A 23 ans, elle est candidate sur la liste nationale du scrutin législatif 2020 au Burkina Faso pour le compte du mouvement SENS. Elle, c’est Sibila Samiratou Ouédraogo, étudiante en sciences juridiques et politiques option droit public. Dans une interview accordée à Queen Mafa, Samiratou parle de son engagement, de ses aspirations et de la nécessité d’impliquer la jeunesse dans la sphère politique.
23 ans et déjà candidate aux législatives. Qu’est-ce qui vous a motivé à vous engager si jeune ?
Cette motivation vient d’une prise de conscience de la nécessité même de m’intéresser à la politique afin de me faire entendre. On a beau militer au sein des associations, poser des actions citoyennes, vouloir du bien pour le Burkina Faso ; tant qu’on a pas accès à la sphère décisionnelle là où les décisions se prennent, on ne pourra rien faire. La politique pour moi se présente comme le seul moyen par lequel je peux faire valoir mes idées et me faire entendre. Je me réservais parce que si vous remarquez, au Burkina Faso, tous les partis politiques font la promotion de la jeunesse ; tous disent qu’il faut donner l’opportunité à la jeunesse de s’exprimer. Mais, aucun ne crée un cadre, des conditions concrètes pour que cette jeunesse puisse se faire représenter et s’exprimer. Voilà pourquoi c’est le mouvement SENS qui est à l’origine de mon engagement politique parce que c’est le seul au Burkina Faso qui offre un cadre concret pour que la jeunesse se fasse entendre. Je pense que ma position sur la liste nationale, de surcroit en première position témoigne de la véracité de mes dires.
« Ils ont réussi à faire croire au peuple que quand on parle de politique dans notre pays, ce sont eux ou rien »
Dans un commentaire sur l’une de vos publications, vous dites : « Si le système politique actuel de notre pays ne nous plaît pas, alors changeons-le au lieu de le subir ». Qu’est-ce qui vous dérange dans le système actuel ? Comment comptez-vous apportez un changement ?
Ce que je déplore dans le système actuel, c’est le mythe que nos devanciers ont réussi à créer autour de cette notion de politique. Quand on dit politique au Burkina Faso ici, les noms qui apparaissaient il y a dix ans, vingt ans, sont encore les noms présents dans l’arène politique. Ils ont réussi à faire croire au peuple que quand on parle de politique dans notre pays, ce sont eux ou rien. Du coup, il n’y a pas de renouvellement de la classe politique. Ils sont arrivés à nous désintéresser totalement de ce qui normalement devait nous regarder. Je trouve qu’il faut qu’on redéfinisse la politique, qu’on fasse comprendre au peuple que chacun a le droit et même le devoir de faire la politique. Nous avons le devoir de nous intéresser à la gestion de notre cité. Si moi je me lève, je rassemble les jeunes de mon quartier pour qu’on débouche ensemble les caniveaux, ça c’est de la politique parce que ça intéresse la gestion de mon cadre de vie. Mais eux, ils ont donné une autre connotation à la politique. La solution que moi je propose, c’est qu’on redéfinisse la politique, que l’on fasse comprendre au peuple et surtout à la jeunesse que la politique n’est pas une profession.
Nous allons travailler à ce que la mairie reconnaisse la légalité du mariage traditionnel
Si Samiratou Ouédraogo est élue, comment compte-elle mettre en œuvre la devise de son parti « servir et non se servir » ? Quels seront les domaines prioritaires sur lesquels vous voulez agir ?
Les domaines dans lesquels nous interviendrons sont multiples mais nous avons décidé de battre notre campagne autour de quatre points essentiels. Il s’agit du code des personnes et de la famille(CPF), de la loi sur les marchés publics, de la loi sur le foncier et de la loi sur les partis politiques.
Au niveau du CPF, notre intervention va toucher essentiellement la question du mariage et de la dévolution du nom. Aujourd’hui lorsque vous faites votre mariage traditionnel communément appelé PPS, tant que vous n’êtes pas allé signer à la mairie, vous avez le statut de célibataire. Nous, nous partons du principe que nous avons une identité culturelle et traditionnelle à défendre. C’est une identité que nous ne devons pas laisser tomber au profit de ce qui est venu de l’extérieur. Nous voulons donc travailler à ce que la mairie reconnaisse une légalité à ce mariage traditionnel qui est propre à nous et à nos valeurs. A partir du moment où cette loi sera adoptée, lorsque vous faites votre mariage traditionnel, vous n’aurez plus besoin d’aller encore signer à la mairie. Cela permettrait même de reconnaître le statut de marié à nos parents et grands-parents qui vivent ensemble, qui ont peut-être même 20 ou 15 enfants et qu’on vient encore traiter de célibataire. Nous trouvons que cela n’honore pas nos réalités culturelles.
Concernant la question de la dévolution du nom, c’est toujours dans la même lancée de valorisation de notre culture. Dans certaines ethnies, par exemple, lorsque le papa s’appelle « Sourabié », la fille doit s’appeler « Souratié ». Par contre à l’état civil, cela ne marche pas. Si on met « Souratié » sur l’acte de naissance de l’enfant, on pourrait dire après que ce n’est pas la fille de « Sourabié ». Pour remédier à cela, nous voulons qu’on mette tout simplement « Souratié » fille de « Sourabié ». Cela permettra de respecter la forme administrative donc de rester dans la légalité tout en prenant en compte nos réalités culturelles et traditionnelles.
