Analyste programmeur de formation, membres de plusieurs réseaux et coalitions d’organisation de la société civile et présidente du Conseil des femmes au Burkina, Martine Yabré est une activiste qui n’a pas sa langue dans la poche. Éprise de justice, elle se bat tous les jours pour l’émergence d’une société plus soucieuse des droits humains, notamment ceux de la femme. Nous l’avons rencontré quelques jours avant la décision du Conseil constitutionnel concernant le recours des femmes contre certaines listes de candidatures aux législatives 2015 non conforment aux dispositions de l’article 154 du code électoral. A ce propos, Martine Yabré dénonce une complicité masculine pour reléguer les femmes à l’arrière-plan.
Queen Mafa : Comment expliquez-vous votre engagement dans la société civile ?
Martine Yabré (M Y) : De mon point de vue, l’engagement est d’abord divin pour tout être humain, parce que les écritures saintes disent clairement qu’il faut faire l’œuvre de Dieu. Faire l’œuvre de Dieu, à mon sens, ce n’est pas forcement aller à l’église, à la mosquée ou dans un temple quelconque tous les jours. C’est surtout défendre des valeurs comme la justice et l’égalité entre les individus. J’ai soif de voir une société où les hommes et les femmes accèdent aux mêmes privilèges et de façon très équitable, dans les mêmes conditions. Voici autant de motif pour un individu de pouvoir s’engager dans la vie active. Je pense que c’est un choix de vie. Sinon, il n y a personne qui naît engagé. En ce qui me concerne, mon engagement est venu tout naturellement. Je me bats pour une société débarrassée de toute forme d’injustice, depuis la cellule familiale jusqu’au plus haut sommet de l’Etat.
Le manque de volonté politique ne fait que s’afficher davantage. C’est une continuité dans la mauvaise fois car au cours de la transition, il n’y a pas eu d’ouverture franche de nos autorités envers les femmes et les jeunes.
Queen Mafa : Actuellement, vous êtes une des voix féminines qui comptent au Burkina Faso. Comment analysez-vous la situation politique actuelle, notamment le déroulement de la transition ?
M.Y : Vous me jetez des fleurs. Je ne savais pas que j’avais une voix qui comptait autant. C’est juste un cheveu dans la soupe, car une chose est d’être responsable et une autre est de pouvoir assurer complètement cette responsabilité. Quant au déroulement de la transition, je peux dire qu’elle n’a pas été reconnaissante envers la gente féminine. Et ce, dans tout son processus et à toutes ses étapes. Avec la transition, nous avions pensé que c’était une opportunité de trancher définitivement avec les vieilles pratiques que vous connaissez, notamment la sous-représentation des femmes dans les instances de décisions et leur faible implication dans la vie politique et publique. Pour nous, c’était l’occasion de jeter les bases d’une société plus équitable, plus inclusive des composantes femmes et jeunes.
Malheureusement, cela n’a pas été le cas. D’abord, cela a mal commencé avec seulement quatre femmes contre vingt-deux hommes dans le gouvernement de la transition et 12 femmes contre 78 hommes au Conseil National de la Transition. Le manque de volonté politique ne fait que s’afficher davantage. C’est une continuité dans la mauvaise fois car au cours de la transition, il n’y a pas eu d’ouverture franche de nos autorités envers les femmes et les jeunes. Mises en marge, ces composantes assistent à la non-prise en compte de leurs intérêts à tous les niveaux. La dernière situation que nous vivons est la violation flagrante de l’alinéa 5 de l’article 154 du code électoral qui dispose que : « Sous peine de nullité, les listes de candidatures doivent comporter au moins un candidat de l’un ou l’autre sexe ». Or, nous avons épinglé bon nombres de listes qui ne respectent pas cette disposition. Il y a des listes qui ne comportent aucune femme.
Le conseil des femmes du Burkina introduit un recours au Conseil constitutionnel pour demander l’annulation de listes qui ne respectaient pas cette disposition de l’article 154. Malheureusement, nous avons suivi aujourd’hui (l’interview a été réalisée le 16 août 2015) un communiqué qui ressemble plutôt à une préparation des esprits concernant la non-recevabilité par le Conseil constitutionnel de notre recours. Si tel est le cas, les femmes ne se laisseront pas faire, même si elles ne prendront pas les armes comme les hommes. Car, comme le Premier ministre aime à le dire, « plus rien ne sera comme avant ».
Queen Mafa : L’alinéa 5 de l’article 154 du code électoral est-il, selon vous, une avancée ou un recul ?
