Le complexe de la peau claire s’est emparé de nombreux Africains. Aussi bien des hommes que des femmes ne résistent pas à la tentation de la dépigmentation sur le continent. Et le Burkina Faso n’échappe évidemment pas à cette réalité, puisque le pays abrite des adeptes de ce phénomène en vogue. Aujourd’hui, la dépigmentation a pris plus de l’ampleur et touche maintenant les nourrissons. Toute chose qui, selon les acteurs de la protection de l’enfant, pourrait être considérée comme une violation de leur intégrité physique.
La dépigmentation a la peau dure au Burkina Faso. Connu comme une pratique féminine, le phénomène a par la suite touché la gent masculine et aujourd’hui elle a atteint les nourrissons. En effet, persuadés que la peau claire est un gage de beauté, des Burkinabè, surtout des femmes, font la course aux produits éclaircissants. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), entre 25 à 77% de femmes sont concernées en Afrique. Au Burkina Faso, et précisément à Bobo-Dioulasso, il devient de plus en plus rare de rencontrer, dans les artères de la ville, des femmes au teint naturel.
La dépigmentation chez les femmes est souvent motivée par le regard des hommes qui affichent de manière ostentatoire leur préférence pour les peaux claires. La dépigmentation masculine, quant à elle, prend de nos jours une ampleur inquiétante. Certains hommes semblent ne pas pouvoir résister au désir de changer la couleur de leur peau, pour paraître « beaux ». Si la dépigmentation passe quasiment pour « naturelle » chez les femmes, sa pratique par les hommes suscite souvent beaucoup d’interrogations ; certains y voient un signe d’homosexualité.
Aujourd’hui, le phénomène touche de plus en plus les nourrissons. Si avant, la tendance était pour les femmes enceintes de consommer certains fruits et légumes ou encore des produits laitiers pour que le futur enfant ait la peau claire, aujourd’hui, le constat est tout autre. Des femmes pratiquent la dépigmentation sur leurs nourrissons en dépit des conséquences que cela pourrait avoir. Une infirmière que nous avons rencontrée, qui a préféré garder l’anonymat (n’ayant pas eu l’autorisation de son supérieur hiérarchique qui était absent), affirme avoir rencontré des cas d’enfants qui ont subi cette pratique. « La dépigmentation chez les enfants existe au Burkina Faso et précisément à Bobo-Dioulasso. Nous avons rencontré beaucoup de cas au sein de notre centre de santé. A chaque fois, nous essayons de discuter avec ces jeunes filles afin de les ramener à la raison. Certaines nous écoutent et d’autres par contre résistent », a-t-elle confirmé.
Selon elle, « l’enfant qui a subi cette pratique a la peau qui devient bizarre. Sa peau devient encore plus claire. Chez certains, on constate des taches sur la peau et même que cela favorise le développement des poils sur la peau de l’enfant ». Toute chose qui, selon elle, n’est pas sans conséquences. « Si déjà, avec cette pratique, les personnes âgées sont exposées, imaginez les conséquences sur l’enfant. Cela l’expose à beaucoup de maladies notamment l’insuffisance rénale, le cancer de la peau évidemment », a-t-elle laissé entendre.
« La peau claire met beaucoup plus en exergue la beauté de l’enfant »
La seule explication donnée par les dames qui dépigmentent leurs enfants, se limite au simple désir d’avoir un « bébé à la peau claire », car elles estiment que « les enfants qui ont la peau claire sont plus beaux, plus mignons et ils attirent le regard de tout le monde ».
Madame Fofana que nous avons rencontrée au secteur 15 de la ville de Bobo-Dioulasso, pratique la dépigmentation sur sa fillette de deux ans et six mois. Selon elle, c’est à travers un forum de filles sur WhatsApp qu’elle a découvert cette pratique. « Dans ce groupe, vous avez facilement le nom de certains produits que ces femmes utilisent sur la peau de leurs enfants. D’autres même vendent le produit dans le groupe. Elles font le mélange elles-mêmes, et elles nous les proposent dans le groupe », explique-t-elle.
A l’en croire, il existerait également des savons que certaines mères utilisent pour la toilette de leurs nourrissons, dans le seul but d’avoir un enfant à la peau claire. Selon elle, les produits cosmétiques (crème, lait, pommade, savon) à base d’hydroquinone sont les plus prisés par les femmes pour leurs enfants. Ce sont les produits les moins chers donc beaucoup plus utilisés. « Pour moi, la peau claire met beaucoup plus en exergue la beauté de l’enfant. Lorsque votre enfant est clair et que vous sortez, tout le monde veut le porter et il est plus admiré. C’est une fierté pour la femme », s’est-elle justifiée.
