Fervente actrice de la société civile, Anaïs Drabo est l’une des figures féminines de la lutte pour un Burkina nouveau. Membre du mouvement « Sauvons le Burkina Faso », elle s’est engagée à revendiquer une meilleure gestion de la crise sécuritaire. Cet engagement a occasionné son emprisonnement et la perte de son emploi. Malgré l’intimidation, elle s’est forgée un mental de gagnante. Dans cette interview accordée à Queen Mafa, Anaïs Drabo évoque les motivations de sa lutte, les motifs de son emprisonnement et ses attentes vis-à-vis des nouvelles autorités.
Queen Mafa (QM) : Qu’est-ce qui vous a motivé à militer au sein du mouvement « Sauvons le Faso »?
Anaïs Drabo (AD): Avant la création de ce mouvement, je faisais des collectes en faveur des personnes déplacées internes. Les conditions de vie de celles-ci m’ont touché. Vu que le territoire était occupé et qu’il ne restait que Ouagadougou et Bobo Dioulasso, il fallait faire quelque chose. On nous a transmis un Burkina entier et en tant que mère, il faut retransmettre le Burkina entier à nos enfants. C’est tout ceci qui m’a motivé à lutter.
QM : Le samedi 22 janvier à travers une marche, vous avez exigé la démission du président du Faso. Deux jours après cette marche, un coup d’Etat a renversé le régime de Roch Kaboré. Comment avez-vous vécu cela ?
AD : J’étais avec mes frères au tribunal administratif pour récupérer le référé qui nous permettrait de sortir marcher légalement le 22 janvier et c’est là-bas que nous avons été arrêtés. Ce coup d’état, je l’ai vécu emprisonnée. J’ai été enfermée le 22 janvier et je ne savais pas ce qui se passait dehors. Je n’avais pas de contact ni avec ma famille ni avec mes camarades. C’est le 24 janvier que j’ai été libérée avec la bonne nouvelle du coup d’État qui a renversé le pouvoir de Roch Kaboré.
“C’est le procureur qui a dit de me maintenir en prison”
QM : Quels étaient les motifs de votre arrestation ?
AD : Il n’y avait pas de motifs parce que selon les policiers, je faisais partie d’une marche illégale. J’étais selon eux sur les lieux d’une marche illégale. Si j’étais au tribunal administratif en train de récupérer un référé et que j’ai été arrêtée au sein de ce tribunal donc je ne n’étais pas sur les lieux d’une marche puisqu’on n’avait pas commencé à marcher. A ma grande surprise, quand j’ai expliqué au commissaire pour lui dire que je n’étais pas au niveau d’une marche, on m’a dit que c’est le procureur qui a dit de me maintenir en prison. J’ai un bébé de 11 mois que j’allaite et comme j’ai passé 3 jours sans lui donner le sein, l’enfant a finalement été hospitalisé. Le 24 janvier j’ai demandé à appeler mon frère afin qu’il m’apporte à manger. Mon grand frère est donc venu avec la photo de mon enfant sous sérum et cela m’a découragé. Après la chute de l’ancien président, vu que j’étais emprisonnée illégalement, le commissaire m’a fait libérer.
QM : N’avez-vous pas eu peur des risques que vous prenez ?
AD : Avoir peur des risques c’est trop dire parce que moi j’avais plus peur des terroristes. Nous avons beaucoup alerté l’ex régime sur la situation sécuritaire en vain donc il fallait faire quelque chose. Je suis mère et c’est mon devoir de protéger ma progéniture. Ce devoir de protection m’amenait à tout surpasser. Là où est l’instinct de survie, la peur disparaît. C’était l’instinct de survie qui prédominait donc je n’avais plus peur.
“Si ceux qui sont au pouvoir actuellement venaient à échouer, c’est l’espoir de toute une jeunesse qui est brisé”
QM : La chute du régime de Roch Kaboré met-elle fin au combat de Anaïs ?
AD : Non (rires). Le jour de ma libération, j’ai continué directement à la place de la nation et là-bas, j’ai dit aux autres que c’est aujourd’hui que le combat commence. La chute de l’ancien président n’est qu’une infime étape du combat .Nous allons veiller à ce que ce qui s’est passé en 2014 ne se répète pas. En 2014, nous avons été trahis, le peuple est sorti, les gens sont morts et voilà que le Burkina souffre aujourd’hui. C’est maintenant que nous devons veiller à ce que ces militaires qui sont venus nous libérer ne commettent pas les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs. Si ceux qui sont au pouvoir actuellement venaient à échouer, c’est l’espoir de toute une jeunesse qui est brisé. Nous voulons une Afrique indépendante. Il faut que l’Afrique se libère du colonisateur. Nous voulons un changement radical. Les défis actuels du Burkina sont énormes. Nous avons besoin de sécurité, de paix, nous voulons un avenir meilleur que celui qu’on nous offrait avant. On n’a pas tout bravé pour que des gens viennent jouer avec nous.