M.Y : En 2012, il y avait la loi sur le quota de 2009 qui exigeait au moins 30% de femmes ou d’homme sur les listes électorales. Malheureusement, la sanction n’était pas dissuasive. Cela a amené les gens à violer cette disposition sans pour autant être en réalité sanctionnés avec la complicité de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et du Ministère de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité (MATDS). En effet, selon les articles 5 et 6 de la loi 010-2009/ AN portant fixation de quotas, chaque liste ne respectant pas la prise en compte du minimum de 30% de l’un et l’autre sexe devait être frappée par la perte de 50% du financement octroyée à ladite liste, au titre du financement de la campagne électorale. Mais le calcul a été fait sous un faux. C’est-à-dire qu’au lieu de calculer la sanction financière à partir de chaque liste électorale défaillante, le MATDS a pris sur lui l’initiative de violer la loi en appliquant plutôt le respect du quota sur la globalité des listes de candidatures présentées par chacun des partis et regroupement de partis politiques.
Par contre, le code électoral actuel ne prend pas en compte l’intégralité de l’esprit de la loi sur le quota de 2009 qui prône 30 % minimum de l’un et de l’autre sexe. Il dit que toute liste doit comporter une candidature de l’un ou l’autre sexe. Cela veut dire que si j’ai une liste ou il y a quatre siège qui font huit candidats, je peux mettre sept hommes et puis une femme et vice-versa. C’est donc un recule parce que de 30% minimum on passe à 1% qui ne vaut même pas 10%. Mais en même temps, c’est un recul qui nous fait avancée dans un autre sens à cause de son aspect plus contraignant en matière de sanction. En effet, au lieu de sanction pécuniaire, c’est l’annulation de la liste qui est encourue.
Dans cette logique, la CENI ne devrait pas en réalités, valider les listes qui ne comportent qu’un seul type de sexe. Mais à notre grand étonnement, il y a eu un problème d’interprétation par la Commission électorale nationale indépendante qui a estimé que le dernier alinéa du même article concernait plutôt les élections sénatoriales. Mais comment cela est-il possible dans un même article ?
C’est là le problème de fond. Et nous pensons que le Conseil constitutionnel est là pour dire clairement ce qu’il pense de l’interprétation de l’article 154 qui a été faite par la CENI. Si le Conseil constitutionnel est vraiment républicain, il devrait pouvoir trancher parce que cela rentre également dans sa compétence. Notre recours ne vise pas un individu ou un parti politique. C’est un recours qui vise à dénoncer la mauvaise interprétation de la loi par la commission ad’hoc de la Commission Électorale Nationale Indépendante. C’est un cri de femme contre l’impunité et la violation flagrante des droits de personnes marginalisées en politique. Personnellement, je ne suis candidate nulle part. Mais c’est révoltant de voir comment le sexe féminin est traité et maltraité. C’est de l’ingratitude tout simplement.
Queen Mafa : il ressort souvent que les partis peines à trouver des femmes compétentes. Qu’en pensez-vous ?
M.Y : A mon avis, ce n’est pas vrai. C’est juste un problème de positionnement et d’intérêt pour certains dirigeants politiques. Quand vous prenez des listes ou il y a 16 membres, on va mettre les femmes à partir de la douzième, ou quinzième place. Je pense qu’on utilise beaucoup plus les femmes justes, pour faire des compléments de liste en dehors de quelque rares femmes qui ont pu être vraiment des têtes de listes.
Un parti politique responsable, ne peut pas manquer de femmes de nos jours pour participer aux compétitions électorales. Il ne faut pas attendre la veille des élections pour démarcher les femmes et les jeunes. J’irai plus loin pour dire qu’un parti politique ou un regroupement de partis politique qui ose proclamer qu’il ne trouve pas de femmes, est lui-même un danger permanent pour notre démocratie !
La question de compétence des femmes régulièrement soulevée par certains leaders politiques est un faux débat. De mon point de vue, lorsqu’il s’agit des femmes, on leur demande beaucoup plus d’effort. Mais les hommes n’ont pas besoin d’efforts ,tout simplement, parce qu’ils ont de l’argent ou qu’ils ont plus de relations. On met toujours en avant l’analphabétisme et l’ignorance des femmes alors qu’il y a eu des hommes à l’Assemblée nationale qui n’ont jamais pu formuler de questions, tout au long de leur mandat. Je pense plutôt que l’ignorant c’est celui qui refuse de respecter les droits des autres et refuse de comprendre l’intérêt d’associer toutes les couches pour la réalisation effective des objectifs de développement de notre société. Pourquoi cette indulgence vis-à-vis de certains hommes inaptes et parfois incompétents, pour assumer des responsabilités de tout genre à tout niveau de décisions ?
