Les femmes de la province rurale du Hunan utilisait une langue codée pour exprimer leurs pensées les plus intimes les unes aux autres en excluant tout interlocuteur masculin. Aujourd’hui, le Nüshu, cette langue autrefois « morte », fait son grand retour ! Si le nom de la langue est masculin (LE Nüshu), il n’en reste pas moins qu’elle n’est « parlée » que par des femmes.
La province du Hunan, au sud-est de la Chine, est un paysage montagneux composé de pics et de grès escarpés, de vallées fluviales profondément creusées par les siècles et de rizières couvertes de brouillard. Un décor sublime pour les cartes postales en somme mais un peu moins facile d’accès et d’utilisation pour les habitants.
Les montagnes couvrent plus de 80% de la superficie, ce qui a conduit de nombreux hameaux isolés à flanc de colline à se développer indépendamment les uns des autres. C’était ici, caché parmi les pentes rocheuses et les villages fluviaux ruraux que le Nüshu est né, le seul système d’écriture au monde créé et utilisé exclusivement par des femmes, comme l’explique la BBC.
Les femmes n’avaient pas le droit d’apprendre à lire et écrire
Signifiant « écriture féminine » en chinois, le Nüshu a pris de l’importance au XIXe siècle dans le comté de Jiangyong, dans le Hunan et plus précisément dans les ethnies Han, Yao et Miao. On ne peut pas dater précisément l’apparition de cette langue mais certains experts la situeraient dans la dynastie Song (960-1279) ou même dans la dynastie Shang, il y a plus de 3000 ans. Le but du Nüshu aurait été de donner une liberté d’expression aux femmes de cette époque qui n’en jouissaient pas beaucoup.
La langue aurait été transmise grâce à un texte précis que les mères paysannes enseignaient à leurs filles paysannes dans une société féodale chinoise à une époque où les femmes, dont les pieds étaient souvent liés, se voyaient refuser la possibilité d’apprendre à lire et écrire. Beaucoup de ces femmes étaient analphabètes et pour apprendre le Nüshu, elles s’exerçaient simplement à copier l’écriture telle qu’elles la voyaient sur le texte référence.
Les experts de la langue ne comprennent toujours pas pourquoi cette langue a été créée et est restée cantonnée à cette région reculée pendant des siècles.
Ce texte à partir duquel la langue était transmise n’a été porté à la connaissance du monde extérieur que dans les années 1980 après avoir été découvert par Cathy Silber, professeur de chinois au Skidmore College de New York. Bien qu’un homme, Zhou Shuoyi avait déjà commencé des recherches pour le Bureau culturel de Jiangyong en 1954 mais avait été arrêté par la révolution culturelle de Mao Zedong qui n’appréciait pas cette langue insolite.
Quelles sont les caractéristiques de cette langue ?
Le Nüshu est une écriture phonétique lue de droite à gauche qui représente un amalgame de quatre dialectes locaux parlés dans le Jiangyong rural. Chaque symbole représente une syllabe et a été écrit à l’aide de bâtons de bambou aiguisés et de ce qui s’approche d’une encre de fortune provenant en fait des restes brûlés laissés dans un wok.
Influencé par les caractères chinois, son style est plus allongé avec des traits incurvés et filiformes, il était parfois appelé « écriture de moustique » par les habitants en raison de son apparence (on imagine effectivement bien des moustiques écrasés sur le papier).
« C’est plus efficace que le chinois parce que c’est phonétique », explique Cathy Silber, professeure au Skidmore College pour Atlas Obscura. « Un symbole représentait une syllabe avec le même son. »
Le Nüshu a fourni aux femmes un moyen de faire face aux difficultés domestiques et sociales et a aidé à maintenir des liens avec des amies dans différents villages très éloignés et difficiles d’accès. Des messages de soutien et d’amitié étaient brodés en Nüshu sur des mouchoirs, des foulards, des éventails ou des ceintures de coton et échangés ensuite pour atteindre sa destinatrice.