QM : Etes-vous de ceux qui pensent que le Burkina doit faire alliance avec la Russie pour en finir avec le terrorisme ?
AD : Je ne suis ni pour la Russie, ni pour la France, ni pour aucun pays étranger. J’estime que ces pays ne vont pas aider le Burkina sans contrepartie. Moi je suis pour un Burkina indépendant. Nous avons les ressources pour y parvenir. C’est à cause des accords signés avec les colons depuis les indépendances que l’Afrique souffre aujourd’hui. Moi je ne suis pas pour le colon quel que soit le pays. L’Afrique à elle seule suffit ! Pourquoi ne pas s’unir pour avancer.
QM : Quelles sont vos attentes vis-à-vis du nouveau régime ?
AD : Nous voulons la paix, qu’ils reconquièrent le territoire du Burkina Faso et que les déplacés internes puissent retrouver leur terre. Pour y arriver, il faut user d’une bonne stratégie parce que le problème n’est pas que militaire. Le problème est plus profond. Il y a un malaise qui est là. Il y a un problème de discrimination qu’il faut corriger. Il faut reconnaître nos torts et se pardonner franchement. Le terrorisme ne peut pas finir que par les armes.
“Je tiens cette force de ma mère”
QM : Il y a très peu de femmes qui osent s’engager dans la lutte. D’où Tenez-vous votre courage ?
AD : Les femmes ne veulent pas s’engager dans la lutte et cela ne date pas d’aujourd’hui. C’est bien dommage. Depuis le bas âge on met dans la tête de la femme qu’elle est inférieur à l’homme. Je tiens cette force de ma mère. Il faut surpasser la peur et se dire qu’on peut. Je ne m’impose pas de limites. Il faut viser loin. J’en veux beaucoup aux femmes des forces de défenses et de sécurité parce que quand on sortait, je leur ai demandé de nous rejoindre car c’est leurs époux qui sont au front. Elles ont refusé de sortir et c’est maintenant qu’elles me contactent discrètement pour rejoindre le groupe.
QM : Parlez-nous de vos actions en faveur des personnes déplacées internes?
AD : Dans mon village natal, cela fait pratiquement 4 ans que les enfants ne vont plus à l’école à cause de la situation sécuritaire. Dans le Sourou le nombre des personnes déplacées internes est d’environ 50 000 alors qu’il n’y a pas de sites de déplacés internes dans cette localité. Il y a des sites de déplacés internes à Kaya et dans bien d’autres localités sauf au Sourou qui pourtant a un nombre élevé de déplacés. Nous sommes donc obligés de faire des collectes pour les envoyer chez nous . Mon combat aujourd’hui, c’est de lutter afin que le Sourou ait un site de déplacés internes. Les gens ne me comprennent pas, ils pensent que je ne fais qu’ envoyer les collectes chez moi alors que ce qu’ils ignorent c’est qu’il n’y a pas de site de déplacés internes au Sourou. Je demande donc à ceux qui sont au pouvoir d’installer un site de déplacés internes au Sourou.
QM : Quel message avez-vous à donner aux femmes et jeunes filles qui ont peur de s’engager ?
AD : Il faut croire en soi. J’étais comptable dans une structure de la place et j’ai été licenciée à cause des marches. Mais je n’ai pas baissé les bras, je me suis formée en coiffure car cela est ma passion. Il faut faire tout ce qu’on peut pour s’en sortir dans la vie. Il faut que les femmes et les jeunes filles croient en elles. La femme est forte et elle a un pouvoir. Mais la plupart du temps, les femmes se contentent de ce qu’elles ont. Elles aiment souvent la facilité et les bassesses et c’est bien dommage. Il faut avoir l’estime de soi. Il faut se battre pour obtenir ce qu’on veut.
QM : Votre dernier mot
AD : Je remercie le peuple burkinabè. C’est quand j’étais en prison que j’ai su que les gens me soutenaient. Nul n’est parfait donc si toutefois il m’arrivait de changer, recadrez-moi.
Mary S