Aujourd’hui, quand on prend un homme et une femme qui assument les mêmes responsabilités, vous allez voir que la femme doit fournir deux fois plus d’efforts pour atteindre les résultats de l’homme parce que quand elle se lève le matin à la maison, il y a des responsabilités sociales et conjugales qu’elle doit satisfaire avant de se rendre au service.
Queen Mafa : Quelles sont les actions que vous avez menées afin de rallier les députés de la transition à votre cause ?
M.Y : Je ne sais pas pourquoi, mais tout ce qui vas au CNT allant dans le sens la promotion de la femme n’aboutit pas. Sinon, quand nous avons travaillé sur l’avant-projet de loi portant fixation de quotas et modalité de positionnement des candidats aux élections législative et municipale, c’est-à-dire la nouvelle version de la loi, nous avons proposé le positionnement alterné (femme/homme) et le rejet des listes en lieu et place de la sanction financière. Nous avons travaillé de concert avec le Ministère en charge de la promotion de la femme et du genre et d’autres organisations de la société, ainsi que les cellules genres des autres institutions dans un comité technique qui a été mis en place par ledit ministère en collaboration avec le Ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité. Malheureusement, bien que le projet ai été adopté en conseil des ministres, il n’a pas été bien reçu au niveau du CNT. Après que les deux ministres aient été reçus et auditionnés par le CNT, le Conseil des Femmes du Burkina, en collaboration avec des organisations comme la coalition burkinabè sur les droits de la femme et bien autres, a demandé une audience au président du CNT pour la situation.
Malheureusement, en lieu et place d’une audience, nous avons reçu une lettre du président SY CHERIF nous informant que la loi sur les quotas n’est plus à l’ordre du jour des travaux du Conseil national de la transition. Cette lettre dit clairement ceci « J’accuse réception de votre lettre référencée. Votre demande s’inscrit dans le cadre d’une plaidoirie conjointe en vue d’une nouvelle loi portant fixation de quotas et modalité de positionnement des candidats aux élections législatives et municipales au Burkina Faso. Par la présente je vous informe que le projet de loi relatif introduit par le CNT a été retiré par le gouvernement. Par conséquent ce dossier n’est pas inscrit à l’ordre du jour des travaux législatifs. Vous félicitant et vous exprimant mes encouragements pour les multiples actions que vous menez au quotidien en faveur d’une condition féminine meilleure je vous prie de recevoir mesdames l’expression de ma haute considération». On est donc tentée de se poser la question de savoir à quand la réintroduction d’un nouveau projet par le Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation ?
Le changement de personnes ou d’individus à la tête de nos institutions à lui seul ne suffit pas pour changer le cours de l’histoire en faveur du développement des masses.
Queen Mafa : Voulez-vous dire que la transition est une déception pour les femmes ?
M.Y : Oui une grosse déception pour les femmes. J’avoue que le silence de nos autorités en dit long. C’est une grande forme de complicité entre homme qui ne dit pas son nom. Je retiens que le changement de personnes ou d’individus à la tête de nos institutions à lui seul ne suffit pas pour changer le cours de l’histoire en faveur du développement des masses. Il faut en plus, un changement dans la pensée et dans les systèmes de gouvernance et de stratégies
Queen Mafa : Pour terminer, pensez-vous qu’un journal d’actualité féminine comme Queen Mafa puisse apporter un plus dans le combat pour l’égalité des sexes au Burkina ?
M.Y : Un journal comme le vôtre va forcément avoir un impact positif dans la mesure où sa ligne éditoriale est de donner une visibilité aux femmes. Il ne faut pas perdre de vue que si nous nous amusons à faire une petite analyse genre du traitement de l’occurrence la presse écrite. On peut faire trois mois sans avoir une femme à la une de certains journaux. Je ne remets pas en cause la qualité des informations qui sont véhiculées car je peux comprendre que cela est peut-être dû au fait qu’il y a des positions stratégiques que les femmes occupent rarement. Une femme aurait été 1er ministre ou ministre de la défense qu’elle aurait fait la une des journaux ! Je souhaite donc bon vent à Queen Mafa.
Fatouma Ouattara
Sofifa2@yahoo.fr