En Sierra Leone confinée, l’image du ministre de l’Education, David Moinina Sengeh, menant une visioconférence avec son bébé sur le dos fait sensation. Une image rare dans ce pays, où le jeune ministre veut donner l’exemple aux autres papas en télétravail.
Ce pourrait être une photo de vacances, ou même l’une des ces images « mignonnes » qui circulent sur les réseaux sociaux pour nous faire sourire en ces temps moroses.
Mais lorsque l’on se rend compte que ce monsieur qui porte sa fille de 10 mois sur le dos pendant une vidéoconférence n’est autre que le ministre de l’Education de Sierra Leone, les réactions fusent et ravivent le débat sur la répartition des tâches au sein du couple parental.
Le ministre était dans sa cuisine, en train de s’occuper de la petite Peynina, quand sa conférence a commencé sur Zoom. Quand il a vu qu’elle commençait à s’endormir, il l’a calée sur son dos, maintenue par un porte-bébé en tissu comme le font les femmes africaines, et a gardé la petite contre lui pendant sa visioconférence.
C’est David Moinina Sengeh lui-même qui a publié l’image sur son compte Twitter : « En télétravail ? Que faisiez-vous pendant votre dernière conf Zoom ? Moi, j’étais en train de donner à manger à ma fille de 10 mois. Puis je l’ai gardée sur le dos jusqu’à la fin de la conf. Les présentations l’ont bercée. Je vous invite, vous les leaders, à partager aussi votre mode de télétravail. »
Et si le ministre avait été une femme ?
Si l’image d’un jeune père portant son enfant sur le dos est rare, en Afrique, personne n’aurait réagi s’il s’était agi d’une femme – ou à peine, si celle-ci avait été une ministre en visioconférence. Le jeune papa et ministre de 33 ans le souligne : « Combien de femmes font ça tous les jours ? C’est tellement évident de voir une femme porter son enfant sur le dos que personne n’en parle. S’il y avait eu ma femme, à ma place, sur la photo, jamais le tweet ne serait devenu viral, » déclare-t-il à Newsday, sur la BBC, depuis Freetown, capitale de la Sierra Leone. En confinement partiel pour éviter la propagation du coronavirus, le pays reste relativement épargné par la maladie avec 124 cas confirmés et 7 décès.
Un exemple suivi
David Moinina Sengeh, qui a fait de brillantes études en Norvège, puis à la prestigieuse université de Harvard, aux Etats-Unis, espère que cette photo « forcera les hommes à se remettre en question, qu’elle leur montre qu’ils peuvent aussi s’occuper de leur enfant… J’ai des amis qui n’ont jamais changé une couche, alors qu’ils ont déjà plusieurs enfants, et ils ne comprennent même pas comment comment c’est possible ! » s’étonne-t-il selon la BBC.
En postant cette photo de sa fille sur son dos, le ministre de l’Education veut aussi encourager les dirigeant.es politiques – surtout les hommes – à partager leur vie de famille. En favorisant la compréhension et l’empathie avec tous les autres parents, cela aide, dit-il, à prendre des mesures davantage en adéquation avec les réalités.
Suivant son exemple, d’autres hommes ont répondu présents et posté des photos d’eux s’occupant de leurs enfants en télétravail, en Afrique et ailleurs :
Les militantes des droits des femmes n’ont pas manqué de saluer l’implication de David Moinina Sengeh dans sa vie de famille : « Il est un exemple pour tous les hommes en Sierra Leone et en Afrique, déclare la miliante des droits humains Nemata Majeks-Walker. Quelqu’un qui ne pense pas que seule une femme doit s’occuper des enfants. »
Sierra Leone : un sombre bilan pour les filles
« En Sierra Leone, la société, à tous ses niveaux, est encore marquée par les inégalités de genre et le déni des droits des femmes », selon le fonds des Nations unies pour la population. En 2015, ce pays, l’un des plus pauvres au monde, avait officiellement interdit aux filles enceintes d’aller à l’école à la suite de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016, alors que quelque 14 000 filles étaient tombées enceintes. Des milliers d’orphelines, dont les parents étaient décédés d’Ebola, s’étaient tournées vers la prostitution pour survivre, selon Amnesty International. Pour d’autres, la grossesse était le résultat de viols. Des responsables de l’époque avaient justifié l’interdiction par le fait que les jeunes filles enceintes ne seraient pas en mesure d’apprendre et par l’influence néfaste qu’elles auraient sur les autres élèves.
Un ministre résolument pour l’éducation des filles
David Moinina Sengeh a oeuvré pour que cette interdiction soit levée. Elle est effective depuis fin mars 2020, même si les filles vont devoir attendre la réouverture des établissements scolaires pour retrouver le chemin de l’école. « Cela ne change pas la culture de violence exercée contre les filles, mais c’est un grand pas dans la bonne direction », déclarait alors Chernor Bah, le chef d’une organisation locale de défense des droits des femmes. Cependant, l’effet de l’interdiction se fera sentir pendant « encore des années ».
Le ministre de l’Education a également annoncé des mesures d' »inclusion radicale » pour lutter contre la déscolarisation des filles au lycée. « Un premier pas sur la voie d’une Sierra Leone résolument inclusive où tous les enfants (…) pourront vivre et apprendre en toute sécurité et en toute dignité », selon un communiqué du ministère.
« Pères »
Dans la rue, en Afrique, on ne voit jamais les papas avec leurs enfants sur le dos : c’est cette réalité qui avait inspiré la photographe espagnole Marta Moreiras, autrice de « Pères », une série de photos de Sénégalais portant leur bébé sur le dos : « J’avais des tonnes de photos de mamans avec leur bébé sur le dos, et puis je me suis demandé pourquoi je n’en avais aucune des papas, expliquait-elle à la BBC en 2019. Au fil de ses recherches, elle s’est rendu compte que les hommes portaient eux aussi leur bébé sur le dos, mais uniquement à la maison – jamais à l’extérieur.
Elle n’a pas manqué de féliciter David Moinina Sengeh d’avoir diffusé sa photo avec sa fille et lui a même proposé de faire leur portrait en photo.