Engagé pour une réforme en faveur d’un congé de maternité prolongé, le Collectif pour un congé de maternité (CCMP) a imprimé le premier pas à travers l’initiation d’une pétition lancée depuis environ trois (03) mois déjà. Cette pétition vise à recueillir beaucoup plus de signatures qui manifesteraient cette volonté du citoyen burkinabè à obtenir un congé de maternité et de paternité reformé. Dans cet entretien, Fabienne GOUBA, une des représentantes du collectif revient sur tout les avantages que cela pourrait engendrés.
QueenMafa: présentez-vous à nos lectrices et lecteurs.
Fabienne Gouba : Je me nomme Gouba Fabienne, je suis mariée et l’heureuse maman d’un petit garçon. Je suis née au Burkina, j’y ai grandi et j’ai également fait la majeure partie de mes études à l’Université de Ouagadougou. J’ai fait partie de la première promotion à suivre des cours au SIAO. Je suis économiste de formation, plus précisément j’ai un doctorat en sciences économiques avec une spécialisation en macroéconomie.
Je suis l’une des 3 représentantes du Collectif pour un Congé de Maternité Paisible (CCMP) qui compte 13 membres dont 8 résidant actuellement au Burkina Faso et les 5 autres résidant dans les pays suivants : Niger, Sénégal, France et Canada.
Pourquoi le collectif pour un Congé de maternité Paisible ?
Le Collectif a été mis en place le 19 mai 2021 et je tiens à préciser que nous sommes toutes des Burkinabè. Sur le plan professionnel, les femmes membres de ce Collectif occupent différents postes. Nous avons par exemple, des comptables, des juristes, des docteurs aussi bien en économie, en pharmacologie qu’en médecine, des fonctionnaires internationaux et des femmes travaillant à leur propre compte qui participent à la vie économique de leurs pays de résidence en employant plusieurs personnes.
L’initiation d’une pétition pour un congé de maternité paisible est principalement motivée par deux aspects :
Le premier aspect est que notre Collectif regroupe des mamans qui ont bénéficié à des moments donnés de congés de maternité dont les termes diffèrent selon le pays de résidence. Certaines ont bénéficié de congés de maternité plus longs que d’autres mais étant toutes des Burkinabè, nous nous sommes intéressées à ce qui se passe au Burkina Faso. Selon l’article 145 de la Loi N O 28-2008/AN portant Code du Travail au Burkina Faso, le congé de maternité est de 14 semaines avec une obligation pour la femme enceinte de cesser de travailler 4 semaines avant la date prévue d’accouchement, c’est ce qu’on appelle un retrait préventif. Nous pensons que si la grossesse se déroule bien, le retrait préventif de 4 semaines prive la future maman de précieuses semaines avec son bébé. Nous avons dans un premier temps cherché à comprendre pourquoi le congé de maternité au Burkina est de 14 semaines, pourquoi pas 17, 19 ou un tout autre nombre de semaines ? En analysant les conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), nous avons vu la convention 183 qui date de 2000 et qui stipule en gros que le congé de maternité devrait être au moins de 14 semaines dont 6 semaines obligatoires après l’accouchement. Le Burkina a ratifié la convention 183 en 2013 mais la loi qui est mentionnée dans la pétition date de 2008, nous aimerions donc que l’on fasse une sorte de mise à jour de la loi pour s’assurer qu’on ne prive pas la future mère de semaines de congé de maternité qu’elle aurait pu avoir avec son bébé.
Le second aspect concerne la recommandation de l’OMS au sujet de l’allaitement maternel exclusif durant les 6 premiers mois et en complément d’une alimentation solide jusqu’à 2 ans. Il faut noter que le Burkina prône aussi cet allaitement exclusif depuis quelques années et le ministre de la santé dans un post sur sa page Facebook datant du 1 er Août 2021 a lancé un véritable plaidoyer en faveur de cette pratique lors de la semaine de l’allaitement qui s’est tenue du 1er au 7 août 2021. Nous pensons qu’un congé de maternité de 6 mois contribuera énormément à la réussite d’un allaitement maternel exclusif pendant les 6 premiers mois. La reprise d’une activité professionnelle à plein temps empêche beaucoup de femmes à pratiquer cet allaitement malgré leur volonté ce qui suscite aussi beaucoup de frustrations.
