En 1993, nous étions en classe de CM2. Et un samedi matin pendant les cours, il s’est passé quelque chose. Jusqu’à ce jour, je m’en rappelle comme si c’était hier.
Ce jour-là, ma voisine n’est pas sortie à la récréation. Nous nous sommes amusées sans elle. Nous avons sauté à la corde, joué à la marelle, mangé le pain. Le cri des enfants qui couraient partout ne finissait pas.
Quand la cloche a sonné, nous avons couru en classe. Ma voisine qui était toujours la première à sortir était toujours à la même place, les coudes sur la table, les mains sur le menton.
Elle était assise comme un robot, la sueur coulant de son front. Elle parlait. Mais, c’est à peine si je comprenais ce qu’elle disait.
Pendant que les uns et les autres rejoignaient leurs places, le maître se met à recopier une leçon au tableau. Chacun a aussitôt pris son cahier pour suivre le mouvement. Ma voisine, elle était toujours immobile . Je commençais à m’inquiéter. De temps en temps, elle touchait son bas-ventre et se tordait légèrement comme si elle avait la diarrhée. Qu’est-ce que tu as ? Tu es malade ? Lui demandai-je. Sans mot dire, elle continuait de fixer la table. Jusqu’à ce que finisse la leçon, rien n’avait changé dans sa façon de s’asseoir.
C’était un samedi et les cours finissaient aux environs de 11h. Au son de la cloche, toute la classe se précipitait dehors. Dès que j’ai soulevé mon sac, elle m’a retenue par la main droite et murmura :
– Attend tout le monde va partir et puis, tu vas m’accompagner.
J’ai attendu comme promis. Une fois seules, elle me dit : « Ma jupe est mouillée. Y a du sang partout. Là où je suis assise-là, tout est rouge ».
– Comment ça du sang ? Tu es blessée ? Lui demandai-je.
– Non répondit-elle ?
– Mais le sang est venu d’où ?
– C’est d’ici. Là ou le pipi sort, réplique-t-elle.
Je lui demande de se mettre debout. Ce que je vois me fait trembler. Je n’avais jamais vu ça auparavant.
Comment faire pour qu’elle rentre à la maison sans attirer les regards ? C’était maintenant le problème à résoudre. Après réflexion, j’ai lui ai prêtée mon pull-over pour qu’elle cache l’arrière de son habit. Ne pouvant pas laisser le table-banc ainsi, j’ai pris le seau d’eau du chiffon et le rincer. Il y avait un vieil habit qui trainait derrière la classe. Je l’ai utilisé pour éponger l’eau. Personne ne nous a vues. Le gardien était là mais, occupé à chercher les chiffres PMUB. Donc, ni vu, ni connu.
Arrivée chez elle, elle en parle à sa mère qui lui dit qu’elle vient de voir ses règles. Et c’est tout.
A mon tour, j’ai expliqué à ma mère ce que nous venions de vivre. Elle me fait savoir que c’était normal et que c’est ce qui nous différencie des hommes. Les règles viennent une fois par mois. Tu peux avoir des douleurs une semaine avant que ça n’arrive ou bien pendant les règles. Si ça fait mal, tu prends des calmants afin de ne pas rater les cours. En son temps, on utilisait des morceaux de pagnes pour se protéger. Deux semaines après, nous ne devons pas avoir des rapports sexuels avec des garçons. Sinon, un bébé va venir dans mon ventre. Je vais devenir enfant-maman avec un enfant. Je ne pourrai plus aller à l’école et mon père sera déçu de moi.
Quand j’ai entendu ça, j’ai dit :
– Oh, mon dieu ! Ça doit être grave.
C’est ainsi que j’ai été préparée à cette nouvelle vie de femme. Aussi étonnant que cela puisse paraître, j’étais impatiente de faire l’expérience. Un an après, j’ai vu mes règles et j’étais contente.