Dans un communiqué publié le 17 février 2023, le gouvernement burkinabè s’est désengagé de toute production et commercialisation du pagne de 8 mars 2023 et a invité les commerçants à adhérer à l’idée pour des raisons évidentes : l’heure n’est pas aux réjouissances de sécurité nationale. Cependant, des pagnes de 8 mars se vendent dans certains marchés de la ville de Ouagadougou via un circuit. Une équipe de Queenmafa.net a mené son enquête pour comprendre les raisons de la présence du pagne du 8 mars sur le marché malgré le communiqué du gouvernement.
Savatex, c’est le nom de la structure qui a assuré la production du pagne de 8 mars 2023. C’est d’ailleurs cette structure qui assure depuis 2020, la production du pagne et de sa commercialisation avec l’aide du ministère en charge de l’organisation de la cérémonie officielle. Mais, pourquoi malgré le communiqué officiel, trouve-t-on des pagnes sur le marché?
Pour comprendre, nous avons contacté ladite structure le 23 février 2023 sur un numéro que nous avons pris sur sa page Facebook. Un homme au bout du fil, après nous avoir écouté, décide de nous mettre en contact avec une autre personne qui pourrait répondre à nos préoccupations. Malheureusement, cet appel a été le premier et le dernier, puisque nous avons passé plus de deux jours à rappeler sans succès.
Déterminés, nous décidons de nous rendre au grand marché de Ouagadougou (Rood wooko), le 25 février 2023 car plusieurs sources indiquent que Savatex a un grand magasin dans ledit marché. Une jeune femme nous accueille. Nous constatons que la boutique qui a fabriqué le pagne du 8 mars n’a plus de stock. Néanmoins, nous avons tenu à nous présenter et évoquer le motif de notre visite. Exaspérée, la dame nous fait savoir qu’elle n’est pas la patronne et qu’elle est assez occupée pour nous répondre. Quand nous avons demandé à rencontrer le patron, elle a rétorqué « Je ne sais pas où il est. Je ne veux pas de problème avec vous. Je suis très occupée. Partez maintenant ».
Après ces mots, c’est le silence radio, puisque nous n’avons plus réussi à lui arracher un mot. Visiblement cette dame a compris que nous sommes des journalistes et nous essayons d’enquêter sur la production du pagne. Nous poursuivons nos recherches en interrogeant le ministère sur les raisons de la présence du pagne du 8 mars sur le marché malgré l’interdiction du gouvernement.
Selon le ministère en charge de l’organisation de la journée internationale de la femme, le pagne qui se trouve sur le marché est l’œuvre de certains commerçants. Ils développent leurs idées pour se faire de l’argent. Le ministère n’y est pour rien. La preuve, le thème sur le pagne (Femme engagée, artisane de paix pour un meilleure vivre ensemble au Burkina Faso) a été choisi par ces mêmes personnes, puisqu’il n’a rien avoir avec celui retenu par le ministère (contribution de la femme à la production agricole dans un contexte de crise sécuritaire et humanitaire : la promotion de la culture hors sol comme alternative).
Mais pour le ministère, il ne serait pas raisonnable d’interdire à des gens qui ont déjà investi de fortes sommes dans la production du pagne de commercialiser leur produit. L’essentiel c’est de sensibiliser les gens pour qu’ils sachent que le pays n’est pas assez stable pour organiser des fêtes et qu’il faut donc savoir raison garder. « Si par exemple le ministère, dans une note officielle interdit aux commerçants d’écouler le produit, il fera face à un autre front, qui ne fait pas avancer le pays. Pourtant, le pays a besoin d’un peu de tranquillité pour travailler », indique le directeur de la Communication et de la Presse ministérielle du ministère en charge du genre, Ousséni Ouédraogo.
La « magouille » dans la commercialisation du pagne du 8 mars doit cesser
« Ne dit-on pas que ce qui est rare est cher ? » Selon plusieurs commerçantes, l’annonce du gouvernement indiquant qu’il n’y aura pas de pagne de 8 mars, a contribué à la hausse des prix.
Rasmata Kouanda que les gens appellent affectueusement « pougsadb naaba », qui signifie « la présidente des jeunes filles » en langue mooré est vendeuse du pagne de 8 mars depuis plus de 9 ans.
Assise au bord du goudron, à côté de sa marchandise, pougsadb naaba est visiblement mécontente, bien qu’il ne lui reste pas assez de pagnes.