Bien que le Nüshu n’était pas une langue parlée couramment, les femmes chantaient et déclamaient des poèmes avec des phrases et des expressions en Nüshu. Les femmes plus âgées composaient souvent des chansons autobiographiques pour raconter à leurs amies plus jeunes leurs mauvaises expériences dont elles pouvaient alors s’inspirer pour mener une vie meilleure ou pour apprendre à être de bonnes épouses.
Un défi lancé à la société patriarcale
Comme le Nüshu était utilisé par des femmes qui n’avaient pas eu le privilège d’apprendre à lire et écrire en chinois, certains experts pensent qu’il s’agissait d’un espèce de pied de nez à la société hautement patriarcale de l’époque.
Historiquement, il n’était pas socialement acceptable pour les Chinoises de parler ouvertement de leurs regrets personnels, des difficultés de la vie agricole ou de leurs sentiments de tristesse et de chagrin.
Le Nüshu a fourni un exutoire aux femmes et a contribué à créer un lien d’amitié et de soutien féminin qui était d’une grande importance dans une société dominée par les hommes. Les femmes qui ont créé ce lien fort étaient connues sous le nom de « sœurs assermentées » et, tout en étant forcées de rester subordonnées aux hommes de leur famille, les sœurs assermentées trouvaient du réconfort l’une dans l’autre grâce à cette langue unique en son genre.
La renaissance de la langue Nüshu
Aujourd’hui, 16 ans après le décès de la dernière « locutrice » native connue de cet ancien code, Yang Huanyi, cette langue écrite connaît une sorte de renaissance. La pièce maîtresse de ce regain d’intérêt se trouve dans le petit village de Puwei.
Selon Xin Hu, un habitant de Puwei interviewé par la BBC, le Nüshu était autrefois largement utilisé dans les quatre cantons et les 18 villages les plus proches de Puwei. En 2006, le texte d’apprentissage a été classé patrimoine culturel immatériel national par le Conseil d’État de Chine et, un an plus tard, un musée a été construit sur l’île de Puwei, où Xin a commencé à travailler en tant qu’interprète ou « héritière » de la langue avec 7 autres femmes pour apprendre à lire, écrire, chanter et broder en Nüshu.
« Certains héritiers ont appris de leurs grands-mères depuis leur plus jeune âge, comme notre plus vieille héritière Nüshu He Yanxin, qui a 80 ans », explique Xin.
Le Nüshu aujourd’hui dans la société chinoise
Aujourd’hui, les artefacts originaux de Nüshu sont rares car beaucoup ont été détruits pendant la Révolution. Mais ces dernières années on a vu une augmentation de sa représentation dans des films, des symphonies et dans la littérature. De plus, les jeunes femmes de Jiangyong apprennent maintenant la langue au musée. Certaines héritières, comme Xin, ont même commencé à donner des cours en ligne via l’application chinoise populaire WeChat.
Liming Zhao, une chercheuse de premier plan dans l’étude de Nüshu, a donné un cours sur le sujet à l’Université Tsinghua de Pékin. Selon elle, le rôle de Nüshu a évolué : « Depuis la mort de Yang Huanyi, [le Nüshu] est entré dans l’ère de la calligraphie post-féminine. Il n’est pas hérité et utilisé de manière naturelle mais il est délibérément étudié et utilisé pour le business et le tourisme. Bien sûr, c’est aussi une sorte de préservation et d’héritage. »
Aujourd’hui, Liming estime que le Nüshu reste un moyen stimulant d’apprécier la beauté et la force des femmes :
»le « [Nüshu] a terminé sa mission historique – un outil culturel pour les femmes ouvrières de la classe inférieure qui n’avaient pas le droit à l’éducation. Maintenant, il ne laisse aux générations futures que la belle calligraphie, la sagesse et l’esprit courageux. »