Par ailleurs, le Gouvernement a pris un certain nombre d’engagements envers tous les Burkinabè et au nombre de ces engagements l’amélioration des conditions de vie familiale et professionnelle des burkinabè et la réforme que nous proposons s’inscrit dans cette optique. Le Burkina fait partie des rares pays d’Afrique à accorder un congé parental de 6 mois renouvelables une fois aux travailleurs pour qu’ils s’occupent de leurs enfants. Mais il s’agit d’un congé sans solde et il faut reconnaître que rares sont les couples qui peuvent se permettre de prendre un tel congé qui implique de rester 6 ou 12 mois sans percevoir de salaires.
Les femmes ont représenté environ 45 % de la force totale de travail au Burkina en 2019
Selon les données de la Banque Mondiale, les femmes ont représenté environ 45 % de la force totale de travail au Burkina en 2019, ce qui est proche de la parité avec les hommes. Nous avons donc des femmes burkinabè très actives. Une grande partie de ces femmes sont employées soit par l’État ou dans le privé et pour beaucoup, la maternité rime avec un congé de 14 semaines et une reprise de travail avec un nourrisson d’à peine quelques semaines. Dans des familles de plus en plus nucléaires, avec la rareté des aides et la difficulté d’avoir un système de garde adéquat, cette reprise est souvent vécue comme un calvaire pour beaucoup de jeunes mamans. Bien qu’on n’en parle pas souvent, il y a des cas de dépression ou d’autres qui ont démissionné ou perdu leur emploi à la suite d’une maternité. Ce que nous demandons avec la pétition c’est une meilleure conciliation entre la famille et le travail, que l’on n’ait pas à choisir entre l’un ou l’autre mais qu’on puisse créer les conditions pour permettre de concilier les deux. Il est clair qu’aucun pays ne peut se développer en ne comptant que sur la moitié de sa force de travail et permettre à la femme de pouvoir aller travailler sans avoir son esprit occupé par des considérations familiales, c’est s’assurer d’avoir des femmes qui participent au marché du travail tout étant productives.
Quelles sont concrètement, vos propositions pour un congé de maternité paisible?
La pétition porte sur les trois points d’amélioration suivants :
Tout d’abord, nous proposons que le retrait préventif soit motivé par un certificat médical. En partant du fait que le médecin traitant peut établir ce qu’il y a de mieux pour sa patiente, il pourrait sur la base d’un certificat médical, justifier ou non le retrait préventif. Étant donné que la date prévue pour l’accouchement est une approximation, il arrive que des femmes perdent beaucoup de semaines avant l’accouchement, les privant ainsi de précieux temps avec leur nouveau-né. Si le médecin traitant ne recommande pas de retrait préventif, nous aimerions que l’on permette à la femme enceinte de pouvoir bénéficier de toutes les semaines de son congé de maternité après son accouchement.
Ensuite, nous souhaiterions que l’on donne plus de flexibilité à la femme enceinte quant à la durée de son congé de maternité. Il est important de souligner ce second point pour éviter les confusions. Concrètement nous aimerions que la femme enceinte puisse choisir entre un congé de 14 semaines qui est le congé actuellement disponible ou un congé de 28 semaines qui correspondent à 6 mois pour permettre à celles qui le désirent de pouvoir passer ces 6 mois avec leur nouveau-né et pratiquer un allaitement maternel exclusif plus paisiblement. J’aimerais préciser que la réforme proposée n’oblige personne à prendre le congé de 28 semaines. Nous reconnaissons que les cas ne sont pas les mêmes. Certaines femmes, pour diverses raisons, peuvent ne pas avoir besoin du congé de 28 semaines. En ce cas, elles peuvent opter pour le congé de 14 semaines et si la réforme passe elles n’auront plus à observer le retrait obligatoire de 4 semaines si cela n’est pas motivé par un certificat médical. Pour ce qui est des prestations nous proposons de payer les 14 premières semaines à 100% comme cela se fait actuellement et les 14 semaines qui suivent seront rémunérées avec des prestations réduites de 25% maximum. En formulant ainsi la rémunération, cela nous donne plus de latitude sur la manière de comptabiliser concrètement le prolongement du congé jusqu’à 28 semaines.
