Passionné de cinéma, le journaliste et écrivain Yacouba Traoré a été, cette année, le président du comité d’organisation du cinquantenaire du festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO). Il revient dans cette interview sur la problématique de financement des films burkinabè, et les origines réelles de la biennale du cinéma africain.
S : Comment résorber, selon vous, la problématique de financement des films burkinabè?
Y.T : Si nous ne voulons pas perdre des traces de notre passé, il faut soutenir le cinéma. A l’époque du président Lamizana, sur chaque ticket d’entrée au cinéma, l’Etat prélevait 15% qui allaient sur un compte au niveau du trésor public. Le compte 30115. Et c’est ce compte qui a permis de financer les premiers films burkinabè tels « le sang des parias », ou « sur le chemin de la réconciliation ». Une chose est de financer les films, une autre est d’amener le public à se rendre dans les salles de cinéma. Le Burkina Faso a fait du cinéma une identité et on reconnait le Burkina à l’extérieur par des gens comme Idrissa Ouédraogo, Gaston Kabore, Pierre Yaméogo. La fermeture des salles est un constat. Comment amener les gens des milieux populaires à s’approprier les salles parce que la solution se trouve là-bas? Comment amener un père de famille qui a un home cinéma dans son salon, à sortir avec sa famille pour aller au ciné Rialé, Oubri ou Kadiogo? S’il y a une bibliothèque au niveau des différents établissements secondaires, pourquoi ne pas encourager la création de cinéclub au niveau de ces établissements? C’est à ces niveaux qu’on suscite l’envie de s’intéresser au cinéma.
S: Quelles sont les difficultés récurrentes rencontrées lors de l’organisation de la biennale du cinéma africain?
Y.T : Les budgets s’installent assez tard. Nous avons a eu beaucoup de problème au niveau des transports. Le FESPACO demande d’importants moyens pour accueillir l’Afrique tous les deux ans. L’Etat a fait un effort en portant au double le budget alloué mais honnêtement, cela reste insuffisant. Ma fierté à ce cinquantenaire est d’avoir réussi à avoir le premier discours d’ouverture, le discours de la première édition de 1963. Ma contribution personnelle au cinquantenaire est l’hommage à une doyenne de notre 7e art, la présidente de la commission d’organisation de la première Edition du FESPACO en 1963, Alimata Salambéré.
S : L’Etalon d’or 2019 est revenu à « La miséricorde de la jungle » du rwandais, Joël Karekezi. Le film, selon vous, a-t-il fait l’unanimité?
Y.T : C’est un excellent film qui a mérité amplement le premier prix. En réalité, le film n’est pas tendre avec le gouvernement du Rwanda. Le public burkinabè avait certes les yeux rivés sur nos films, mais on ne postule à la récompense suprême du FESPACO avec un film tourné en six mois, ou un an. Le marocain qui a remporté l’Etalon de Yennega en 2017 veut faire un long métrage sur l’histoire de SANKARA. Et depuis, il est à la phase de documentation. Ce sont ces leçons que nous devons tirer. Le cinéma est de plus en plus professionnel, les jurys sont de plus en plus rigoureux.
Sidwaya (S) : La paternité du FESPACO est attribuée à diverses personnalités, dont le président Thomas Sankara. Qu’en est-il exactement?
Yacouba TRAORE (Y.T) : Le FESPACO est parti de la nationalisation des arts du cinéma au début des années 1970 par le président Sangoulé Lamizana avec le soutien de son tout puissant ministre des finances, Tiémoko Marc Garango. L’augmentation des tickets d’entrée des salles de cinéma par les distributeurs français SECMA et COMACICO a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. François Bassolé, directeur de l’information à l’époque est alors délégué pour chercher des films. Ce dernier dira plus tard qu’ «on pensait que les films étaient des bobines exposés dans les rayons des magazines. Nous ne savions pas qu’un film avait des droits de diffusion ». Bien que ce soit Thomas Sankara qui ait porté le FESPACO vers la diaspora, c’est le président Lamizana qui est à l’origine du FESPACO.