« On doit passer à une sanction pénale afin d’éviter la construction des routes biodégradables »
Pour les marchés publics, nous proposons qu’au de-là des sanctions purement et simplement administratives, on passe à une sanction pénale de la mauvaise exécution de ces marchés. Cela nous permettra d’éviter la construction des routes « biodégradables ». Au Burkina Faso, c’est la pluie et le vent qui sont devenus les contrôleurs par excellence de l’exécution d’un marché public. Nous voulons que lorsqu’un marché public est mal exécuté, que l’on puisse situer les responsabilités afin que les responsables soient pénalement sanctionnés. Nous voulons également promouvoir les entreprises jeunes et de jeunes en les aidant à avoir accès à une partie des marchés publics. Lorsque vous venez de créer votre entreprise par exemple et qu’il y a un marché public qui est soumissionné ; on vous demande cinq ans d’expérience ou un chiffre d’affaires de 25 millions. Pour un jeune qui vient de créer son entreprise, cela est tout simplement impossible et ce sont des conditions qui constituent une barrière à l’épanouissement de cette entreprise. Nous nous proposons que dans l’octroi des marchés publics, on détermine un quota de marché public qui sera offert à ces entreprises jeunes et de jeunes.
Pour la loi sur le foncier, l’idée est ici d’assurer un logement décent à chacun. Pour cela, nous demandons à ce que les sociétés immobilières s’intéressent exclusivement à la promotion immobilière et non à la promotion foncière. Ces dernières achètent les terres et les revendent la plupart du temps à un prix exorbitant. Un bon nombre de la population stagne au niveau des non-lotis et une terre de 300 m2 sur laquelle habitent 10 personnes. Cela va à l’encontre même de la loi et ne leur assure pas le droit à un logement décent donc nous voulons que les sociétés immobilières vendent des habitats, des maisons et non des terres.
Concernant la loi sur les partis politiques, nous voulons encadrer le financement de ces partis. Nous remarquons que dans notre pays, les partis politiques poussent comme des arachides. Cela n’est pas encadré. L’État débourse de l’argent pour financer ces partis politiques qui ne font même pas leur travail. Les partis politiques ont essentiellement un rôle de conscientisation et de sensibilisation. Nous voulons qu’une partie des recettes consacrées au fonctionnement des partis puisse servir à former politiquement les jeunes et les femmes afin de faciliter leurs insertions dans la société.
Vous parlez beaucoup de la nécessité d’impliquer les jeunes dans la politique. A votre avis, la jeunesse ne devrait-elle pas prendre le temps d’apprendre aux côtés de ses aînés avant de se lancer ?
C’est en forgeant que l’on devient forgeron. Le fait d’apprendre n’est pas une question d’âge. Si la jeunesse s’assoit et dit qu’il faut d’abord apprendre avant de s’engager, elle ne va jamais le faire. Quand je prône l’engagement de la jeunesse, cela ne veut pas dire qu’il faut se lancer comme ça en faisant fi des aînés. On a besoin de ces aînés. Ce que nous demandons ici, c’est un complément. Nous voulons que les personnes qui ont l’expérience aident la jeunesse à s’engager dans l’arène politique. Les aînés représentent un potentiel que nous devons exploiter.
« L’émancipation doit commencer à l’intérieur de la femme et non des faveurs qu’on doit lui accorder »
Sur le plan politique, les femmes bien que majoritaires, sont très peu représentées dans les sphères de décisions. Quelle sera votre stratégie pour apporter du changement à ce niveau ?
Pour que la femme s’intéresse et s’engage dans la politique, il y a un préalable. Il faut d’abord mettre dans la tête de la femme que l’émancipation est un processus qui doit commencer à l’intérieur d’elle-même et non des faveurs qu’on doit lui accorder. Si on leur fait comprendre cela, elles prendront petit à petit conscience de ce qu’elles peuvent apporter dans l’arène politique et elles vont s’engager. Pour que les discriminations positives puissent profiter à la femme, il faut un travail à la base. Il faut que la femme comprenne d’abord que l’émancipation ne lui viendra pas de l’extérieur. Cela doit être un travail personnel. Ça nécessite un travail de sensibilisation pour que la femme prenne conscience de son importance dans la gestion de la chose étatique. C’est avec cette prise de conscience que les discriminations positives pourront participer à l’émancipation de la femme.
Quel est le Burkina dont Samiratou Ouédraogo rêve ?
Je rêve d’un Burkina Faso dans lequel toutes les couches sociales sont représentées dans l’arène politique ; là où la jeunesse s’assume et a conscience qu’elle est responsable de son destin ; un Burkina Faso dans lequel, après les élections, chacun laisse tomber son bord politique et ensemble on construit notre pays. Voilà le Burkina dont Samiratou rêve.
Entretien réalisé par Faridah DICKO