Enfin, le dernier point porte sur le prolongement du congé de paternité de 4 semaines en plus des 3 jours qui sont actuellement offerts à la naissance. Nous proposons que les 3 premiers jours de congé de paternité soient rémunérés à 100% comme cela se fait actuellement et les 4 semaines supplémentaires le seront avec des prestations réduites de 25% maximum.
Nous avons comme objectif de recueillir au moins 15 000 signatures que nous ferons parvenir au Président de l’Assemblée nationale du Burkina Faso. En recueillant un grand nombre de signatures, nous pourrons montrer aux autorités que cette question de congés de maternité tient à cœur à de nombreux burkinabè et nécessite leur attention.
On sait qu’en général le congé de maternité est plus long dans les pays développés mais qu’en est-il de l’Afrique ?
La Gambie qui est un pays avec à peu près le même niveau de développement que le Burkina Faso lorsqu’on compare leur PIB par habitant, mais il se trouve qu’en Gambie le congé de maternité est de 6 mois d’après le plus récent rapport de l’OIT qui couvre la période allant de 2017 à 2019. Alors, on se demande si un pays comme la Gambie a un congé de 6 mois, alors pourquoi pas le Burkina Faso ? Si on compare les statistiques entre ces 2 pays, on a d’un côté le Burkina qui a une mortalité infantile plus élevée que la moyenne subsaharienne et on a la Gambie qui a de meilleures statistiques. C’est une preuve qu’avoir un congé plus long n’a pas nui au développement de la Gambie et cela lui a permis d’améliorer des statistiques socio-démographiques.
Avoir un congé de paternité plus long a des avantages, selon les documents de l’OIT. Cela permet d’impliquer très tôt le père dans l’éducation des enfants. Ce qui permet de maintenir cette implication sur le long terme. Il faut dire que l’arrivée d’un bébé est un évènement assez chargé qui peut épuiser émotionnellement, physiquement, financièrement …bref sur plusieurs plans. Pour un nouveau Papa, 3 jours ne suffisent pas en général, et beaucoup vous diront qu’ils ont dû s’absenter pendant les heures de travail pour s’occuper de formalités et autres courses après ces 3 jours.
Cela dit, au-delà de donner à ces nouveaux papas plus de temps pour s’occuper des formalités, des courses et préparatifs des événements sociaux liés à la naissance, nous y voyons une implication très tôt de ce dernier dans la prise en charge du bébé.
Avec un peu plus de temps, le père pourra s’impliquer plus facilement dans le quotidien du bébé et créer un lien beaucoup plus tôt avec son enfant.
Avez-vous eu une manifestation de soutien de certaines personnalités ou personnes morales comme les associations, les ONG ou des structures de l’action sociale ?
Nous avons approché certains artistes et aussi une ONG qui ont bien accueilli le projet de réforme du congé de maternité. L’avis général est qu’il s’agit d’une noble cause et une lutte de longue haleine. Je dois préciser que plusieurs personnes du monde culturel ont partagé la pétition sur leurs pages Facebook. Nous avons également fait une annonce sur le site web et la page Facebook de Radio Oméga en plus d’un reportage avec la chaîne de télé 3TV, le but étant d’accroître la visibilité de la pétition et recueillir plus de signatures. J’aimerais remercier toutes ces personnes et organisations qui soutiennent le projet en gardant l’espoir de pouvoir convaincre plus de personnes quant au bien-fondé de cette réforme qui vise à améliorer les conditions de la parentalité durant les premiers mois de naissance de l’enfant.
Croyez-vous à l’aboutissement du projet ?
Je crois que l’essentiel c’est de poser des gestes concrets, le code du travail est actuellement en révision et accroître la visibilité de la pétition est une manière pour nous d’initier et de participer au débat concernant le congé de maternité et nous pensons qu’avec plus de communication et de débats constructifs au sujet de cette noble cause nous pourrons ensemble mettre en place le changement auquel nous aspirons. Que nous soyons pour ou contre le projet de réforme il faut penser collectif et proposer des solutions c’est de cette manière que l’on cheminera vers un consensus et vers un véritable débat sur comment améliorer les conditions de maternité et paternité pour les générations futures.