Pour Agnès Traoré, une dame que nous avons rencontrée dans une boutique de cosmétique, « cette pratique est un crime contre l’enfant ». Elle affirme avoir rencontré « malheureusement des femmes qui font recours à des produits très dangereux, juste pour voir leur enfant devenir clair, tout en ignorant les conséquences sur la vie de l’enfant ». Avant d’ajouter : « Le pire des cas, certaines femmes enceintes utiliseraient des injectables ».
En effet, les corticoïdes sont le plus souvent utilisés par des mères. De l’avis des spécialistes, les corticoïdes sont des produits utilisés en médecine pour traiter des cas graves d’allergie, de choc cardio-respiratoire. Mais ayant découvert que ces produits dépigmentent, les gens en font un usage abusif, dangereux pour leur santé. Les corticoïdes sont très souvent utilisés sous forme d’injectables et les femmes qui en font usage trouvent que ce produit est plus rapide et plus efficace pour la dépigmentation. « Donc étant enceintes, elles font recours à ce produit qui, non seulement va éclaircir la peau de la mère, mais le plus souvent joue sur celle du bébé ». Il y a des échanges étroits entre la mère et l’enfant pendant la grossesse. Donc tout ce que la mère prend comme produit passe également à travers le placenta et atteint l’enfant. « Vous pensez que l’enfant est clair naturellement ; pourtant, à la base, sa mère a fait une injection », a dit madame Traoré. Toutefois, elle tient à préciser que ce ne sont pas tous les enfants clairs qui sont victimes de cette pratique. « Il y a des enfants qui ont naturellement la peau claire », a-t-elle nuancé.
« Il va falloir recadrer nos sœurs »
Le propriétaire de la boutique, Hamadou Ouédraogo, nous renseigne qu’il n’existe pas de produits éclaircissants spécifiques pour les enfants. Selon lui, la plupart de ces produits sont interdits aux enfants de moins de 12 ans. « Les femmes qui s’adonnent à cette pratique sur leurs enfants se dépigmentent aussi à la base ; et ce sont les mêmes produits qu’elles utilisent sur les nourrissons », a-t-il confié.
Sur cinq pères de famille que nous avons interrogés sur l’existence de cette pratique, un seul reconnaît avoir entendu parler de la dépigmentation chez les enfants. Les quatre autres étaient tous étonnés de savoir que le phénomène touche maintenant les nourrissons. Ce qui laisse entendre que la plupart des femmes dépigmentent la peau de leurs enfants, à l’insu du père. « En toute sincérité, c’est la première fois que j’entends parler de la dépigmentation chez les nourrissons. Si cela existe réellement, il va falloir recadrer nos sœurs franchement », a déploré Hassane Diallo.
Ce que ces femmes ignorent, ou feignent d’ignorer, ce sont les conséquences désastreuses sur la santé de l’enfant. Selon certaines sources, la dépigmentation a pris tellement d’ampleur qu’elle est devenue le troisième problème de santé publique au Burkina après le paludisme et les maladies respiratoires.
Des conséquences désastreuses sur les nourrissons
Docteur Aristide Yaméogo est dermatologue, vénérologue, spécialiste de la prise en charge du VIH/Sida et médecin allergologue. Par ailleurs, il est le promoteur de la clinique Saint-Léopold de Bobo-Dioulasso. Selon lui, la couleur de la peau d’un individu dépend de sa race. « C’est par excellence le signe distinctif d’appartenance à une race. En principe, le nouveau-né est de couleur rosée et toute différence de couleur peut être signe de pathologie, c’est-à-dire d’une maladie. Si le bébé nait noir, c’est parce qu’il peut être victime d’une cyanose. S’il nait jaune, cela peut être dû à une maladie de foie, ça peut être le signe d’une toxicité. Dans le meilleur des cas, cette coloration est temporaire, sinon elle peut conduire à la mort du bébé par intoxication », a-t-il expliqué. Avant d’ajouter : « Si la couleur de la peau est influencée par l’alimentation, nous parlons de toxicité. C’est qu’il s’agit de quelque chose qui a été pris en excès et cette coloration est toujours transitoire ».

Dr Aristide Yaméogo, dermatologue à la Clinique St Léopold
Il a indiqué que les substances les plus incriminées dans la dépigmentation, c’est d’abord les corticoïdes, ensuite viennent les hydroquinones et les dérivés mercuriels. A l’en croire, les conséquences de la dépigmentation sont multiples et sont en fonction du produit utilisé. Chez les enfants, les conséquences sont pires que chez les adultes à cause de l’immaturité de certains de leurs organes et appareils. « Toute dépigmentation a des conséquences sur l’enfant, qu’il soit dans le ventre de la mère ou pendant l’allaitement.
