Se soulager à l’air libre est une pratique répandue dans de nombreuses localités du Burkina Faso. Maisons inachevées ou inhabités, parcelles, dépotoirs, autant d’endroits qui servent de toilettes à certains habitants des quartiers périphériques de Ouagadougou. A kamboinsin, où nous avons fait un tour , la défécation en plein air semble normale, surtout pour les enfants.
Cédric, un petit garçon de 7 ans, a coutume de faire ses besoins dans la nature au vu de tout le monde. Pour se nettoyer lorsqu’il a fini, pas d’eau, ni de papier hygiénique. Il utilise un bout de bois trouvé sur place. Le cas de Cédric est loin d’être isolé. Pratiquement tous les enfants de ce quartier sont partisans de la défécation à l’air libre. Sans gêne aucune, on les voit partir en groupe pour faire leurs besoins. Ce scénario se répète plusieurs fois dans la journée sans que cela n’offusque personne.
Nous décidons d’accoster Cédric et ses camarades qui rentrent de l’école pour leur poser des questions. Pensant que nous venons les menacer, ils commencent par nier. Nous leur expliquons qu’il s’agit d’une causerie sur les dangers liés à la défécation à l’air libre. Ils acceptent alors de nous parler. Chacun d’entre eux a sa raison de se soulager dehors. Selon Cédric, seules les grandes personnes utilisent les toilettes dans sa famille. Sa camarade Sandrine qui a 6 ans, nous explique que le trou du W.C est large donc elle a peur de tomber dedans.
« Le maître nous a dit qu’on ne doit pas déféquer dans la nature parce que ça peut causer des maladies. Mais pour le moment, je suis petite pour utiliser les toilettes », confesse Blandine, âgée de 9 ans.
A quelques mètres de là, trois femmes sous un arbre, devisent gaiement. Nous nous approchons pour leur parler. Au départ cordiales, elles commencent à baisser la tête et tentent de se disperser dès qu’on leur parle de la défécation à l’air libre. Par leurs rires gênés et leurs comportements, elles nous font comprendre qu’il s’agit là, d’un sujet tabou et honteux dont elles ne souhaitent pas parler. Après plusieurs tentatives vaines pour leur arracher quelques mots, nous continuons notre visite du quartier.
Heureusement, nous rencontrons Nathalie Kaboré, mère de deux petites filles de six (06) et trois (03) ans. Contrairement aux autres femmes, elle accepte de nous parler. Au domicile de Nathalie, il y a des latrines mais ses deux enfants se soulagent dehors. « Presque tous les enfants du quartier, font leurs besoins dehors donc même si tu interdis à ton enfant, d’autres le feront. », déplore-t-elle. Consciente des dangers liés à la défécation dans la nature, elle a acheté des pots pour ses enfants qui ont catégoriquement refusé de les utiliser. Pour dame Kaboré, le manque de moyens financiers pour construire des latrines et l’espace vide sont les raisons de la défécation dans la nature.
Au Burkina Faso, 9,3 millions de personnes se soulagent dans la nature
Les chiffres de la défécation à l’air libre font froid dans le dos. Selon les données officielles, sur environ 18 millions d’habitants au Burkina Faso, 9,3 millions de personnes dont 4,8 millions de femmes se soulagent dans la nature. Plus de 1400 tonnes d’excréments humains sont déversés dans la nature sans précaution et sans traitement. Cela a pour conséquence la pollution de l’eau, des sols, des cultures agricoles et les maladies.
« Pour preuve, 70% des lits d’hôpitaux sont occupés par des malades victimes de manque d’assainissement« , souligne Juste Hermann Nansi, le directeur pays d’IRC Burkina. Créé en 1968, IRC une organisation non gouvernementale néerlandaise qui œuvre dans le domaine de l’eau potable et l’assainissement.
« Avec l’accroissement démographique, si on ne change pas les choses, chaque jour, c’est 813 nouvelles personnes qui viennent augmenter le nombre de gens qui défèquent à l’air libre », s’est-il alarmé. De ce fait, a expliqué M.Nansi, plusieurs milliers d’enfants, meurent chaque année de maladies liées à l’hygiène et à l’assainissement. « Le pire, c’est que cette situation ne semble choquer personne.« , ajoute-t-il.
