. Ces risques concernent tous les individus. Toutefois les personnes exposées de façon prolongée comme les travailleurs dans le domaine du plastique, riverains d’usines, consommateurs quotidiens de produits plastiques) ainsi que les publics vulnérables (enfants, nourrissons et femmes enceintes) sont tout particulièrement affectés.
Les ramasseuses de sachets plastiques disent être conscientes de cela, puisse qu’elles constatent déjà de nombreux problèmes de santé. Elles font le travail sans un minimum de protection. Elles sont confrontées à certaines maladies de peaux, des problèmes respiratoires, du rhume chronique, la toux, de la fatigue générale, et des problèmes de nerfs.
Cependant, entre mourir de faim ou de la maladie, ces femmes ont fait leur choix. « Tant que la maladie ne me terrasse pas complètement, je continuerais de venir. C’est évident qu’on ne peut pas travailler dans ces conditions et être en bonne santé », regrette la doyenne, Irène Kaboré qui totalise 21 ans dans le domaine.
Très fatiguées, avec un regard lointain, la veuve Irène s’imaginait être aujourd’hui entourée de ces petits-fils au lieu d’être engloutie par ces sachets, sous ce soleil ardent. « Je voulais investir et pouvoir me reposer. Mais ce que je gagne ne le permet pas, vues mes charges. Si j’avais de l’aide, je peux encore vendre des condiments secs devant ma cour . Ce qui me permettra de me reposer », mentionne-t-elle .
La vielle Awa Nikiéma, visiblement mal au point, continue de travailler tout de même. « Je suis très malade. Hier, j’ai quitté ici (Goughin) à 16h et je suis arrivée chez moi à Cissin autour de 19h 30mn. Je souffre de problèmes de dos, de rhume, de toux. La fatigue est générale mais, c’est de notre survie qu’il s’agit », avoue t-elle.
Rose Tiendrébéogo, mère de trois enfants, répudiée par son mari pour des raisons de santé reconnait qu’elle tombe souvent malade mais dit ne pas avoir le choix. « Je prie Dieu pour que ma maladie ne s’aggrave davantage. Je sais que le travail est risqué et je demande aux bonnes volontés de nous aider », a t-elle confié.
Face à un tel constat, les responsables des associations œuvrant dans le ramassage des sachets plastiques doivent trouver un minimum de protection pour les femmes. Cela passe nécessairement par l’achat des gants, des cache-nez et des désinfectants.
Des visites médicales peuvent également être initiées qui permettront de diagnostiquer rapidement les maladies capables de nuire à la vie de ces femmes.
Aminata Ouédraogo, stagiaire