La prise de certaines substances pendant la grossesse peut entraîner à la naissance des dysfonctionnements de certains organes tels que le foie, les reins et certains appareils tel que le système nerveux. L’enfant peut naitre avec un faible poids ou peut être victime d’une fausse couche. Les conséquences dépendent également du produit utilisé. Avec les corticoïdes, on peut avoir les complications cutanées qui peuvent aller des dermatoses infectieuses (avec l’apparition de certaines maladies comme les folliculites, les acnés, etc.), les vergetures, l’atrophie cutanée (la peau qui devient mince) et l’hyperpilosité.
Ces produits qui sont directement envoyés dans le sang peuvent entraîner l’hypertension artérielle, le diabète, les cancers de la peau, les insuffisances rénales, la cécité. Avec les hydroquinones, on a les brûlures de la peau, une hyperpigmentation autour des yeux, des dermatites, le développement de certains cancers aussi. Avec les dérivés mercuriels, on peut avoir des dermatites de contact irritatif, sur le plan général on peut avoir des neuropathies (les pathologies liées au système nerveux), voire certains cancers », a expliqué Dr Yaméogo.
Il a tenu à préciser que ces conséquences ne se voient pas dès les premiers moments de l’utilisation. C’est un long processus qui s’installe progressivement et détruit l’enfant à petit feu. Toutefois, il a insisté sur le fait qu’exposer son bébé pendant la grossesse aux produits éclaircissants, c’est l’exposer à de graves dysfonctionnements organiques et hormonaux pouvant conduire à des séquelles indélébiles sur son développement ou, pire, à une mort prématurée du bébé ou une fausse couche.
En effet, l’usage des corticoïdes est très rependu en médecine surtout en réanimation et en dermatologie. Ce sont les effets secondaires de ces produits qui sont détournés à des fins de dépigmentation. Selon Dr Yaméogo, ils sont à l’origine de certains troubles endocriniens qui expliquent cette exagération des poils ou hyperpilosité chez ces nourrissons. « Ce qui est grave, c’est que ces substances peuvent être cachées des utilisateurs dans les cosmétiques ne respectant pas les normes en vigueur », a-t-il noté.
Un arrêt à temps peut éviter certaines conséquences lointaines et minimiser les séquelles déjà installées sur la peau. C’est pourquoi, le docteur préconise un arrêt immédiat de l’usage de ces produits et de consulter un médecin afin de traiter leurs effets. « Malheureusement, certains effets sont souvent définitifs sur la peau où aucun recours n’est envisageable dans ces cas », déplore Dr Aristide Yaméogo.
La lutte contre la dépigmentation paraît corsée, étant donné que c’est un combat de mentalités. Pour le médecin, cette lutte passe d’abord par l’apprentissage de l’amour de soi-même et de sa race. « Ceux qui pratiquent la dépigmentation sont en quête d’identité, au mépris de leur santé. La lutte doit passer aussi par la connaissance des produits dépigmentant et de leurs effets. Donc il faut qu’il y ait cette activité d’enseignement, de sensibilisation. Cette pratique est de plus en plus observée dans notre contrée, les produits dépigmentant inondent notre marché à des coûts accessibles au grand nombre », a-t-il indiqué. Autrement dit, il faut interdire l’accès des produits servant la dépigmentation sur le territoire national. Toutefois, il estime que préserver sa peau, c’est préserver son identité.
Une violation de l’intégrité physique de l’enfant
Des acteurs de la protection de l’enfant estiment que cette pratique est une violation de l’intégrité physique des nourrissons. En effet, le principe d’intégrité corporelle recouvre le droit de chaque être humain (et donc des enfants) à l’autonomie et à l’auto-détermination par rapport à leur propre corps. En d’autres termes, seule la personne concernée a le droit de prendre des décisions concernant son propre corps, et personne d’autre.
Selon eux, cette pratique réalisée sur le corps de l’enfant sans son consentement et sans motif médical constitue une violation de l’intégrité corporelle. A les croire, les enfants sont affectés de manière disproportionnée par de telles violations de leur intégrité physique, « ces pratiques étant généralement effectuées sur des enfants très jeunes, lorsqu’ils sont incapables de s’exprimer, de se défendre et de donner (ou de refuser de donner) leur consentement ».
Par ailleurs, ils affirment que de telles pratiques peuvent avoir un impact sérieux sur le plein exercice des droits de l’enfant. Elles peuvent entraîner des conséquences sur leur santé, voire causer leur mort, sans parler des traumatismes psychologiques. En dehors des conséquences physiques, ces pratiques violent également leurs droits civils, en particulier leur droit à exprimer leur opinion et à ce que celle-ci soit prise en considération, qu’il s’agisse de donner ou de refuser de donner leur consentement.