Quand la mairie peine à s’imposer
Une visite à la mairie de l’arrondissement 9 de Ouagadougou s’imposait afin de comprendre ce qui est fait pour remédier au phénomène de la défécation à l’air libre. Nous sommes reçus par Henri Zongo animateur en assainissement et Célestin Sawadogo, agent du service d’hygiène.
De 2013 à 2016, après une campagne de sensibilisation dans les différents secteurs de l’arrondissement 9 de Ouagadougou, la mairie a procédé à la réalisation et à la réhabilitation de latrines.
Henri Zongo nous fait savoir que la mairie a construit 123 latrines et en a réhabilité 297 à Kamboinsin. « Au total, au niveau de notre arrondissement, les réalisations s’élèvent à 365 latrines et 1059 réhabilitations. », poursuit-il.
Malgré ces actions de la mairie de l’arrondissement 9 pour mettre fin à la défécation dans la nature, la pratique continue.
« Beaucoup de gens préfèrent déféquer dans la nature. Ils vont même aller là où on a construit des toilettes et déféquer à côté », affirme Célestin Sawadogo.
Pourtant, au Burkina Faso, il y a des textes qui interdisent les pratiques contraires à l’hygiène. Il s’agit notamment du code de l’hygiène et du droit à l’assainissement inscrits dans la constitution burkinabè. Selon le code de l’hygiène notamment l’article 30: Tout propriétaire d’habitation doit pourvoir son habitation de système d’évacuation et de traitement des eaux usées ménagères et des excréta conformément à la réglementation en vigueur en matière d’autorisation de construire.
En principe, le non-respect de cet article, entraîne une sanction allant d’une amende de cinq mille (5 000) F CFA à trente mille (30 000) F CFA. Cette peine est portée au double en cas de récidive.
Au niveau du service d’hygiène et d’assainissement de la mairie, nous avons remarqué la présence du code de l’hygiène. Les agents connaissent son contenu et les sanctions prévues en cas de non-respect des règles d’hygiène. Pourquoi ces sanctions ne sont donc pas appliquées ? La réponse est stupéfiante : « Sanctionner quelqu’un parce qu’il a déféquer dans la nature, je ne sais pas comment il va réagir. Sinon on leur explique que c’est interdit », nous dit Célestin Sawadogo. Beaucoup de burkinabè ignorent l’existence de ces lois dont l’application passe par la mise en place des outils réglementaires au niveau des communes.
La principale raison de cette ignorance reste la non-application des sanctions prévues en cas de non-respect des règles d’hygiènes. Mais comme on le dit, ce qui n’est pas interdit, est autorisé.
Pour Henri Zongo le principal moyen pour mettre fin de la défécation à l’air libre, c’est de continuer à sensibiliser les populations sur les dangers de cette pratique.
Sensibiliser les populations et doter les quartiers en latrines utilisables peuvent certes diminuer la défécation à l’air libre. Mais le constat est là : le fléau continue de conduire de nombreuses personnes à l’hôpital et même à la mort.
Vers la fin de ce fléau?
Il y a cependant des raisons de se réjouir. Les citadins qui, dans leur majorité ont adopter les bonnes pratiques d’hygiène et d’assainissement commencent à abandonner ce comportement. Malheureusement, certains continuent à le faire lorsqu’ils vont au village sous prétexte « de retrouver les joies de leur enfance. ».
En 2017, IRC Burkina a participé à la campagne Fasotoilettes dont le slogan était: « Cette année, j’offre des toilettes à mes parents! ».Cette campagne a conduit à la construction de nombreuses latrines traditionnelles, diminuant également le taux de défécation à l’air libre.
Le code de l’hygiène ainsi que l’inscription du droit à l’assainissement dans la constitution burkinabè traduisent la volonté de l’État de mettre fin à cette pratique. Cependant, appliquer les sanctions prévues aurait de meilleurs résultats sur le terrain car dans cette situation, la parole ne vaut pas l’acte.
Faridah DICKO
Image mise en avant: crédit photo scroll report