Depuis qu’elle vend le pagne de 8 mars, elle n’a jamais vu une situation semblable à celle de cette année. Elle nous relate son histoire avec un ton très remonté.
« Nous avons appris que le ministre n’a pas donné l’autorisation d’imprimer le pagne. Ceux qui l’ont fait aussi, doivent nous le vendre au lieu de donner à des gens pour qu’ils nous revendent. Ils ont même donné de gros stocks à certains membres de leurs familles qui doublent les prix comme ils veulent pour revendre et quand nous partons acheter, c’est difficile d’écouler, puisque les prix sont assez élevés ».
Dame Kouanda, trouve que ce qui se passe dans la commercialisation du pagne de 8 mars de cette année est nouveau.
« Ils disent qu’ils ont imprimé le pagne pour les femmes, alors que c’est pour leurs familles », poursuit-elle.
Elle souhaite que prochainement, l’État Burkinabè donne le marché à des gens qui sont là, pour la cause de la femme. Très remontée, dame Kouanda trouve que la « magouille » dans la commercialisation du pagne du 8 mars doit cesser. « Cette pratique n’honore pas la femme », a-t-elle indigné.
L’Agence d’information du Burkina (AIB), dans sa rubrique les régionales, un confrère écrit : journée internationale de la femme : le pagne du 8 mars de plus en plus rare à Bobo-Dioulasso.
Paru le 3 février 2023, le confrère évoque les raisons de la rareté du pagne sur le marché, selon plusieurs vendeuses. Ce manque a entrainé l’inflation des prix. Toujours dans son article, il souligne le fait que le pagne se vend, cette année entre 10000F et 11000F contre 6000F pour les années antérieures.
Comme nous pouvons le constater, c’est la forte demande et le désengagement du ministère dans la production du pagne qui ont entrainé cette situation. Cela signifie que les femmes achètent bien le pagne. Certains commerçants précisent que beaucoup de femmes n’ont pas la tête à la fête, car elles n’ont pas pu se procurer le pagne.
L’agence d’information du Burkina a indiqué également que les prix du pagne sont tellement élevés au point où les commerçants qui en disposent se frottent les mains.
Pas de pagnes tissés de 8 mars 2023 : de l’ordre au sein des tisseuses
Si la décision de l’autorité de ne pas imprimer le pagne n’a pas été respecté par certains commerçants, l’ensemble des tisseuses du Burkina Faso et le ministère ont travaillé en parfaite symbiose.
Joint au téléphone le 25 février 2023, l’une des femmes de l’Association des Tisseuses du Kadiogo explique : « Cette année, il n’y pas le pagne tissé de 8 mars. D’habitude pour choisir le pagne tissé du 8 mars, le gouvernement organise un concours et toutes les associations accréditées participent pour la sélection du pagne. Cette année, le ministère en charge du genre, après plusieurs rencontres avec les femmes, a décidé qu’il n’y aura pas de pagne tissé cette année, vu le contexte sécuritaire. Donc, nous au sein de l’association savions depuis qu’il n’y aura pas le pagne tissé cette année. »
Le désengagement du gouvernement de la commercialisation du pagne du 8 mars a eu un impact négatif sur les activités des femmes commerçantes.
Pour bon nombre de femmes, la commercialisation du pagne de 8 mars contribue à l’épanouissement de la femme.
« Beaucoup de femme au Burkina Faso sont des veuves et se battent pour s’occuper seules de leurs enfants grâce au commerce des pagnes et particulièrement celui du 8 mars. », affirme Rasmata Kouanda .
Selon elle, « sa particularité réside dans le fait que c’est un pagne qui s’achète beaucoup dans un laps de temps, donc ça fait des bénéfices considérables. Nous utilisons cet argent pour payer la scolarité de nos enfants, les nourrir et les habiller. C’est aussi le rôle d’une mère qui joue celui du père en plus. »
Adjara Cissé, Commerçante de pagne à la cite AN III de Ouagadougou a dû prendre juste quelques pagnes pour revendre. Au regard du coût élevé, elle ne compte abandonner au risque de perdre. Pourtant comme bien d’autres femmes, cette activité lui permettait de payer la scolarité de ses enfants. Un coup dur donc pour des centaines de femmes commerçantes.
Aminata Ouédraogo ( stagiaire)