Que pouvez-vous dire à ces personnes qui sont sceptiques quant à l’aboutissement du projet et à celles qui le trouvent incongru dans un pays comme le Burkina Faso où la femme est pénalisée par des clichés rétrogrades?
Comme pour tout changement, c’est tout à fait normal d’avoir du scepticisme.
Les débats suscités par cette pétition sont pourtant encourageants car même les sceptiques proposent de solutions alternatives ; ce qui veut dire qu’il y a une prise de conscience sur la réalité du problème. Maintenant, nous avons aussi des mentalités un peu cliché, rétrogrades et à ces personnes, nous voulons juste demander de regarder un peu plus autour d’eux. Notre société a évolué et continue d’évoluer. Nous n’avons pas le choix que de nous adapter, et la résistance au changement n’empêchera pas les évolutions autour de nous.
Il faut réfléchir à des alternatives pour permettre une meilleure conciliation de la vie en famille et celle professionnelle pour les femmes.
Pour ceux qui sont sceptiques à cause d’un possible effet négatif sur l’embauche des femmes, les données de la Banque Mondiale nous indiquent que cela n’a pas été le cas en Gambie, au contraire on a observé dans ce pays une hausse régulière de la participation des femmes au marché du travail. Je pense aussi que ce n’est pas juste de se dire que le Burkina doit attendre d’être plus riche pour penser à réformer le congé de maternité parce que c’est une réalité qui nous rattrapera tôt ou tard et mieux vaut s’y préparer dès maintenant. Il y a quelques années de cela on n’aurait jamais imaginé que le télétravail pourrait être une alternative à la présence physique au bureau, mais les entreprises ont dû s’adapter à cause du coronavirus. N’attendons pas d’être mis devant le fait accompli pour concevoir qu’il faut réfléchir à des alternatives pour permettre une meilleure conciliation de la vie en famille et celle professionnelle pour les femmes.
Pour ceux qui pensent que le congé de paternité de 4 semaines est trop long, j’aimerais leur dire que 4 semaines ça passe très vite. Nous sommes convaincues qu’il y a des pères, qui, si on leur donnait l’occasion, s’impliquerait davantage dans l’éducation des enfants et cela dès leur naissance, le point 3 leur offre cette opportunité. On ne s’attend pas à ce que tout soit parfait dès la première année de la mise en application de la réforme mais avec la sensibilisation et avec le temps nous sommes convaincues que le congé de paternité plus long sera bénéfique pour toute la famille.
Envisagé du coté professionnel, je pense que c’est une question d’organisation. Lorsque la femme prend son congé de maternité elle reçoit ses prestations de la CNSS ou de la CARFO, son employeur peut embaucher un intérimaire qu’il va sûrement rémunérer moins que la personne titulaire du poste. Avant de prendre son congé la femme peut former l’intérimaire ce qui va permettre à l’entreprise non seulement de continuer à fonctionner pendant l’absence de son employée mais on aura permis à, par exemple, un jeune diplômé en quête d’expérience d’étoffer un peu plus son CV. De cette manière, la femme pourra reprendre son travail plus sereinement, l’entreprise continuera ses activités en plus d’économiser sur une partie du salaire qu’il ne versera pas à la jeune maman durant son congé et c’est toute la société qui en sortira gagnante si on considère les bienfaits de l’allaitement prolongé sur les enfants.
J’aimerais que l’on se rappelle que la réforme propose le choix en 14 ou 28 semaines et nous pensons que chaque femme décidera pour le choix qui est le plus indiqué pour son cas personnel. Le message qu’en tant que Collectif nous avons pour tout le monde est que les réalités changent elles évoluent et il est important de se rappeler que le plus souvent on ne mène pas un combat de ce genre pour soi-même. On le mène en pensant aux générations à venir et à ce qu’on peut faire pour qu’elles n’aient pas à subir ce que nos arrières-parents, nos parents et nous même avons dû traverser. Après avoir lu le texte de la pétition nous vous demandons de vous poser la question suivante : est-ce qu’en considérant l’évolution des réalités et mentalités, mes enfants, mes petites cousines, sœurs et petits enfants pourront s’en sortir avec les conditions actuelles de maternité si absolument rien ne change ? Si la réponse est non, merci de signer en pensant aux générations futures.
Entretien réalisé (via mail) par Idrissa SIRI
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