Enseignante , Suzanne Compaoré épouse Tapsoba a toujours pris à cœur son métier. En 1992, alors qu’elle tenait une classe de CE2, elle n’arrivait pas à évaluer une de ses élèves non-voyante. Cette situation difficile à laquelle elle a été confrontée l’a amenée à mettre ses vacances au profit pour apprendre le braille afin de mieux comprendre son élève. Queenmafa.net est allé à la rencontre de cette brave dame, aujourd’hui directrice de l’École des Jeunes Aveugles de l’Union Nationale des Associations Burkinabè pour la Promotion des Aveugles et Malvoyants (EJA/UNABPAM).
Comment définissez le braille ?
Le braille est un système d’écriture tactile. Ça veut dire que ce sont des écritures en relief que les personnes non-voyantes utilisent pour communiquer notamment la lecture et l’écriture. Le braille a été inventé il y a très longtemps. Il porte d’ailleurs le nom de son inventeur qui est Louis Braille, un français qui était non voyant. Il a inventé ce système pour pouvoir communiquer et s’instruire.
Ce sont de petits points en relief avec deux colonnes de trois points, c’est-à-dire six points. On utilise ces six points pour faire des combinaisons, pour trouver les lettres. Avec ces six points, on peut avoir 63 combinaisons qui forment l’ensemble des lettres brailles que les gens utilisent. Le braille a beaucoup évolué. Aujourd’hui, on parle du braille qui est accessible.
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Qu’est-ce qui vous a motivée à devenir enseignante du braille ?
En 1992, j’ai reçu une élève non-voyante dans ma classe. J’avais 115 élèves en classe de CE2, en plus de la non-voyante. Je préparais mon examen pratique du CAP. Lors des évaluations, tout se passait bien à l’oral avec la non-voyante car elle était très brillante et participait au cours. Mais, quand elle écrivait, il y avait un problème car je ne savais pas lire le braille. Je l’amenais à lire elle-même ce qu’elle a écrit pour qu’elle ne se décourage pas du fait que je ne pouvais pas lire ses exercices. Nous avons acheminé ainsi difficilement jusqu’à la fin de l’année et heureusement l’examen a marché.
J’ai décidé de prendre mes vacances pour apprendre le braille. Je me suis approchée du directeur de l’école des jeunes aveugles en son temps qui a bien accepté m’accorder cette formation. L’année qui a suivi, j’ai gardé le contact avec l’élève qui était toujours dans ma classe jusqu’à ce qu’on arrive au CM2. J’étais presque la première à m’intéresser à l’écriture braille.
Étant enseignante dans les classes ordinaires, le ministère de l’éducation cherchait un enseignant en braille pour l’affecter et comme il n’y avait personne de libre, j’ai été enlevée en plein mois d’avril de la classe de CM2 que je tenais pour être affectée à l’école des jeunes aveugles. Depuis lors, j’enseigne le braille et je suis devenue la directrice de l’école.
» Le braille s’apprend comme l’écriture au stylo «
Le braille est un système de communication pour les non-voyants et malvoyants. Comment comprendre le braille ?
Le braille s’apprend comme l’écriture que nous apprenons avec le stylo. Le braille n’est pas très compliqué. Un enfant du CP1 qui va à l’école apprend à écrire les lettres de l’alphabet. C’est de cette manière qu’il faut apprendre à écrire le braille.
Comment se fait l’éducation au braille ?
L’éducation au braille, c’est ce que nous utilisons pour que les enfants en situation de handicap visuel puissent écrire et lire. Les activités pédagogiques sont les mêmes pour tous les élèves. Seulement, c’est le système d’écriture qui change. En classe, on fait la lecture, on fait l’écriture, on fait le calcul, etc.
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Tous ceux qui ont un handicap visuel peuvent-ils lire le braille ?
Oui. A condition qu’ils aient la volonté et qu’ils apprennent. Les tout-petits vont au CP1 et vont apprendre à lire le braille comme les autres élèves qui partent au CP1 pour apprendre à lire les écritures ordinaires. Une personne qui est adulte, qui a perdu la vue et qui veut lire le braille va devoir apprendre. On fait aussi l’alphabétisation des adultes en braille.
Une personne qui travaillait, qui a perdu la vue et qui veut s’informer, lire et continuer à travailler ou utiliser des outils informatiques peut apprendre le braille. Le braille s’apprend comme l’écriture au stylo.
» Le braille s’apprend comme l’écriture au stylo «
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’enseignement du braille ?
Le matériel coûte cher et n’est pas disponible. On l’achète soit à partir de la France, la Belgique, la Chine ou l’Inde. Ce qui fait que ce n’est pas accessible à tous les enfants. En plus, quand on lit ou écrit le braille, c’est lent. Ce n’est pas comme le stylo avec lequel on peut écrire rapidement. Même en classe quand nous avons des exercices à faire, c’est un peu plus lent avec les non-voyants que ceux qui écrivent avec le stylo.
La disponibilité du matériel est aussi une difficulté : les tablettes pour écrire, le papier pour écrire, etc.
Il y a des gens qui ont des difficultés d’apprentissage parce que le braille est quelque chose qui se lit avec les doigts. Il faut acquérir une certaine sensibilité au niveau des doigts pour pouvoir trouver des points. Pourtant, certaines personnes rencontrent beaucoup de difficultés quant à la sensibilité au niveau des doigts. C’est cela qui est le problème.
« Le braille est nécessaire même pour les personnes qui voient »
Vous est-il déjà arrivé de vouloir renoncer à cette activité ?
Non. Parce que j’ai été affectée ici pour prendre en charge les enfants non-voyants sur le plan pédagogique. Je me suis donnée et je suis là. C’est quelque chose qui m’a beaucoup formée.
Je me mets souvent dans la peau de quelqu’un qui ne voit pas pour lire le braille et je trouve que ce n’est pas facile. Je lis le braille avec les yeux par contre ceux qui ne voient pas doivent lire avec les doigts. J’ai beaucoup appris et je ne pense pas renoncer un jour.
En plus d’être enseignante du braille, vous êtes également directrice d’une école des jeunes aveugles. Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontée ?
C’est de pouvoir scolariser tous les enfants en situation de handicap visuel. Je souhaite que tous ceux qui peuvent le faire s’engagent. Un autre défi, c’est de pouvoir rendre accessible tous les documents scolaires. C’est l’UNABPAM qui se bat pour mettre ces livres à la disposition des élèves.
Il n’y a pas une imprimerie ou une bibliothèque qui fait du braille au Burkina.
Avez-vous un message à passer aux autorités ?
Je voudrais attirer l’attention des autorités, de tourner encore leur face vers ce groupe cible que sont les enfants en situation de handicap visuel, qu’on mette en place, un système de production des documents scolaire en braille pour tous les enfants. Cela va donner de la joie à ces enfants qui cherchent à découvrir avec les doigts.
La journée mondiale du braille a été célébrée il y a quelques jours et je sais que chaque année l’UNABPAM attire l’attention des gens. Le braille est nécessaire même pour les personnes qui voient. Donc, il faut le prendre à cœur.
Entretien réalisé par Marie Sorgho