Aucune loi ne condamne cette pratique au Burkina Faso
Même si des acteurs de la protection de l’enfant pourraient considérer cette pratique comme étant une violation de l’intégrité de celui-ci, aucune disposition dans le nouveau code pénal ne prévoit une sanction en la matière. Du moins, c’est ce que nous a affirmé le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Bobo-Dioulasso, Mahama Sory.

Mahama Sory, Procureur du Faso près le Tribunal de Grande Instance de Bobo
Selon lui, le phénomène peut être analysé de deux manières. « Dans le nouveau code pénal, aussi bien que dans les lois portant protection de l’enfant, de la jeune fille, il n’y a aucune disposition qui sanctionne le fait pour une femme qui décide volontairement de se dépigmenter en s’injectant des corticoïdes pour que, à la naissance, l’enfant soit clair. En ce qui concerne ce premier cas, je peux être formel qu’il n’y a aucune disposition légale qui l’interdit. Sur le plan moral et sanitaire, ce n’est pas bon. Pour le second cas, c’est-à-dire, les enfants qui sont nés et que les mamans utilisant des produits pour éclaircir leur peau, vous ne trouverez pas également une disposition spécifique dans le code pénal qui sanctionne cela.
Dans les deux cas, il n’existe aucune disposition pénale dans notre arsenal qui les réprime. Que ça soit la loi numéro 061-2015/CNT portant prévention, répression et réparation des violences à l’égard des femmes et des jeunes filles et prise en charge des victimes, ou que ce soit la loi 015-2014/AN portant protection de l’enfant en conflit avec la loi ou en danger ou même que ça soit le nouveau code pénal, aucune disposition ne sanctionne cette pratique. Toutefois, on peut être tenté de prendre un raccourci et sanctionner la femme qui frotte des produits éclaircissants sur le corps de son enfant, en considérant cette pratique comme étant un mauvais traitement à l’enfant, sur le fondement de l’article 531-16 du code pénal », a-t-il expliqué.
En effet, si cette pratique est considérée comme étant un mauvais traitement de l’enfant, dans ce cas, l’article 531-16 du code pénal pourrait s’appliquer. Cet article dispose que « est puni d’une peine d’emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de deux cent cinquante mille (250 000) à un million (1 000 000) de francs CFA, que la déchéance de l’autorité parentale soit ou non prononcée à leur égard, le père ou la mère qui compromet gravement par de mauvais traitements, par des exemples pernicieux d’ivrognerie ou d’inconduite notoire, par un défaut de soins ou par un manque de direction nécessaire, soit la santé, soit la sécurité, soit la moralité d’un ou plusieurs de leurs enfants. Pour les infractions prévues à la présente section, la juridiction saisie peut prononcer l’interdiction d’exercice des droits civiques et de famille pour une durée qui ne peut excéder cinq ans ». Et là, il va falloir définir, selon le procureur, ce que sait qu’un mauvais traitement. « Est-ce qu’un parent qui veut rendre son enfant beau peut être considéré comme étant un mauvais traitement ? », s’est-il interrogé.
Pour lui, le mauvais traitement n’ayant pas été défini sur cette base, la sanction de ce comportement devient aussi difficile. « Même là aussi, cette disposition est insuffisante pour faire sanctionner l’auteur de cette pratique, parce que la loi pénale est d’interprétation stricte. Et il serait fâcheux de sanctionner quelqu’un sur de simples spéculations. C’est un comportement qui est socialement mauvais, mais pénalement, ce n’est pas réprimé », a-t-il laissé entendre. Toutefois, il a souligné qu’« étant donné que cette pratique est un nouveau comportement social, certainement, dans les années à venir, le législateur va réglementer pour qu’on puisse sanctionner ces actes. A l’étape actuelle, c’est la sanction morale qui existe pour le moment ».
Dans d’autres circonstances, l’enfant pourrait intenter une action en justice pour réparation si toutefois, il n’épouse pas ce comportement de ses géniteurs. Pour cela, il faut que le comportement des parents, au moment où ils le posaient, constitue une infraction à la loi pénale. « Si le comportement n’est pas réprimé par la loi, sur quelle base on va poursuivre ses parents ? Si le comportement était sanctionné par la loi, évidemment l’enfant pouvait poursuivre ses parents », a expliqué M. Sory. Par ailleurs, il a déploré cette pratique qui, selon lui, non seulement a des conséquences graves sur la santé de l’enfant, mais aussi n’honore pas la race africaine. Il est temps donc que les Burkinabè, voire les Africains, s’approprient leurs identités culturelles et acceptent leur peau noire.